Justice La fin de l’exception
Ahmed CHARAI

Le Maroc vient d’adopter une loi portant sur la réforme de la justice militaire. Ses dispositions répondent largement aux demandes formulées depuis des années par le mouvement des droits de l’Homme. Les civils ne pourront plus être jugés par un tribunal militaire quelque soit le chef d’accusation, même en cas d’atteinte à la sécurité de l’Etat, par exemple. Par ailleurs, la justice militaire n’est plus une justice d’exception. Cette loi vise à harmoniser la législation nationale en matière de justice militaire avec les normes et les principes internationaux, à traduire dans les faits les engagements constitutionnels irréversibles du Maroc en matière d’édification de l’Etat de droit dans le domaine de la promotion et la protection des droits de l’Homme et à consacrer les conditions et les garanties d’un procès équitable devant tous les tribunaux du Royaume. A cet effet, le projet prévoit d’exclure les civils de la compétence du tribunal militaire quels que soient les crimes commis.

Cela place le Maroc au rang des pays démocratiques les plus développés dans ce domaine. Il prévoit également d’exclure les militaires de la compétence du tribunal militaire s’ils commettent des crimes de droit commun. C’est une avancée importante par son contenu, mais aussi par la manière dont elle a été réalisée et le contexte régional. Le communiqué officiel place cette réforme dans le cadre de l’application de la nouvelle constitution, qui en s’inscrivant dans les valeurs universelles, reconnaît de facto la suprématie du droit international, ce qui a ouvert la voie à un toilettage de l’arsenal juridique marocain. Le conseil national des droits de l’Homme a préparé un dossier à ce sujet. Ce sont ses recommandations qui on été mises en oeuvre après un débat public qui a mobilisé juristes et militants des droits de l’Homme. Cela n’a pu se faire sans le soutien actif du Roi Mohammed VI, le Roi étant le chef de l’armée et donc le garant de ses intérêts.

Pour l’histoire, il fait rappeler que ce sont des tribunaux militaires qui ont prononcé les peines les plus lourdes durant les années de plomb, parmi lesquelles des peines de mort. D’ailleurs, il y a une très forte mobilisation pour l’abolition de cette peine qui dans les faits n’a plus été appliquée, depuis 1993. On attend un projet de loi dans ce sens, avant la fin de la législature. Quand on étudie le contexte régional, on est frappé par un contraste saisissant. La justice militaire et son abolition constituaient une revendication majeure des révolutions du printemps arabe, surtout en Egypte. Mais même sous Morsi, aucun geste n’a été esquissé, parce que l’armée ne voulait pas en entendre parler. La nouvelle constitution adoptée laisse aux tribunaux militaires la possibilité de juger les civils, loin des garanties des droits de la défense. Partout dans les pays de la région, au vu de l’importance prise par les militaires, il paraît peu probable qu’une telle réforme puisse avoir lieu. La nouvelle constitution, adoptée le 1er juillet 2012 au Maroc, prend toute sa signification dans la construction démocratique. Ce n’était pas un geste d’apaisement vis-à-vis de la rue, mais un vrai projet consensuel autour d’une avancée historique sur le plan institutionnel.

En rappelant qu’elle s’inscrit dans les valeurs universelles dans leur acceptation la plus large, en adoptant, par exemple, la dernière génération des droits de l’Homme, y compris les droits économiques et environnementaux, en déclarant la parité hommes-femmes comme un objectif, elle assure la stabilité. Les principes étant établis, les avancées sont possibles à l’intérieur des institutions, en s’appuyant sur la charte fondamentale. La majorité des revendications sont donc recevables dans le champ public, même quand il y a des clivages sociétaux dans l’opinion publique. On le voit sur deux questions sensibles que sont l’égalité devant l’héritage ou le droit des femmes à disposer de leur corps. Trois ans après ce que l’on a appelé le printemps arabe, on se rend compte que la liberté, l’égalité des individus n’ont pas progressé et ont même régressé, dans tous les pays concernés, en dehors de la Tunisie. L’expérience marocaine, celle d’une construction démocratique dont le cap est fixé aux normes les plus élevées et dont les modalités ainsi que les priorités sont définies par le débat public, est sans contexte une réussite. Après la réforme de la justice, celle de la justice militaire est un jalon de plus pour l’édification d’un véritable Etat de droit moderne. Alors que dans le voisinage, la justice est plus que jamais instrumentalisée par les politiques.