OBSERVATION DES TRIBUNAUX ET DES JUGEMENTS - Des « watchdog » indésirables ?

« L’OTPJ s’intéresse à la situation physique et intellectuelle de nos tribunaux qui sont dans un état grave », précise Réda Oulamine, président de Droit et justice.

Et d’ajouter : « Bien sûr, il y a quelques exceptions. Les mieux lotis dans l’organigramme judicaire sont les tribunaux de commerce ».

Business oblige, ces Cours sont privilégiés par rapport aux autres juridictions.

Mais au-delà de ces clivages, le projet pour « L’Observation des Tribunaux et Publication des Jugements » s’intéresse aux divers maux du système judiciaire.

Tribunal hors service

Me Oulamine part de son expérience d’avocat pour montrer le bien fondé de ce projet.

La scène se déroule dans un tribunal d’une ville marocaine : « J’avais une audience à 9h.

Je me suis présenté à l’heure indiquée.

À ma grande surprise, la porte du tribunal est encore fermée.

L’agent de sécurité n’arrive qu’à 9h30, les femmes de ménages à 10h, les premiers greffiers à 11h et les juges ne se présentent qu’à 13h », énumère-t-il, agacé.

Cette situation est loin d’être une exception.

Pour Me Oulamine, « la justice se rend avec de l’aura et de la classe.

Or, des murs qui tombent en ruine, des climatiseurs hors service, des imprimantes qui ne marchent pas, tout cela est inacceptable dans un tribunal ».

Prenons acte de ce constat, le projet Droit et justice veut « contribuer à une justice indépendante, efficace, intègre et de qualité », insiste Me Oulamine.

Soutenue par l’Ambassade des Pays-Bas à Rabat à hauteur de 1,5 million de DH, cette initiative se décline en deux volets.

L’objectif prioritaire est l'observation des performances des tribunaux (la qualité de l'accueil et des services des tribunaux, etc…).

En deuxième lieu, cette initiative vise à encourager les magistrats à produire des jugements et décisions de qualité à travers la publication par l’association de jugements « scandaleux » ou « exemplaires » avec commentaires, après l’étude d'experts.

Ce deuxième volet fait polémique entre magistrats et Droit et justice.

Attention projet sensible ! Droit et justice veut mettre à la disposition du grand public trois types de jugements.

Le premier concerne des décisions influencées par des pressions politiques.

Le deuxième type sera les jugements altérés par la corruption à une des étapes du procès (PJ, expertise, parquet, juge d’instruction, rendement du verdict, greffiers).

Le troisième genre se focalise sur des décisions judiciaires marquées par des erreurs causées par l’ignorance des textes, la complexité ou les retards des procédures.

Les promoteurs de ce projet ont pris des précautions pour garantir son succès.

Ils l’ont inscrit dans un contexte de la Constitution de 2011 et de la Charte Nationale de la Réforme du Système Judiciaire (2013).

Et pour éviter tout malentendu avec Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés, l’association lui a présenté son idée.

« Cette présentation a été faite à titre d’information seulement. Nous sommes indépendants dans nos décisions », insiste Me Abdelaziz Nouaydi, coordinateur du projet OTPJ.

Selon ce dernier, Ramid a « encouragé cette démarche, tout en conseillant de prendre toutes les précautions nécessaires ».

Le ministre de la Justice propose que soit permis aux juges qui ont émis les verdicts devant être publiés de bénéficier d’un droit de réponse accompagnant les futures publications de l’association.

Malgré ces précautions, les magistrats refusent en bloc ce projet.

Le véto des magistrats

Fait rare, l’Amicale Hassanienne des Magistrats (AHM) et le Club des magistrats du Maroc (CMM) partagent le même point de vue.

« Nous sommes, par principe, pour toute initiative visant l’amélioration des performances de notre système judicaire, sauf que publier des jugements qui ne sont pas définitifs est contraire à toutes dispositions juridiques marocaines », rappelle Anas Ait Benkadour.

Et le porteparole du CMM de s’interroger: « Sur quels critères va se baser la sélection des jugements ? ».

Réponse de Me Nouaydi : « Une note méthodologie fixe les critères de choix de la publication des jugements.

Cette sélection sera faite par une commission scientifique composée de magistrats, bâtonniers et professeurs universitaires », assure-t-il.

Du côté de l’Amicale, la position est ferme.

« En l’absence de loi la réglementant, cette démarche est tout simplement illégale.

Ces jugements prononcés au nom de Sa Majesté ne peuvent pas être commentés tant que la procédure judicaire n’est pas terminée.

Pour la publication, seule la Cour de cassation a le pouvoir de délivrer des autorisations dans ce sens », affirme Noureddine Riahi, porte parole de l’AMH.

Ce magistrat va encore plus loin : « Ce projet veut créer la zizanie au sein du corps judiciaire.

Nous sommes prêts à répondre à ces attaques ».

Les magistrats s’inquiètent de l’influence qui pourrait s’exercer sur les jugements.

« Rendre public un jugement en Première Instance peut peser sur le bon déroulement de la suite du procès en Appel », explique Ait Benkadour du CMM. Pour Me Nouaydi, cet argument n’est pas recevable : « Nous estimons que ces jugements sont des biens publics et qu’il est de notre droit de commenter.

Evidement, ce commentaire doit respecter la rigueur scientifique ».

Droit et justice promet les premiers rapports sur la qualité des tribunaux et les commentaires de jugements pour l’autonome 2014 ❚