Les  infirmiers ripostent et annoncent deux grèves en avril et en mai
Les infirmiers revendiquent leur indépendance

Les infirmiers passent à la vitesse supérieure et annoncent deux grèves nationales les 29 et 30 avril et 25 et 26 mai. L’objet de leur grogne ? Les lois régissant la profession, l’Ordre des infirmiers qui peine à voir le jour, la tutelle controversée des médecins et le dialogue social qui coince. Détails



La grogne des infirmiers n’est pas prête de s’apaiser d’aussitôt. Alors qu’ils n’arrivent toujours pas à digérer « l’ingratitude » de la tutelle par rapport à leurs considérables efforts dans la lutte contre la pandémie du Covid-19, ils sont surpris par la promulgation de nouveaux décrets d’application de loi qu’ils jugent menaçants pour la profession et pour la santé des citoyens.

Dernier recours

« La grève est notre dernier recours. Nous avons toujours pris en considération les circonstances actuelles liées à la crise sanitaire et à la pandémie. Mais aujourd’hui nous sommes obligés de mener ces deux grèves nationales pour protester contre une situation devenue insoutenable et intolérable », nous explique Faim Zahra Belline, coordinatrice de la cellule communication et presse du Mouvement des infirmiers et des techniciens du Maroc (MITM).

Annonçant deux grèves en avril et en mai, le mouvement rappelle, dans un communiqué rendu public jeudi, les revendications des infirmiers et des techniciens de santé. Prévues pour les 29 et 30 avril et les 25 et 26 mai, ces deux grèves, de 48 heures chacune, seront la nouvelle carte de pression des blouses blanches pour « restituer à la profession sa valeur et son indépendance », proclame la porte parole du MITM. Dans la ligne de mire des protestataires, la loi 43-13 relative à l'exercice des professions infirmières. Rappelons que la semaine dernière, le Conseil du gouvernement a procédé à l’homologation de ses décrets d’application.

Décrets de la discorde

Déjà à cran à cause de la grande charge du travail, de leur privation de congé depuis plus d’un an et de la grande pénurie des ressources humaines, les infirmiers ne sont pas arrivés à avaler la pilule cette fois-ci. « Ces décrets étaient la goute qui a fait déborder le vase. Ils donnent le droit de pratiquer la profession à des gens n’ayant pas leur baccalauréat ayant décroché un diplôme d’école privée au bout d’un an seulement de formation qui n’est d’ailleurs pas assez qualifiante », s’insurge Belline. « Ceci alors qu’un infirmier formé dans l’école d’état doit suivre un cursus (théorie et pratique) étalé sur trois ans durant voire plus pour pouvoir s’acquitter correctement de son devoir », ajoute-t-elle.

Ouvrir, par la force de la loi, la porte à des aides-soignants non qualifiés pour pratiquer le métier d’infirmier... Les représentants des blouses blanches trouvent que c’est juste une manière de servir les intérêts des cliniques privées. « Ces dernières préfèrent recruter des aides soignants peu qualifiés car moins couteux. Et qu’importe la santé des citoyens et des patients. C’est une véritable aberration », regrette la chargée de communication du Mouvement des infirmiers.

Problème de fond

« Le vrai problème n’est pas lié aux décrets d’application mais il réside plutôt dans la loi elle-même. Certains de ses articles doivent être changés car inadaptés à la réalité de la pratique de la profession », nous explique auparavant Mustapha Jaa, Cadre au ministère de la santé et chercheur en droit de la santé. Même constat de la part de Abdelilah Asaissi, président de l’Association marocaine des infirmiers anesthésistes. Ce dernier déplore une « rupture » entre le législateur et la réalité sur le terrain. « Après de longues années d’attente, les infirmiers sont aujourd’hui déçus par le contenu des décrets d’application de la loi 43-13 qui restent bien loin de la réalité dans les hôpitaux. Un décalage flagrant causé notamment par la prise de décision centralisée et l’absence de toute coordination et coopération dans l’élaboration des textes de loi et de décrets d’application, avec les parties concernées », fustige Asaissi.

Fatim Zahra Belline est du même avis. « Ces décrets et ces lois ont été élaborés sans aucune concertation avec les représentants syndicaux des infirmiers. Pire, on commence à croire à la préméditation lorsqu’on considère le timing et la manière dont ces décrets ont été homologués en pleine crise pandémique », analyse Belline en rappelant comment l’Ordre des infirmiers peine à voir le jour depuis 2006. Ceci malgré toutes les tentatives menées par les associations professionnelles et des syndicats auprès du ministère de la santé, soutiente-elle.

Cet ordre qu’on ne saurait créer

« Un blocage qui n’est nullement innocent. En considérant les assauts dont souffre la profession dernièrement, on comprend mieux pourquoi la création de notre Ordre bloque depuis des années », tente Belline en réclamant l’indépendance de la profession. Même constat de la part de Jâa. « Les infirmiers réclament l’indépendance de leur profession et refuse la tutelle des médecins lorsqu’il s’agit d’accorder l’autorisation pour pratiquer le métier en libéral », nous explique-t-il. « En effet, nous refusons en particulier l’article 6 du décret 2-19-83 stipulant que l’autorisation de pratiquer le métier est accordée par la tutelle en concertation avec l’Ordre des médecins », dénonce la représentante du MITM.

En rogne, l’Association marocaine des sciences infirmières et techniques sanitaires représentée par son président Habib Kerroum, a publié à quelques heures de l’homologation de ces décrets, un communiqué d’indignation. « Cette loi est franchement et profondément dévalorisante pour l’infirmier. Pourquoi placer les infirmiers sous la tutelle de l’Ordre des médecins alors qu’ils doivent disposer eux aussi de leur propre ordre, en toute indépendance de toute autre institution », réclame-t-on dans ce communiqué. Même réaction et même incompréhension auprès du Syndicat national de la santé publique. « Pourquoi donc concerter les médecins dans une affaire qui concernent les infirmiers. La loi dit « en concertation avec l’ordre des médecins ou avec l’ordre des infirmiers si toutefois il y en a ! ». Pourquoi cet ordre peine à venir malgré toutes les tentatives et les propositions faites par les associations et les syndicats représentants des infirmiers toutes spécialités confondues », s’interroge de son côté Mustapha Jaa.

« Question de volonté politique, de mauvaise foi ou blocage prémédité... », pour le Mouvement des infirmiers et techniciens de santé du Maroc, la tutelle accélère l’homologation des controversés décrets d’application des lois régissant la profession pour mettre l’Ordre des infirmiers devant le fait accompli, quand il sera enfin là. « Ce qui nous inquiète c’est le secteur privé car dans le public, les ressources humaines sont bien qualifiées et contrôlées. Avec ces lois, il faut vraiment se poser beaucoup de questions avant de se livrer aux mains des « infirmiers » des cliniques. Rien ne vous prouve qu’ils ont reçu la formation adéquate pour prendre soin de votre santé ! », conclut Belline. Inquiétant ? Affaire à suivre !