JUIFS & MUSULMANS. Si Loin, Si Proches

 

Après Bamako, Port-au-Prince ou encore Brazzaville, le Festival littéraire du livre et du film « Étonnants Voyageurs », qui réunit écrivains, cinéastes, et penseurs de renommée internationale, pose ses valises pour la première fois au Maroc (Rabat-Salé, du 6 au 9 mars). Le réalisateur spécialiste du documentaire historique, Karim Miské a présenté deux épisodes de sa série documentaire « Juifs et musulmans, si loin, si proches » dans lequels il revient sur des siècles d'histoire commune entre les deux religions, qui n’ont jamais cessé de dialoguer malgré plusieurs épisodes douloureux. Le sort des musulmans et des juifs a toujours été étroitement lié depuis la naissance de l’islam (610- 721), sa conquête de la Perse à l’Espagne jusqu’à la rupture violente du XXe siècle. Mais plus d’un siècle de conflit et d’épisodes tragiques ont suffit à occulter dans les mémoires 13 siècles d’une histoire commune souvent pacifique et parfois harmonieuse. Un projet audacieux qui questionne une histoire complexe et souvent méconnue (de l’Arabie au Proche-Orient en passant par l’Empire Ottoman, l’Andalousie, le Maghreb et puis l’Europe), racontée chronologiquement avec la contribution de plus de 30 chercheurs spécialistes du monde entier, via un montage mêlant brillamment séquences d’animation originales et archives photographiques et filmiques rarissimes et chargées en émotion. Après avoir été projeté à Ramallah, à Jérusalem puis à l’institut français d’Alger et en France, c’est la première fois que ce documentaire pointu est projeté lors d’un festival littéraire dans un pays arabe musulman. Les 4 épisodes de 52’ mn chacun (les origines, la place de l’autre, la séparation et la guerre des mémoires) ont été diffusés sur la chaîne franco-allemande arte en octobre dernier.

 

Pourquoi le choix du cinéma d’animation, traité sous angle chronologique?

KARIM MISKÉ. Avec le conflit israélo-palestinien, les relations se sont dégradées et les gens n’ont gardé que cela en mémoire. Il fallait donc trouver un pont entre le présent et le passé et traiter cette histoire sous un angle chronologique. De plus, cette histoire assez complexe reste mal connue. Il fallait aussi illustrer toutes ces périodes (surtout les deux premiers épisodes, qui vont du Moyen âge jusqu’à la révolution française), vu qu’il n’y a aucune image illustrant l’Arabie à cette époque. La solution la plus évidente c’était l’animation, puisque ça coûte moins cher et ça permet de donner une identité visuelle plus forte au film.

Le film est ponctué de chercheurs, historiens et d’experts, comment s’est fait votre choix?

Comme pour les films de fiction, on a fait un casting. Il fallait que les intervenants aient un back ground soit juif soit musulman. C’était important qu’ils puissent se compléter dans leur discours et qu’ils puissent porter cette histoire à titre personnel puisqu’ils sont tous quelque part engagés dans ce qu’ils racontent, et devaient donc avoir un regard extrêmement objectif. Ils devaient aussi bien s’exprimer, parler assez clairement, utiliser des mots simples sans être simplistes. C’est avant tout un travail de vulgarisation et de mise à disposition d’une connaissance.

Comment vous avez déterminé votre angle d’attaque ?

Historiquement parlant, il faut à chaque fois trouver le sens du récit et se demander si tel événement a un sens par rapport à ce qu’on est en train de raconter. Parce que le plus important, c’est le sens général de chaque film. Dans l’épisode 2 par exemple, on a choisi de montrer l’invasion des Almohades en Espagne plutôt que celle des Almoravides, d’abord par manque de temps, puis, parce que le sens était plus fort.

Lorsqu’on fait un film sur un sujet aussi sensible, est ce qu’on n’est pas tenté de pencher pour une partie plus que pour une autre, surtout au niveau des intervenants ?

J’aurais aimé que l’équilibre soit parfait, cela dit, je n’ai pas l’impression qu’il y a une si grande différence, il fallait surtout choisir ceux qui s’expriment le mieux sur le sujet. Mon objectif, ce n’était pas de faire quelque chose de consensuel, mais plutôt de faire un film qui soit assimilable par tous. On a cherché des spécialistes musulmans mais on a eu du mal à trouver des contacts, peut être aussi pour des raisons politiques. En Algérie, c’était quasiment interdit de travailler sur la question et ça reflète malheureusement la réalité du monde arabe contemporain. Je trouve que ce que vous avez fait au Maroc (musée du judaïsme,…) est extraordinaire, parce qu’il faut avoir beaucoup de courage et je trouve scandaleux le fait de vouloir déposséder les gens de leur histoire. On comprend que politiquement parlant, c’est très difficile et chargé en émotion, mais ce n’est pas une raison pour faire comme si une partie de l’histoire n’avait pas existé !

Finalement, quelle est la valeur ajoutée de ce documentaire, vu les nombreux films qui ont été tournés sur le sujet ?

Ce n’est pas un film sur le conflit israélopalestinien, c’est un film sur les rapports entre juifs et musulmans. C’est vrai, il y a beaucoup de documentaires qui racontent l’histoire de la Palestine, sous différents angles, historiques ou chronologiques,…Le but, c’était de montrer comment ce conflit a eu des conséquences globales (directes) sur les identités juives et musulmanes contemporaines et comment chacun se voit désormais comme l’ennemi de l’autre