Autisme suicidaire
Ahmed CHARAI

La marche du 06 avril est un point de bascule politique. Pour la première fois, trois centrales syndicales, soutenues par deux autres, ont organisé une marche unitaire. Le nombre de manifestants, aux alentours de 30.000, même si comme d’habitude les organisateurs annoncent plus, n’est pas le plus important. Nous sommes face à un front unique syndical facilité par l’attitude du chef de gouvernement. C’est son refus d’ouvrir le dialogue social à temps, interprété comme un mépris par les syndicalistes, qui a fait que l’UMT, la CDT et la FDT s’unissent. Pour qui connait l’histoire des guerres fratricides de ces trois centrales, cela était inimaginable il y a quelques mois.

Les mots d’ordre, les revendications étaient purement salariales. Sans aucune connotation idéologique. C’est pire pour le chef du PJD, qui sait comme tout le monde qu’il doit son succès électoral à ces couches sociales. Si aujourd’hui, elles se mobilisent contre lui, c’est d’abord à cause de son autisme, de son attitude interprétée à tort ou à raison comme de l'arrogance, son refus de composer avec les syndicats. Or, il y a deux sujets sur lesquels le gouvernement ne peut pas se passer d’un accord avec les syndicats. Le premier c’est la réforme des retraites. La situation est telle que pour pérenniser les retraites, il faut agir sur les deux variables que sont la durée de cotisation et le taux de celle-ci. C'est-à-dire qu’un effort conséquent des salariés sera inévitable. Les syndicalistes ne peuvent pas accepter de tels sacrifices sans contre partie, il y va de leur crédibilité vis-à-vis de leurs bases. De la même manière, personne ne comprend le processus de compensation mené par le gouvernement.

Le rapport de la cour des comptes dit bien que le système est inéquitable, qu’il profite aux plus riches. Sauf qu’il y a des millions de Marocains qui ne pourraient pas supporter la vérité des prix. Compenser la décompensation tel est l’enjeu pour ces catégories sociales. C’est justement ce que réclament les syndicats en proposant des pistes de travail sérieuses. Enfin, le gouvernement sait que l’économie nationale « souffreteuse » ne peut pas se permettre des tensions sociales, des grèves sectorielles, ou pire une grève générale. Pourtant, c’est ce qui se profile à l’horizon, dans les toutes prochaines semaines. Sur insistance du PPS, Abdelilah Benkirane accepte de renouer le dialogue avec les syndicats, après deux années de silence radio. Il faut espérer que les deux parties fassent preuve de bonne volonté.

Il est vrai que la situation budgétaire ne laisse pas une grande marge de manoeuvre à l’exécutif, mais il est tout aussi vrai que le pouvoir d’achat des salariés est laminé. Cependant, le dialogue social doit permettre l’examen des dossiers structurels. Celui de la retraite doit être relié à la protection sociale dans son ensemble. L’AMO et le RAMED doivent être remis à plat pour plus d’efficience. L’unification des différents systèmes de retraites est une nécessité impérieuse. On n’imagine pas le gouvernement plancher sur ces réformes sans prendre en compte les points de vue du patronat et des syndicats. Faute de quoi, ce sera une attitude politiquement suicidaire, qui risque d’entraîner le pays vers des tensions sociales peu supportables