Deuil et réflexion sur Newtown et le monde arabe

La tragédie qui a eu lieu à Newtown, Connecticut, suscite aujourd’hui un grand intérêt et une profonde préoccupation dans le monde arabe. Nous savons ce que c’est que la violence armée, et la douleur de perdre des enfants. Dans une région si souvent en désaccord avec les États-Unis, même les critiques les plus acerbes de la superpuissance mondiale ont été choqués par les photos de ces sourires innocents.

Par Ahmed Charaï

Les détracteurs arabes ainsi que les admirateurs de l'Amérique, chacun à sa manière, sont frappés par le débat qui fait rage aux États-Unis sur la façon de prévenir d'autres tragédies de ce genre. Plusieurs de mes amis, ici à Casablanca, ont mis l’accent sur la disproportion apparente de tout cela: 40.000 Syriens dont des milliers d'enfants, ont été tués par le régime de Bashar Assad au cours des deux dernières années, et pourtant cette tragédie ne suscite que très peu d’attention dans l'opinion publique américaine. Pour cette critique, je réponds qu'il est tout à fait naturel, partout dans le monde,  de pleurer ses propres enfants beaucoup plus que ceux des autres. Le sentiment américain d’une perte collective peut être un exemple pour beaucoup d’arabes: une affirmation de la valeur de la vie humaine, pour une partie du monde où certains courants politiques célèbrent la mort.

Néanmoins, d’une autre manière, nous pensons que les Etats-Unis et le monde arabe peuvent apprendre les uns des autres. Loin de l'événement de Newtown, 15.000 Américains sont assassinés chaque année - des individus extrêmement pauvres tués par d'autres aussi pauvres dans les centres-villes - et le taux d’homicides armés du pays est 19,5 fois plus élevé que dans les autres pays développés. Alors que le monde arabe est meurtri par ses conflits ethniques et sectaires, ses bouleversements politiques, et le terrorisme, les actes d’homicide parmi nos souches pauvres des zones urbaines sont assez rares par rapport aux États-Unis. Le genre de gangs urbains qu’on trouve dans les rues de l'Amérique et dans ses prisons sont rares également. Nous ne connaissons pas non plus ce phénomène de massacres apolitiques ni celui du meurtre en série par des personnes souffrant de troubles émotifs. Comment donc expliquer ces contrastes?

Les tueurs de masse comme Adam Lanza, pour autant que l’on puisse dire, ont vécu dans l'isolement de la communauté qui les entoure. Ils représentent le côté obscur de la culture de l'individualisme américain qui a permis tant de réalisations remarquables. En célébrant le potentiel de l'individu et sa capacité d’atteindre la grandeur par la rupture avec la tradition, les Américains ont trouvé le moyen de mettre fin aux cycles des vieux préjugés qui perpétuent les identités communautaires d'une génération à l'autre. Dans le monde arabe, nous avons désespérément besoin de suivre cette voie. D'autre part, nos traditions et liens familiaux jouent un rôle précieux : Ils rationalisent et réconfortent les plus vulnérables parmi nous, faisant en sorte que l'esprit troublé n’aura pas à affronter le monde tout seul, et que la jeunesse en difficulté n’ira pas demander refuge auprès des gangs. Nous sommes protégés en quelque sorte par la culture même qui nous fait du tort d’une autre manière. Même si nous avons beaucoup à apprendre sur la société civile américaine, nous savons que nous devons préserver les aspects de nos traditions qui nous servent grandement. Nous reconnaissons que certains Américains peuvent tirer un judicieux enseignement de notre appréciation de nos racines communautaires.

Chez nous au Maroc, où les taux d'homicides sont parmi les plus bas dans le monde en développement, nous ne sommes, certes, pas épargnés par le fléau de la criminalité, et les individus atteints de maladies mentales et émotionnelles sont parmi les auteurs des crimes violents. Néanmoins, nous sommes, en grande partie, épargnés par le fléau des homicides urbains par le soutien populaire massif à la politique du royaume en matière de contrôle des armes. Il y a peu de doute au sein de la société que le contrôle des armes sauve des vies, et nous avons du mal à comprendre pourquoi tant de gens civilisés pensent le contraire. Il est réconfortant de voir que les Américains sont en train de réexaminer les attitudes culturelles envers la prolifération des armes, et nous prions pour qu'ils trouvent la volonté d'influer sur la politique publique dans ce sens.

Traduit à partir de l’article original paru dans le Huffington Post. смартфон с 3 сим картами купить