A vrai lire : Mille et une nuits dans les solitudes latino – américaines
Par AbdejlilnLahjomri, Secru00e9taire perpu00e9tuel de lu2019Acadu00e9mie du Royaume

Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel, colombien de littérature (1982), auteur de l’immense et incontournable roman « Cent ans de solitude » est décédé, quittant après une longue maladie la scène littéraire latino américaine et mondiale. Déluge d’éloges mérités, unanimité impressionnante tant cet écrivain a su incarner la conscience de cette partie du monde et pour des millions de lecteurs la conscience universelle. Malgré une profusion d’articles, de nouvelles, de romans, de reportages, il reste pour moi l’auteur d’une seule oeuvre, comme Rabelais qu’il lut intégralement, comme le Montaigne des Essais ou le Baudelaire des Fleurs du Mal. Cette oeuvre fondatrice de la littérature du XXème siècle, essentielle, novatrice, indispensable, meuble l’inconscient du lecteur d’une magie qui enivre. Pour les amateurs de littérature, pour les apprentis écrivains il y a l’avant et l’après « Cent ans de solitude ». Et pour nous qui sommes souvent en marge de la création littéraire, il est bon d’entendre ce fabuleux écrivain déclarer dans un entretien : « Il y a des lectures qui m’ont marqué à vie. Par exemple, ce livre relié que j’avais trouvé dans une malle, et dont je ne savais même pas le titre. C’était les Mille et une nuits. J’ai passé les premières années de ma vie halluciné par la vision des tapis qui volaient et des génies qui sortaient des bouteilles. « C’était merveilleux… ». D’autres auteurs avaient influencé Gabriel Garcia Marquez, mais le merveilleux qui fonde sa production vient du merveilleux qui colore une oeuvre flamboyante de notre aire culturelle. Je ne pouvais pas m’empêcher de m’exclamer au cours de la lecture de « Cent ans de solitude » : « mais cet univers ressemble curieusement à celui des « Mille et une nuits ». Je n’osais exprimer cette pensée, avant que l’auteur lui-même ne la confesse et ne le reconnaisse. Nulle part dans les élégies funèbres de nos journaux, n’a été signalé que l’une des sources d’inspiration de Gabriel Garcia Marquez avait été « Les Mille et une nuits ». Comme nulle part n’a été signalée son indéfectible amitié avec Fidel Castro, et n’a été signalé que le pourfendeur des dictatures latino-américaines de droite a été aussi le thuriféraire d’une dictature latino-américaine de gauche. Cela n’écorne en rien l’admiration que nous pouvons avoir pour l’homme et l’oeuvre. Une oeuvre colossale, qui baigne comme l’ont démontré les critiques dans un «réalisme magique » une fantasmagorie enivrante, un foisonnement d’images insolites, une imagination ensorcelante, un style haletant et entrainant. Mais cette amitié reste, pour beaucoup de ses lecteurs dont je suis, une énigme. Un article dans un journal de langue arabe, qui lui fut consacré en première page, intitulé « Marquez, l’écrivain, ennemi du dictateur» n’est pas objectif, au point où je me suis demandé s’il fallait faire confiance aux journalistes pressés d’écrire, et d’impressionner. Gabriel Garcia Marquez fut à juste titre ennemi des dictatures, sauf d’une, celle qui sévit à Cuba, emprisonne, exile et …. Ce journaliste l’ignorait-il ? Gabriel Garcia Marquez s’était pourtant expliqué dans l’article élogieux : « Le Fidel que je crois connaître ». Mais il parlait de l’homme, comme s’il n’y avait aucun lien entre l’homme et le dictateur, et comme si l’homme tout court, dédouanait quelque part l’homme politique. Les explications et justifications de Gabriel Garcia Marquez, ont peu convaincu ses lecteurs. Il affirmait que son amitié avec Fidel Castro était « intellectuelle », et que dans ces entretiens avec lui, ils parlaient littérature, beaucoup de littérature. Ce dictateur était amoureux des mots et des lettres. Pourquoi, Gabriel Garcia Marquez qui n’avait pas hésité à être l’ambassadeur de Fidel Castro auprès de Bill Clinton, avait-il refusé de se ranger aux côtés de ses amis écrivains latino–américains, qui critiquaient « intellectuellement » la répression du e-lider Maximo cubain ? Mon étonnement fut grand, quand j’ai cru lire que Gabriel Garcia Marquez déclarait : « Avant de publier un livre, je lui apporte les manuscrits. Il est comme un éditeur pour moi. Il me montre les manques, les contradictions, à côté desquels peinent des professionnels. Il est très rigoureux. Et il lit tout le temps ». Fidel Castro, « éditeur », « correcteur » et « premier lecteur de Gabriel Garcia Marquez », l’amitié ne pouvait être qu’intransigeante, indéfectible, et pour moi un tel dévouement incompréhensible ❚ Les grands hommes ont leurs grandes faiblesses. Les prix Nobel, surtout.