FONCTIONNAIRES ET SALARIÉS, MAIS PAUVRES !

Karim est agent de sécurité, il travaille pour le compte d’une entreprise privée de gardiennage. Selon les marchés que parvient à décrocher son patron, il change de lieu de travail. Il met en vente sa force de travail sur un marché où l’externalisation à outrance est la règle. Dans cette bourse du travail, le sentiment d’appartenance à une entreprise n’est pas du tout à l’ordre du jour.

12 heures par jour

En six mois, Karim a travaillé dans un magasin de prêt à porter au Maârif, puis dans une unité industrielle à Aïn Sbaâ et il ne sait pas encore dans quel quartier il pourrait travailler demain. Douze heures par jour, 6 jours sur 7, pour 2.200 DH. Un salaire qui n’est versé que le 15 de chaque mois. Avec son frère, Karim loue, pour 1000 DH, un appartement à Lissasfa. « La vie est dure, mais je ne me plains pas, nous devons aider nos parents restés au bled », confie-t-il. D’ici le début du mois prochain, ce jeune de 28 ans originaire de Guercif devrait se trouver un nouvel emploi. « Le patron compte déclarer faillite. Il a perdu tous les marchés qu’il avait et il n’a plus d’emplois à nous offrir », regrette notre travailleur nomade. Il sait déjà qu’il ne touchera aucune indemnité de départ. « Je ne suis même pas sûr qu’il verse nos cotisations à la CNSS », s’inquiète l’agent de sécurité. Amina, 37 ans, travaille quant à elle comme agent d’entretien ménager dans une gare ferroviaire depuis cinq mois. Ses huit heures de travail pénible peuvent s’allonger tard le soir. « Je rentre chez moi à 23H », affirme-telle. Son employeur, une société d’intérim, ne l’a pas encore déclaré à la CNSS. « Mon employeur m’a promis de le faire », assure Amina, sans conviction. La trajectoire de Karim et d’Amina rejoignent celle d’un certain « salarié type » au Maroc. Ces travailleurs sont enrôlés dans le secteur privé par l’intermédiaire du secteur d’intérim. Ils sont gardiens, agents d’entretien ménager, jardiniers, serveurs, etc. Ils forment l’écrasante majorité des affiliés à la CNSS où 67% des déclarés touchent moins de 3000 DH (voir tableau). Le secteur pointé du doigt est l’intérim. Ce mode de gestion des RH crée-t-il de la précarité ? « Je préfère qu’un jeune puisse avoir un travail temporaire au lieu de se trouver dans la rue ou en train de voler », réplique, un brin agacé, Zahir Lamrani, président de l’Union Marocaine des Entreprises de Travail Temporaire (UMETT). Et d’ajouter : « Les missions d’intérim sont destinées à des jeunes diplômés qui n’arrivent pas à trouver un emploi à cause de leur manque d’expériences. C’est un tremplin vers un travail permanent ». Le secteur privé n’a pas le monopole du travail précaire, le secteur public n’est pas en reste...

La précarité gagne l’Administration

Le secteur public compte également ses travailleurs « pauvres». Le rapport sur les Ressources humaines accompagnant la Loi de Finances 2014 révèle que 18% des effectifs de l’Etat gagnent entre 2800 (salaire minimum dans le public) et 4000 DH, soit 104.966 fonctionnaires. Cette population a bénéficié d’une revalorisation salariale durant la période 2007-2013. Le salaire minimum net dans la Fonction Publique est passé de 1.586 à 2.800 DH/mois avec un accroissement de 77%. Cette augmentation résulte des différentes revalorisations salariales décidées dans le cadre du dialogue social et de la suppression des échelles 1 à 4, avec intégration dans l’échelle 5 des fonctionnaires classés dans ces basses échelles. Les fonctionnaires peuvent toutefois se targuer d’avoir la garantie de la sécurité de l’emploi et d’une couverture sociale. Dans le secteur privé, l’absence de filets sociaux complique la situation des travailleurs précaires.

Sans filets sociaux, la chute libre

Prenons le cas de la couverture médicale. Hormis les secteurs de l’assurance, la banque, l’hôtellerie et la restauration où l’assurance maladie couvre 64% des salariés, les autres branches du secteur tertiaire connaissent un taux faible. Dans le transport et les communications, le taux de couverture est de 23,2%. Dans le BTP la situation est encore pire. Ce secteur emploie 10,1% de la population active occupée (un million de personnes) alors que le taux de couverture ne dépasse pas 8%. Dans le commerce, la donne est quasi similaire. Seuls 7,3% des 1,4 million d’actifs occupés bénéficient d’une assurance médicale. Dans le cas des travailleurs intérimaires, leur situation est encore plus compliquée. Il faut justifier d’un minimum de 54 jours de cotisations pendant les six mois précédant la maladie pour bénéficier de la couverture, ce qui est presque impossible pour les intérimaires. Encore faut-il que ce salarié soit déclaré. Sur les 200 entreprises d’intérim seules 40 respectent la réglementation. « Dans plusieurs réunions avec la direction de la CNSS, j’ai dénoncé ces entreprises », s’insurge Z. Lamrani de l’UMETT. Ce représentant du secteur du travail temporaire défend « le modèle social » de ce mode de recrutement : « Ce secteur rend un service énorme aux jeunes en âge de travailler. Si un jeune intègre une entreprise et fait ses preuves, il peut être recruté dans le cadre d’un contrat permanent ». La réalité du terrain ne rejoint pas ce schéma idéal. « La demande pour plus de flexibilité exprimée par les employeurs revient à répercuter sur les salariés une partie des aléas économiques dus à la confrontation de l’entreprise avec son marché », observe l’économiste Hanan Touzani. Ce chercheur a réalisé une étude sur les travailleurs du textile à Rabat-Salé. Parmi ses conclusions : « Les incertitudes, qui induisent du côté des salariés la montée d’un sentiment d’insécurité de l’emploi, sont de nature à modifier les conditions de la relation d’emploi ou sa poursuite ». Et de conclure : « Ce dilemme pour les entreprises -opter pour plus de flexibilité ou privilégier la sécurité en matière d’emploi- pose avec acuité la question de la protection de l’emploi et de la répartition des aléas économiques entre employeurs et salariés »

 

 

Lire aussi :