AU-DELÀ DU SMIG : LA PRÉCARITÉ FAIT DES RAVAGES

C’est une tradition au Maroc, à la veille de la fête du travail, le ministre de l’Emploi doit avoir au moins une bonne nouvelle, même symbolique, à annoncer aux travailleurs. Et plutôt que d’en avoir une, Abdeslam Seddiki en a deux : Le gouvernement a décidé d’augmenter le Smig de 10% (5% en juillet 2014 et 5% en juillet 2015) et de rehausser le salaire minimum dans la fonction publique à 3.000 DH (70.000 fonctionnaires sont concernés parmi 578.000). Plutôt que de sauter de joie, les responsables des syndicats les plus représentatifs et même ceux qui ne le sont pas du tout font grise mine. D’abord parce que ces révisions salariales ne sont pas encore actées. « Il s’agit d’une décision politique de Benkirane qu’il dit pouvoir assumer pleinement malgré le refus du patronat de toute revalorisation du Smig », confie un syndicaliste ayant participé au round du dialogue social tenu à Rabat le 29 avril. Et puis parce 200 DH de plus, cela reste une misère, même si cette petite somme pèserait lourd et sur la masse salariale d’une usine de confection en difficulté et sur le budget de l’Etat déjà famélique. Résultat des courses, la décision de Benkirane ne réjouit personne. Dans un communiqué conjoint, le front syndical constitué par l’UMT, la CDT et la FDT est monté au créneau à la veille du 1er mai pour exprimer son mécontentement. De son côté, l’UGTM, par la voix de son secrétaire général par intérim Mohamed Kafi Cherrat, crie même au scandale, estimant que le dialogue social a été vidé de son sens. Et l’UNTM, syndicat proche du PJD se tait. Preuve qu’il n’y a pas de quoi pavoiser. Il faut savoir que le fameux Smig que le gouvernement veut revaloriser passera d’ici l’été 2015 à 13,46 DH l’heure au lieu de 12,24 actuellement. Et puisque la durée légale de travail dans le pays est, en principe, de 44 heures, les smigards, employés à temps plein, devront donc toucher 2.566,37 DH par mois au lieu de 2.333,76 DH actuellement, contre 3.000 DH pour les fonctionnaires-smigards au lieu de 2.800 DH. Or, depuis bien longtemps, les syndicats crient à qui veut les entendre qu’il faut bien plus que cela pour assurer une vie décente aux salariés et aux fonctionnaires. L’UMT a même mené une s’inétude pour montrer que la valeur du salaire minimum est loin d’assurer le minimum vital. Le calcul des dépenses mensuelles d’un smigard effectué dans ce cadre se passe de tout commentaire : Si le logement coûte au moins 1250 DH; l’eau, l’électricité et le gaz butane 250 DH; le transport 350 dirhams, que reste-t-il aux besoins alimentaires de première nécessité ? Moins de 600 DH ! Quid alors des soins médicaux et des autres nécessités de la vie ? Conclusion : à moins d’avoir d’autres revenus, ce qui est rare, tous ceux qui touchent le Smig vivent dans la précarité. Et ils ne sont pas les seuls. Non pas parce qu’il y a une armée de travailleurs non déclarés puisque la CNSS ne comptait à fin 2013 que moins de 3 millions de salariés déclarés dans un pays de plus de 33 millions d’habitants. Non plus par ce que, le travail précaire se développe à vue d’oeil dans le pays. Mais bien parce que la vie devient de plus en plus chère au Maroc, sans que le niveau de revenu suive. Du coup, même la classe moyenne, censée être la force motrice de la croissance par son pouvoir d’achat, est tirée vers le bas. Il n’étonne plus personne aujourd’hui de voir un cadre moyen habiter dans un logement social dans une grande ville, ni de voir un fonctionnaire pourtant placé au plus haut de l’échelle dans la fonction publique croupir sous les dettes… Est-ce pour calmer tout ce monde que le ministre de l’Emploi a rappelé, à la veille du 1er mai, que les équilibres macro-économiques de l'économie nationale sont toujours précaires ? Décidément, la précarité gâche la fête…du travail ❚

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