L’audit environnemental, plus que jamais nécessaire
Driss Boucetta

 

Par Driss Boucetta*

Cette étude porte sur la contribution à une meilleure prise en compte des considérations environnementales et sociales dans les missions d’audit de la performance de la cour des comptes européenne.

On doit croiser nos champs de réflexion et d’action afin de renforcer l’audit environnemental et social dans les missions d’audit de performance de la Cour des comptes européenne. Cette nouvelle approche d’audit est un domaine en friche où il n’y a pas encore beaucoup d’écrits disponibles.

C’est un domaine relativement nouveau mais néanmoins essentiel. Le besoin de recourir à un concept nouveau consistant à prendre en compte les considérations environnementales et sociales est né d’un  souci grandissant à l'égard de l'augmentation  des coûts de la dégradation de l’environnement et aussi de sa protection. Il est motivé par la prise en compte grandissante et impérieuse de la problématique du développement durable.

Dans cette perspective, la cour des comptes européenne sera invitée à insérer dans ses démarches d’audit les questions environnementales et sociales, fédératrices d’idées et de méthodes innovantes.

L’objectif est d’améliorer les aspects environnementaux et sociaux des différents domaines audités par la cour des comptes européenne et de proposer des recommandations visant à intégrer une stratégie de développement durable.

À ce sujet, il est pertinent de signaler que des actions sont en cours de réalisation mais celles-ci restent embryonnaires.

Il s’agit de mettre en évidence le rôle de l’audit des aspects environnementaux et sociaux en tant qu’un instrument de transparence, aux fins  de protéger les intérêts des citoyens européens en s’assurant entre autres que les fonds que ces derniers ont mis à disposition de l’Union européenne ont été dépensés en tenant dûment compte des effets sur l’environnement et le social. Cette préoccupation majeure met en valeur l’intérêt de prendre en considération la donne environnementale et sociale dans les méthodes modernes d’audit innovantes tranchant en cela avec les méthodes traditionnelles qui existaient jusqu’aujourd’hui.

Il nous parait judicieux de mettre en exergue de nouveaux concepts relevant de la pratique professionnelle en matière d’audit environnemental et éviter le volet exclusivement théorique du sujet qui pourrait perdre de son importance.

C’est la raison majeure de notre contribution  afin de répondre au besoin environnemental et social trop négligé jusqu’aujourd’hui par les méthodes d’audit traditionnelles. De plus cette réflexion a également pour objectif de tirer des enseignements concrets en évitant de se comporter purement en théoricien.

En effet, il convient de noter que les aspects environnementaux et sociaux ne constituent pas un domaine d’audit distinct mais sont présents de manière transversale dans les différents domaines audités par la Cour des comptes européenne. Il s’avère qu’en traitant cette problématique, les questions soulevées  paraissent  plus nombreuses que l’ébauche de quelques réponses, ce qui nourrit davantage la réflexion au sujet du contrôle environnemental et social.

Il convient alors d’admettre  que notre démarche produise davantage de questions que de réponses dans le but de nourrir une réflexion au sujet de l’environnement et du social dans les missions d’audit de performance de la Cour des comptes européenne.

Démarche méthodologique

On propose de mener une recherche de type exploratoire; il ne s’agit pas de tester un modèle particulier ou de procéder à un apport théorique dans ce domaine. Il s’agit de réfléchir sur  les améliorations qu’on pourrait apporter aux différentes méthodes d’audit de la Cour des comptes européenne par l’intégration des considérations environnementales et sociales.

Pou cela  on citera deux exemples concrets externes accordant un intérêt majeur aux problématiques d’audit des aspects environnementaux et sociaux par la création d’antennes dédiées au développement durable au sein des institutions supérieures de contrôle :

- la création du poste du commissaire à l’environnement et au développement durable au sein du Bureau du vérificateur général du Canada en 1995 ;

- la création d’un centre ICISA  (international Centre for information Systems and audit) à Noida en inde.

Nos principales sources d’informations  au sein de la Cour des comptes européenne sont les suivantes :

-         les rapports d’audit de la Cour des comptes  européenne;

-         des informations recueillies auprès des différentes chambres de la Cour des comptes européenne.

Les données recueillies sur le plan interne nous ont permis de constituer un inventaire des différentes missions d’audit de la cour des comptes européenne qui couvrent le champ  de notre préoccupation.

-Objectifs et apports recherchés

Il s’agit de s’interroger sur:

- les attributions de la Cour des comptes européenne. Celles-ci permettent-elles d’auditer les questions environnementales et sociales?

- la Cour des comptes européenne a-t-elle les capacités techniques et humaines suffisantes  pour auditer les questions environnementales et sociales?

-la valeur ajoutée de la prise en compte des questions environnementales et sociales de la Cour des comptes européenne dans l’exercice de sa mission principale vis-à-vis des citoyens européens.

Il nous semble qu’il faut s’inspirer de la stratégie de développement durable du Bureau du vérificateur du Canada 2014-2016 visant l’amélioration de la gouvernance et la gestion du développement durable des entités auditées.

Cette stratégie donne une très grande importance aux organisations fédérales qui ont des responsabilités à l’égard de la politique en matière d’environnement et de gestion des ressources, en accordant une attention particulière aux aspects sociaux et économiques du développement durable.

On aura donc une approche de caractère épistémologique qui nous amènera à nous interroger notamment sur les points suivants: A quoi pourrait servir l’audit des aspects environnementaux et sociaux pour la Cour des comptes européenne? Pourquoi une réflexion de ce type nous semble enrichissante et profitable pour comprendre l’utilité de ce nouveau concept d’audit ?

Vers de nouvelles pratiques

Précisons que nous nous  inscrivons dans une perspective particulière , et en vue  de cerner les enjeux de cette réflexion, il convient de la replacer dans les débats sur la stratégie de l’Europe 2020 qui a pour ambition de bâtir un nouveau modèle économique, basé sur la connaissance, respectueux de l’environnement et assurant la cohésion sociale. A ce titre, il faut souligner que parmi les objectifs qui incarnent cette stratégie, en matière d’environnement ,la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 pour cent ,ainsi  que la promotion de  l’utilisation d’énergie provenant de sources renouvelables à hauteur de 20 pour cent et enfin assurer  l’augmentation de l’efficacité énergétique.

En matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, il s’agit de réduire d’au moins 20 millions le nombre de personnes touchées par la pauvreté et l’exclusion sociale.

Ces deux ambitions clefs ne peuvent être ignorées par la Cour des comptes européenne, qui devra en tenir compte dans le cadre de sa stratégie 2013-2017.De ce fait elle se retrouvera parmi les acteurs principaux face à ces défis.

Pour réaliser cet objectif, la Cour des comptes européenne, devra approfondir sa compréhension des aspects sociaux et économiques du développement durable. Elle a déjà tracé partiellement la ligne directrice pour l’audit environnemental, dans sa stratégie d’audit 2009-2012.

Afin de répondre à ces nouvelles préoccupations, il s’agira de:

- Contribuer à l’élaboration d’indicateurs environnementaux de mesure objective relatifs à l’instauration de cette culture d’audit au sein de la Cour des comptes européenne et à une typologie des besoins pratiques en la matière.

Il s’agira alors de fixer les principes généraux de la démarche d’audit environnemental et social et de répondre à deux grandes questions :

1) Qu’apporte l’audit environnemental et social  et comment l'organiser et le mener à bien?

Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’une analyse des perspectives de recherche globale d’élaboration d’une plate-forme de l’intégration des considérations environnementales et sociales.

L’objectif est de permettre à la cour des Comptes européenne de rendre compte des impacts potentiels ou avérés sur le plan environnemental et social, de l’ensemble des mesures prises par les différents programmes, projets et politiques de l’Union européenne.

Dans ce cadre il s’agit d’essayer de mettre en cohérence l’audit environnemental et social de la cour des comptes européenne avec la stratégie européenne de 2020.L’objectif principal de celle-ci est de concilier le développement économique, la protection de l’environnement et la cohésion sociale des générations présentes et futures.

2) Quelle réponse la cour des comptes européenne va-t-elle pouvoir apporter à ces nouvelles préoccupations?

La Cour des comptes européenne est censée rendre compte aux représentants des citoyens européens et doit pour ce faire disposer d’un arsenal méthodologique apte à répondre aux différentes attentes de ces derniers.

La stratégie d’audit du développement durable

Afin de cerner cette problématique, il convient de s’interroger  sur les décisions prises dans le domaine du développement durable et sur le diagnostic chiffré des actions déjà établies.

Ce  questionnement  pose inévitablement le choix pertinent des indicateurs à utiliser.

Afin de déterminer si l’UE s’inscrit effectivement dans une dynamique de développement durable, il faut quantifier et mesurer cette inscription. Comment la Cour des comptes européenne auditera alors la durabilité du développement durable? Les indicateurs classiques, tel le produit intérieur brut (PIB) s’avèrent très défaillants à cet égard. De même, les critères environnementaux, relatifs à des prélèvements de ressources ou à des émissions polluantes, ne permettent pas d’orienter la prise de décision ni de se prononcer sur l’efficacité des mesures prises.

On dispose aujourd’hui de plusieurs définitions du développement durable, mais  la plus célèbre à laquelle on se réfère généralement, a été proposée en 1987 dans le rapport de Brundtland.

Le développement durable ou encore le développement soutenable, a été défini en 1987 par la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations Unies (ONU) présidée par G.H.Brundtland « le développement durable est un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

Spero Adotevi note à cet effet que le concept de développement durable est aujourd’hui l’axe principal de tous les projets dans le monde qui veulent se donner quelques chances de succès[1].

Cinq années plus tard, en 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, au Brésil, un plan directeur a été établi en vue de rendre durable pour le vingt-et-unième siècle le développement sur les plans environnemental, économique et  social.

La même commission des nations unies pour le développement durable a organisé le sommet de la terre en 1992, à Rio de Janeiro, son agenda 21 précise que le concept de développement durable doit intégrer transversalement les trois piliers de l’économie, de l’environnement et du social.

Dans cet agenda, chaque Etat signataire s’est engagé à créer une commission nationale du développement durable, à définir une stratégie nationale de développement durable, et à envoyer un rapport tous les deux ans à la commission du développement durable de l’ONU qui rend compte de sa mise en œuvre.

Depuis le sommet de Rio et sur la base du constat de dégradation continue des ressources naturelles, la communauté internationale a mis l’accent sur la nécessité pour les pays, de mettre en œuvre des stratégies et politiques qui prennent en compte des principes de développement durable tels que définis par l’agenda 21.Ce programme précise que « le développement durable  n’est possible qu’à travers une vision intégrée qui associe les composantes sociales, économiques et environnementales dans une démarche qui implique tous les groupes d’acteurs ».

Il ne peut y avoir d’assurance de développement durable sans un environnement qui favorise et protège la santé humaine sous tous ses aspects et incluant la lutte contre la pauvreté. À ce propos, il est bon de rappeler le premier principe de la déclaration de Rio « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

Dix ans plus tard, en 2002, à Johannesburg, en Afrique du Sud, s’organisait le Sommet mondial sur le développement durable qui faisait suite au Sommet de laTerre de Rio. Lors de ces deux sommets, les pays se sont engagés à préparer des stratégies nationales de développement durable. Ces stratégies seraient notamment vérifiées par les institutions supérieures de contrôle. Les vérifications environnementales devraient fournir l’assurance de la conformité à la politique et à la législation environnementale nationale ainsi qu’aux accords internationaux en la matière.

Les conditions pour la mise en application du nouveau concept d’audit des aspects sociaux et environnementaux nécessite la mise en œuvre d’outils plus au moins innovants regroupés sous la comptabilité environnementale (budgets environnementaux; coûts externes environnementaux; tableaux de bord verts, …).

Ces indicateurs constituent une base de donnés et une source d’informations pour la Cour des comptes européenne de par l’usage qui en serait fait  par les organismes audités.

L’objectif pour l’auditeur de la Cour des comptes européenne est d’évaluer le niveau de performance environnementale; d’identifier les points éventuels à améliorer et d’aboutir à un profil et un bilan environnemental.

L’environnement comporte souvent des lacunes et les données sont dispersées ou incomplètes au niveau local, régional et international. Par ailleurs on notera que les travaux d’audit se font par nature a posteriori et sont généralement de nature rétrospective, alors que les enjeux environnementaux de leur côté nécessitent une évaluation dynamique de l’incidence possible des politiques et des programmes.

Dans ce cadre la Cour des comptes européenne devra exiger des informations détaillées sur les ressources naturelles au lieu de simples comptes annuels et sortir du schéma de pensée classique.

Cette participation à des audits environnementaux et sociaux à notre sens, est un domaine où les décisions prises aujourd’hui dessineront les évolutions et les progrès en la matière. La Cour des comptes européenne sera alors le seul acteur du secteur public qui, dans les faits, est suffisamment indépendante pour se pencher sur un avenir qui n’est pas immédiat et voir au-delà de la durée de vie d’un gouvernement. En un mot, son action est par les objectifs recherchés devra s’inscrire dans une perspective à long terme.

Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de prendre une décision difficile, comme par exemple la participation à l’augmentation du prix de l’eau, la réduction de la déforestation, l’instauration d’une taxe de pollution sur les déchets pour les entreprises ou la limitation au recours excessif aux produits fertilisants.

Par ailleurs, les pays de l’Union européenne ont tenté de régler des problèmes environnementaux en créant des fonds multilatéraux comme le Fonds pour l’environnement mondial et les Fonds d’investissement climatique. Ces fonds se composent aussi de deniers publics et la Cour des comptes européenne devra donc être en mesure de les auditer en intégrant dans sa méthode les considérations sociales et environnementales.

L’instauration au sein de la Cour des comptes européenne de cette nouvelle culture d’audit  demande des compétences particulières en matière d’audit de développement durable. Ceci ne peut se faire sans réfléchir à la création d’un centre de compétence en matière de développement durable rattaché à cette institution.

Ce centre pourra entre autre renforcer et former des auditeurs dans ce domaine dans les pays membre de l’union européenne, cette ambition nous  semble incontournable.

En Inde, il a  été crée un centre d’audit qui met un accent particulier sur les aspects environnementaux (international centre for information system and audit, international training centre of the comtroller and auditor général of India) à Noida.

Par ailleurs, cette pratique a également été adoptée par le Bureau de vérificateur du Canada, en effet ce dernier a élargi son mandat afin d’inclure les questions liées au développement durable par l’établissement d’un poste de commissaire à l’environnement et au développement durable.

L’intégration de ces compétences en matière d’audit environnemental et social s’inscrit clairement dans le cadre de la stratégie de 2013-2017de la Cour des comptes européenne.

*Driss Boucetta est chercheur en évaluation environnementale à l’université Paris1Panthéon –Sorbonne- et expert international  en audit environnemental. Il  a été accueilli le 13 janvier 2014 par la Cour des comptes européenne à Luxembourg à la Chambre I – Unité -Pêche, Environnement et  Santé-  Il a participé à des missions d’audit de cette grande institution  européenne en tant que spécialiste  en audit environnemental. D. Boucetta Driss est le premier  Arabe et Africain ayant pris part  à des différentes  missions  officielles d’audit  de la Cour des comptes européenne à Luxembourg au sein des  différentes directions de la commission européenne à Bruxelles.