Juste les faits. Seulement les faits.
Par AbdejlilnLahjomri, Secru00e9taire perpu00e9tuel de lu2019Acadu00e9mie du Royaume

Sur le site quid.ma, le pertinent et perspicace Noureddine Afaya a traité avec le courage lucide qui lui est coutumier de la « vigilance déontologique » que les médias devraient exercer sur les médias. M. Elmedlaoui, dont les analyses sont surprenantes par leur richesse documentaire s’est joint à lui pour disserter sur « l’ignorance, la frivolité, le manque d’intégrité qui menacent souvent la profession journalistique ».

Est-ce l’air du temps qui a fait qu’au moment même où je prenais connaissance de leurs propos, je m’apprêtais à rendre compte aux lecteurs qui me font l’amitié de me lire d’un petit livre qui regroupe les interviews de trois journalistes français, chevronnés, controversés, mais sincères dont le titre est « Faut-il croire les journalistes ? ». Il s’agit de Serge July, de Jean-François Kahn et d’Edwy Plenel. Il ressort à la lecture de ces entretiens et des analyses de mes confrères que le but de la presse écrite, orale ou télévisuelle est d’informer, de juste rapporter les faits. Qu’est-ce qui pourtant fait que les journalistes sont souvent suspectés de les manipuler et comme l’affirme Elmedlaoui dans leur majorité de réfléchir à la place du lecteur et au nom du peuple. Noureddine Afaya n’hésite pas à parler dans ce cas de dérapages sur les « plans éthiques et professionnels » et espère l’instauration de mécanismes de surveillance qui permettent aux médias d’exercer leur métier en toute liberté. On dit souvent que les médias sont un contre pouvoir. Mais dans contre pouvoir il y a pouvoir. Où se situerait donc le contre pouvoir à ce pouvoir pour qu’il ne soit pas tenté de tout dire, tout se permettre au nom de la liberté de dire. Les techniques actuellement à la disposition des journalistes sont tellement sophistiquées que la « forme comme le dit si justement N. Afaya, fait partie du contenu ». La vérité pour l’un serait un faux pour l’autre. Serge July à la question qui lui est posée a répondu qu’elle mettait les journalistes en position d’accusés et que s’il se mettait à la place du lecteur, il répondrait qu’il éprouvait à la fois « de la confiance et de la méfiance ». Serait-ce que dans les médias, le « faux et le vrai cohabitent et s’équivalent », comme cela lui semble être le cas dans Internet ? Le métier de journaliste quand le journaliste l’exerce dans l’observance d’un « code déontologique » que lui-même, imposerait à lui-même, (dans l’attente qu’un pouvoir de surveillance déontologique (Afaya) voit le jour, mais le verrat- il, ce jour ? Et est-il souhaitable qu’il le voit parce que dans ce cas là qui « éduquera les éducateurs) est un métier périlleux. Serge July dit que c’est un métier de « funambule, marchand sur un fil au risque de tomber à tout moment d’un côté ou de l’autre ».

Beaucoup luttent désespérément pour ne pas tomber, beaucoup tombent de l’autre côté : le côté de l’idéologie, de la politique politicienne, du sensationnalisme, du misérabilisme, de l’argent, de l’argent idéologique ou religieux, ou simplement de la rumeur qui finit par revêtir les aspects d’un fait, donc d’une information, une information qui deviendrait ainsi éligible à la diffusion au nom de la liberté de la dire. On finit par ainsi réinventer les faits à partir de ce qui n’a jamais constitué ni un fait, ni un événement mais un fantasme de faits, un fantasme d’événement… Quant à Jean-François Kahn, il répond ainsi à la question « Peuton faire confiance aux journalistes ? » « J’ai connu une presse et un temps où, assurément on ne pouvait pas faire confiance à un nombre considérable de journalistes. Un temps où ce qui gênait était occulté ». En fait ajoute-t-il « la presse n’a jamais fait son autocritique, elle ne l’a fait qu’une fois sur le prétendu massacre de Timisoara en Roumanie, devenu un cas d’école ». La presse faisant son autocritique, là résiderait probablement le contre pouvoir à ce pouvoir. Le courage qu’il faut pour s’y engager ferait de la presse non un instrument de régulation de l’opinion publique (Elmedlaoui) mais plutôt un instrument de régulation de la presse elle-même, une autorégulation en somme (Afaya). Mais encore une fois qui « régulera ces autorégulateurs ? » Qui témoignera du bien fondé de leur autocritique ? Edwy Plenel, lui, sans hésiter, affirme que « oui, il faut faire confiance aux journalistes et les croire, c’est ce qui légitimerait leur fonction… Le journaliste n’a qu’une compétence : rapporter des vérités factuelles… il ne s’agit pas de la vérité entendue comme absolu dominateur mais de toutes ces vérités de fait sans lesquelles il ne saurait y avoir de monde commun… sur quelque support que ce soit : « chercher, trouver, sourcer, vérifier, recouper, contextualiser, historiciser…». Et il rappelle la réponse de deux auteurs américains Bill Kovach et Tom Rosensthial dans leur livre « The Elements of journalism » à la question « A quoi servent les journalistes ? » À produire disentils des informations à destination d’un public citoyen afin qu’il puisse être «free and self gouverned »…. Et il conclut « un journaliste détenteur d’une information neuve, inédite, pertinente, est un réformateur beaucoup plus efficace qu’un éditorialiste », ou un chroniqueur ajouterai-je. « Ce ne sont pas les opinions qui font l’opinion mais les informations ». Juste les faits. Mais, avoue-t-il, ce journalisme n’existe pas encore chez eux, en France ? Existerait-il chez nous ou ailleurs de part le monde? La presse reste cependant ambivalente dans son fonctionnement, dans son statut. Manipulée souvent par ceux-là mêmes qui habillent les faits par idéologie pou par intérêt mercantile, elle est source de danger pour elle-même. Elle utiliserait dans ce cas là, ce que R. Barthes appelait un discours « cosmétique ». On se trouverait surtout en présence d’un discours qui n’a « aucune valeur de communication… un discours qui au lieu d’exposer et de fixer l’événement le recouvre d’un bruit de langage ». « Il suffirait de lire vrai, authentique, indissoluble ou unanime pour lire là le creux de la rhétorique ». Ces techniques sont connues… R. Barthes les regroupe sous l’expression : procédés « de mystification du langage bourgeois» qui consiste à donner à un terme le sens de son propre contraire. Servie par ceux-là mêmes, rigoureux et exigeants (et il y en a) qui voient en elle une « profession au service d’un droit fondamental de l’homme, le droit de savoir et d’être informé des faits » juste des faits, elle peut-être une des professions les plus nobles que l’on puisse exercer. Nos instituteurs nous demandaient souvent au début de chaque année scolaire de remplir une fiche et d’y inscrire la fonction que nous aimerions exercer à l’avenir. La passion des mots me poussait à avouer que je voulais devenir écrivain comme si être écrivain était une profession ou journaliste, mais être journaliste en est une. À cause de cette ambivalence je ne sais si je conseillerai encore aujourd’hui à un jeune élève de devenir journaliste. Ou alors il aurait fallu qu’il inventât un journalisme des faits, rien que des faits, seulement des faits, qui n’existe pas encore, qu’il l’affronte comme un défi, pour qu’il ne tarde pas à éclore dans nos contrées, et qu’il n’y demeure pas comme une embarrassante et paralysante utopie ❚