Fusions & Acquisitions : l’âge d’or des obligations pourries
Eric Denoyer (Numericable), Patrick Drahi et Dexter Goei (Altice)

Les entreprises européennes utilisent de plus en plus les obligations à haut rendement ou (junk bonds) pour financer leurs projets d’acquisition. Une approche qui ravive les espoirs d’une reprise tant attendue dans les affaires européennes grâce à cette nouvelle source de financement. Selon Barclays Research, nombre d’entreprises européennes ont mis 15 milliards € dans des créances à haut rendement pour le financement de projets de fusions et acquisitions (Merger & acquisition) au cours de cette année, contre 9,6 milliards d’euros seulement pour l’ensemble des M&A entreprises l’année dernière. Certains groupes ont dépensé environ un tiers des obligations de pacotille sur les M&A, contre 12% l’an dernier. La capacité des marchés de capitaux d’emprunt à financer les méga- deals avec des obligations de pacotille, ou « pourries » pour les initiés, a été illustrée le mois dernier lors de la transaction de Numericable, le câblo-opérateur français, et sa maison mère Altice, en levant un montant record sous forme d’obligations à hauteur de 16,7 milliards de dollars pour financer la prise de contrôle de SFR, filiale de télécommunications de Vivendi. Les analystes disaient être surpris par la demande pour la combinaison prêts/obligations dotées d’une notation Ba3 par Moody’s. Ils ont, en fait, attiré 100 milliards de dollars de commandes à travers le monde. À la suite de la transaction record, certains banquiers estiment que le marché des obligations à haut rendement pourrait désormais être utilisé pour financer des acquisitions allant jusqu’à 40 milliards de dollars. « Cette opération nous rappelle à quel point le marché des titres à rendement élevé est propice en ce moment pour les entreprises désirant lever de grandes réserves de capitaux», a indiqué Marty Fridson, directeur des investissements chez LLF Advisors. « Certes, les entreprises et les banques d’investissement aux États-Unis ainsi qu’en Europe ont bien pris note de la transaction Numericable qui pourra aussi encourager d’autres entreprises à suivre son approche » Les analystes de Standard & Poors ont indiqué que la transaction Numericable/Altice était un « facteur de promotion positif pour le marché des M&A en Europe, qui a connu un rebond spectaculaire aux États-Unis depuis 2013». L’une des raisons de cet engouement pour les junk bonds dans les M&A est la baisse du coût de ce type de financement au cours des dernières années. Le rendement moyen des obligations notées dans la catégorie spéculative est en baisse de 4,15% - après le pic de 25,3% au plus fort de la crise financière en 2008. Il était encore situé à 11,3% il y a trois ans, selon les données de JPMorgan. Aux niveaux actuels, le coût de l’acquisition de sociétés d’obligations à haut rendement se compare favorablement avec les prêts à effet de levier plus traditionnellement utilisés pour les M&A. «Au cours des deux dernières années, nous avons observé une transition des prêts vers les obligations. Et les obligations à rendement élevé sont le secteur le plus dynamique du marché», soutient Darpan Harar, analyste chez Barclays. «La taille et la profondeur du marché signifie que cet instrument sera de plus en plus utilisé pour le financement des M & A ». Taron Wade, analyste de crédit chez S&P, a indiqué « qu’une grande partie de l’émission récente d’obligations à haut rendement a été utilisée pour le refinancement, ce qui attisera donc l’appétit des investisseurs pour contracter de nouvelles M&A.» ❚