Mériame Mezgueldi : « L’artiste doit toucher là où ça fait mal »
Mu00e9riame Mezgueldi.

Peintre professionnelle depuis une quinzaine d’année, Mériame Mezgueldi est une artiste engagée qui tient à valoriser la place de la femme en Occident mais aussi au Maroc, son pays d’origine. Influencé par l’univers coloré et lumineux de Van Gogh, son style expressionniste figuratif, à la fois coloré et transparent, rend compte de sa perception du réel, en cherchant à suggérer et non à démontrer. Son originalité tient à son double parcours, une formation classique en Beaux Arts, avec un cursus en communication graphique numérique.  À travers sa dernière exposition tenue fin avril au Sofitel Tour Blanche à Casablanca « Sois belle et tais-toi », elle tente de saisir la réalité de la femme marocaine immigrée tout en suggérant le caractère universel de la condition féminine avec ses doutes, ses joies et ses émotions. Rencontre avec une artiste sensible et passionnée qui se dit être une solitaire solidaire.

 

L’Observateur du Maroc.

Qu’est ce qui a inspiré le choix du sujet « Sois belle et tais-toi » ?

MÉRIAME MEZGUELDI.

J’aime bien titiller et attiser l’intérêt des gens par un titre d’une toile ou d’une expo. Ça fait partie du rôle de l’artiste de toucher là où ça fait mal.

Dans vos toiles, vous êtes plus sensible à la condition de la femme maghrébine immigrée ?

Je m’intéresse à la femme immigrée et à la femme marocaine en général, dans une époque où on est dans le repli sur soi, où on nous fait croire que la culture est universelle. Sans mettre l’accent sur les particularismes folkloriques, j’aime exploiter cette diversité, ce n’est pas que l’immigrée ou la femme marocaine, ça peut s’étendre largement. La femme m’inspire parce qu’on la sous-estime grandement et pourtant, elle a une fonction importante dans la transmission des valeurs. Le cas des femmes immigrées est plus criant parce que, même si elles ont un rôle important dans la société, il y encore des aprioris qui persistent. Le rôle de la femme est souvent dévalorisé dans la plupart des sociétés actuelles, qui fonctionnent encore sur un modèle très patriarcal. D’ailleurs, l’une des dernières toiles que j’ai faite, c’est une Femen qui est en train de se laver dans un hammam et qui porte une couronne de fleurs, elle est révélatrice d’un état de société dans lequel on vit. Elle est un peu dénudée tout en étant pudique.

Cherchez-vous parfois à provoquer ?

Je ne suis pas dans la provocation, c’est plutôt une prise de conscience. C’est un peu la même démarche qu’on retrouve dans mon exposition « Etranges étrangers » (France), avec ma toile de l’étranger crucifié dans le pays d’accueil.

Vos peintures sont un mélange de réel et de fiction ?

C’est romancé, un peu à l’image d’un metteur en scène dans une pièce de théâtre. En fonction de mon histoire personnelle, de ce que je traverse, je restitue la réalité, le tout dans la transparence. C’est une superposition de travail qui me permet de dire les choses, tout en laissant apparaître un élément plus important qu’un autre.

Vous faîtes aussi de la décoration de façades d’immeubles, vous réalisez des fresques,…

Ça permet de gagner sa vie. Le fait de travailler sur plusieurs supports, soit ça déstabilise l’artiste, soit, ça l’enrichit, moi, ça m’a enrichi. Des fois, je peins un mur, des fois, j’expose dans une galerie, la vie est faite d’opposition…Je suis professionnelle, mais parfois, on est tenté de baisser les bras, surtout dans un monde très machiste. Mon père m’a toujours soutenu en me disant : ce n’est pas grave, tu es ma Van Gogh, ma fille…(rires)

Que pensez-vous de la condition de la femme au Maroc ?

Je suis originaire du nord, de Tétouan, et je me rappelle qu’à une époque, sur 10 femmes, il y avait 5 voilées, c’était un juste équilibre, aujourd’hui, il y a 9 voilées sur 10. J’ai l’impression que de nos jours, ne pas être voilée, est un acte militant, je ne parle pas de villes comme Casablanca et Rabat où les femmes sont plus modernes et plus accomplies et où on tend à s’uniformiser. J’ai plutôt du mal à comprendre ce qui se passe ailleurs, j’essaie de poser des questions à des intellectuels sur place. J’observe et j’essaie de décrypter la réalité pour mieux la restituer après. Ce qui me rassure au Maroc par contre, ce sont les festivals, le cinéma,… J’ai l’impression qu’au niveau des artistes, il n’y a pas de véritable censure. C’est encourageant, mais en même temps, il y a un alphabétisme énorme et une jeunesse qui est prise entre deux mondes.

Qu’est ce qui vous a donné envie de peindre ?

Je suis née dans une famille nombreuse, on avait peu de moyens et on sortait très peu. Je me rappelle qu’à 9 ans, je dessinais ma chambre, mon lit,… Dessiner a toujours fait partie de mon mode d’expression, cela dit, je ne me suis jamais imaginée réaliser ce rêve, c’est avec les années que j’ai pris conscience que j’étais peintre et que j’étais une inspirée qui me bridait intérieurement, l’évident s’est imposé.

Quels sont les peintres qui vous ont inspiré ?

À l’âge de 13 ans, j’avais fait un exposé à l’école sur Van Gogh. C’est quelqu’un qui m’a perturbé dans mon enfance, ses traits et ses couleurs vives m’ont beaucoup marquées.

Avez-vous d’autres passions ?

La peinture (rires). Je suis une solitaire solidaire. Malheureusement, aujourd’hui, il y a une concurrence acharnée qui déshumanise l’art et la peinture et je ne veux pas rentrer dans cette déshumanité. Pour moi, la peinture est un fait salvateur et ça permet de s’ouvrir un maximum aux autres.

Quels sont vos projets ?

La peinture, c’est l’accomplissement d’une vie, donc, j’espère toucher les gens et continuer, grâce à eux, à peindre. Peindre pour soi, ce n’est plus suffisant, c’est important que ça soit vu pour donner de la valeur à son travail. J'aimerais que mes toiles présentées au Sofitel de Casablanca puissent faire une carrière itinérante pour d"autres expositions, à Marrakech, Essaouira ou ailleurs...