El Hassan Daki : « Les chiffres du mariage des mineurs sont inquiétants »
les chiffres réels du mariage des mineurs restent beaucoup plus importants que ceux annoncés

Les tribunaux du Royaume croulent sous les demandes de mariages de mineures. Un phénomène alarmant, selon El Hassan Daki, le président du Ministère public.

Rien qu’en 2019, 27623 demandes d’autorisation de mariage de mineures ont été déposées auprès des tribunaux du royaume. « Des chiffres hautement inquiétants », commente El Hassan Daki, le président du Ministère public lors de l’atelier de coordination entre le Ministère public et le Ministère de l’éducation nationale, tenu à Marrakech ce lundi 12 avril 2021. « Si en tant que juges nous ne sommes pas responsables des chiffres alarmants des demandes de mariage de mineurs car c’est plutôt une problématique culturelle et socio-économique, nous sommes par contre responsables du nombre d’autorisations accordées », note Daki.

Rappelant l’aspect particulier et exceptionnel de ce type d’autorisations, le responsable a insisté sur l’importance de faire valoir l’intérêt de l’enfant avant la prise de toute décision concernant son avenir. « Cette situation inquiétante devrait interpeller tous les intervenants et les acteurs de la protection de l’enfance. Il faut redoubler d’efforts pour limiter la propagation du phénomène et son développement », ajoute le président du Ministère public.

Les vrais chiffres

Ce dernier a annoncé par la même occasion l’aboutissement imminent d’une étude sociologique lancée par le parquet et ayant pour objet l’analyse du phénomène du mariage des mineurs dans notre pays dans ses aspects économique, social, juridique et culturel. Dévoilant la véritable ampleur du phénomène via des chiffres plus proches de la réalité, l’étude se penche également sur l’impact du mariage précoce sur les mineurs. D’après Daki, cette étude révèlera également le destin des mineurs et leur vie après l’autorisation de mariage. Un travail de terrain et de fond qui a pour objectif l’analyse du phénomène tout en révélant ses chiffres réels souvent sous estimés.

Selon une récente étude du Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (UNICEF), une lourde menace pèse sur la lutte contre le mariage des mineurs à cause de la pandémie de Covid-19 et ses différentes répercussions. D’après les données alarmantes de cette nouvelle étude, les progrès réalisés en la matière durant ces dernières années risquent de partir en fumée. L’agence onusienne affirme que dix millions de mariages d’enfants supplémentaires risquent d’être conclus d’ici la fin de la décennie. « Des prévisions catastrophiques qui risquent d’anéantir des années de progrès pour réduire cette pratique », prévient l’UNICEF.

L’effet Covid-19

Intitulée « Covid-19 : Une menace pour les progrès enregistrés contre le mariage des enfants », cette nouvelle étude analyse les causes et les répercussions de la pandémie sur l’avenir de millions de filles à travers le monde. Fermetures d’écoles, contraintes économiques, perturbation des services, décès durant la grossesse et décès parentaux imputables à la pandémie... sont autant de facteurs qui augmentent les risques de mariage pour les filles les plus vulnérables. Si la pandémie a aggravé davantage la situation, cette dernière n’en demeurait pas moins inquiétante auparavant.

Toujours d’après l’UNICEF, 100 millions de filles étaient déjà exposées au risque d’être mariées pendant leur enfance durant la prochaine décennie. Avec un taux de baisse de l’ordre de 15%, le mariage des mineures concerne dorénavant une femme sur cinq au lieu de quatre. Ainsi quelque 25 millions de mariages ont ainsi été évités. Des progrès qui sont aujourd’hui compromis à cause de la pandémie qui a aggravé une situation déjà difficile pour des millions de filles dans le monde, affirme-t-on auprès de l’Unicef

L’hémorragie continue

Le Maroc n’échappe pas non plus à la tendance et le mariage des mineures continue de faire des victimes et de briser des destins. Selon les données du Ministère de la justice, 319 177 demandes de mariages des mineures ont été accordées entre 2009 et 2018. D’après une étude nationale sur le mariage des mineurs publiée en mars 2020 par l’association « Droits et Justice », le fléau expose ces filles à de réels dangers.

« Le mariage coutumier persiste avec un pourcentage non négligeable de 13% en milieu rural, contre 6,56% en milieu urbain. Ceci malgré les efforts déployés par le gouvernement pour venir à bout de ce phénomène », expliquent les initiateurs de l’étude. « Ce type de mariage représente un taux très important, égal parfois, à celui du mariage authentifié » alerte l’étude tout en dénonçant la persistance du mariage des mineures dans les différentes régions et spécialement celle de Casablanca-Settat qui reste la plus touchée par le phénomène avec un taux de 19.86%.

Interdiction formelle ?

Malgré son interdiction par la loi, le mariage des mineurs est toujours aussi répandu au Maroc. « Le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l'âge de la capacité matrimoniale prévu à l'Article 19 ci-dessus, par décision motivée précisant l'intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, au préalable, les parents du mineur ou son représentant légal. De même, il aura fait procéder à une expertise médicale ou à une enquête sociale », stipule en effet l'article 20 du Code de la famille.

Un dispositif légal qui permet certaines dérogations et qui rouvre la porte au mariage précoce des jeunes filles. Un état des lieux qui remet sur le tapis le grand débat sur une interdiction formelle de ce type de mariage pour une protection optimale des intérêts des mineurs, comme l’ont toujours réclamé les associations féministes et des droits humains.