Tcharmil : Malaise profond ou manip ?

« Tcharmil est une opération orchestrée par certains milieux pour déstabiliser Casablanca et nuire à sa vocation de future place financière internationale », soutient, d’un ton on ne peut plus sérieux, Mohamed El Bahri, chef de district à Casablanca. Ce représentant de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a émis cette fracassante hypothèse lors de la conférence organisée par l’association Relais prison-société, le 20 mai 2014 à Casablanca. Cette théorie du complot est pour le moins discutable !

La fiabilité des informations

Les pièces de conviction du représentant de la Sûreté nationale sont les suivantes : « Les rumeurs sur les attaques subies par le café Paul à Casa, l’assassinat d’un commerçant à Derb Ghellaf et le cambriolage d’un salon de coiffure. Toutes ces informations se sont avérées être fausses », avance-t-il. Dans la foulée, Bahri expose quatre photos publiées sur la page Facebook de « Tcharmil ». « Ces clichés ont été retouchés ou sortis de leur contexte originel », note le représentant de la DGSN. Et de conclure : « Nous sommes face à une opération de manipulation pour créer un sentiment d’insécurité. La situation sécuritaire est normale à Casablanca ».

Ces arguments posent la question de la fiabilité des informations fournies par les services de sécurité sur « Tcharmil ». Rappelons que c’st sur la base de ces infos qu’une opération anti-tcharmil a été lancée, dirigée par le Ministre de l’intérieur en personne. Son bilan d’étape à Casablanca : 83 personnes arrêtées et sont actuellement poursuivies devant les tribunaux de la ville.

« Vampiriser les jeunes »       

Les autres intervenants lors de cette journée ont analysé le phénomène sous le prisme des sciences sociales. Le sociologue Jamal Khalil remet « Tcharmil » dans son contexte social. « Au sein de la famille, le père est en train de perdre son statut symbolique. L’école opère des sélections. Les espaces se ferment sur ces jeunes, produisant une frustration. Au final, les jeunes s’auto-excluent de la société et se disent qu’ils n’ont rien à faire dans ce pays ». Pour ce chercheur, l’opération « Tcharmil » n’a pas arrangé les choses : « Ces jeunes ont peur. Ils ont été vampirisés ». Ces premières conclusions sont issues de focus group réalisés avec des jeunes des quartiers défavorisés. Des rencontres encadrées par des doctorants membres du Laboratoire de différenciation sociale et identités sexuelles de la Faculté Hassan II de Casablanca.

Addiction aux drogues : Le Maroc court à la catastrophe

Jalal Taoufik, psychiatre et directeur du Centre national de prévention et de recherche en toxicomanie considère que « ces jeunes ne s’aiment pas. Leurs actes expriment une quête de pairs et de miroirs ». A ces facteurs internes s’ajoutent des facteurs externes. « L’évolution des usages des drogues au Maroc annonce une catastrophe absolue », prévient le directeur de l’hôpital psychiatrique Ar-Razi à Salé. Pour sa part, Me Omar Alaoune, représentant de l’ONG Adala (Justice) estime que « tcharmil » est une sonnette d’alarme que la société marocaine devrait saisir avant qu’il ne soit trop tard.

Les travaux de cette journée devront faire l’objet d’une publication coordonnée par la sociologue Fatima Mernissi.