Egypte, Al-Sissi : une victoire à la Pyrrhus
92% des voix pour al-Sissi

Il avait dit qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle égyptienne. Puis qu’il cédait aux demandes pressantes de la population. Le maréchal Abdel-Fatah al-Sissi était bien candidat à la succession de Mohamed Morsi, ce dont personne ne doutait depuis le premier jour, et il a été élu à la tête du pays avec 92% des voix. Ce n’est pas son challenger, Azzedine Sabahi, intellectuel nassérien, qui pouvait lui ravir sa victoire d’homme providentiel. Il y a pourtant un bémol. Celui qui a mis fin par un coup d’Etat, le 3 juillet dernier, au règne contesté du premier président civil et islamiste démocratiquement élu du pays, voulait une élection de maréchal et il l’a bien eue. En clair, le maréchal Sissi espérait un plébiscite des Egyptiens qui ferait oublier son péché originel - le putsch - et la chasse aux islamistes qu’il a entrepris depuis. Or, 37% des Egyptiens seulement sont allés voter les deux premiers jours du scrutin, les 26 et 27 mai. Une participation bien en deçà de celle des présidentielles précédentes, en juin 2012, qui avaient vu la victoire de Morsi. Les autorités ont donc ouvert les bureaux de vote un troisième jour, le 28 mai. D’où le résultat obtenu à la fin.

Aujourd’hui, l’Egypte est fracturée, coupée en deux. L’échec du gouvernement de Mohamed Morsi, son inexpérience, son absence de programme politique, en particulier en économie – l’armée et l’administration s’ingéniant à lui mettre des bâtons dans les roues, il faut le reconnaître – avaient poussé, l’an dernier, les Egyptiens à se détourner du président Frère musulman. Ils avaient largement applaudi le coup d’état du général Al-Sissi vu comme un sauveur. Mais lui aussi a dérapé. Son seul programme est d’en finir avec les Frères musulmans, ce mouvement vieux de 80 ans assimilé au terrorisme. En onze mois, la répression implacable de l’armée et des forces de l’ordre est responsable de plus de 1500 morts et de 41100 arrestations et jugements, dont ceux d’un millier de mineurs. 89% des Egyptiens interpellés l’ont été pour leur participation à des manifestations politiques. Seuls 4% sont accusés de terrorisme. A deux reprises, des procès collectifs ont condamné à mort plus d’un millier de supposés Frères musulmans. Des chiffres terrifiants qui n’englobent pas les Egyptiens détenus dans des prisons secrètes et dont on ne connaît pas les chefs d’inculpation. L’Egypte fait marche arrière. Elle semble de nouveau sur le chemin d’une dictature qui pourrait être pire que celle d’Hosni Moubarak. On comprend que les appels au boycott des urnes venus des Frères musulmans mais aussi des jeunes révolutionnaires du Printemps arabe, aient été entendus. Des membres du Mouvement du 6 avril, désormais interdit, ont été arrêtés. Ce sont eux qui s’étaient battus contre Hosni Moubarak. La logique répressive du maréchal al-Sissi accroît chaque jour la violence. Hier, le terrorisme était cantonné dans le Sinaï, à l’est du pays, aujourd’hui, il a gagné Le Caire. La pente va être difficile à remonter pour le nouvel homme fort de l’Egypte. Pour relancer l’économie et surtout faire revenir les touristes (4 millions d’emplois), il lui faut ramener la sécurité. Celle-ci ne reviendra qu’avec la paix des cœurs. L’argent de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe n’y suffira pas.