Mohamed El Ouafa, crâneur, gaffeur et fier de l’être

Un homme passe et vous dit : « Bonjour Monsieur ». A côté de vous, Mohamed El Ouafa vous demandera : « Tu as entendu ce qu’il t’a dit ? ». - Oui, j’ai entendu, il m’a dit bonjour Monsieur. « Non mais est-ce que tu as saisi la portée de son propos, sa dimension et sa profondeur ! » Si vous avez le malheur de répondre « non », c’est que vous n’avez rien compris au monde ni à rien d’autres d’ailleurs. Un passant vous dira en le pensant vraiment : « Demain je vais te tuer », le ministre délégué en charge des Affaires générales vous dira : « mais non, ne te fais pas de soucis ». Ainsi va El Ouafa, capable selon son humeur, son intérêt ou de ce qu’il veut vous faire croire, d’amplifier le banal et de dédramatiser le grave. Si on ne retient pas que c’est d’abord un personnage de théâtre ou théâtral, on ne comprendra jamais rien à Mohamed El Ouafa. Sa façon de s’esclaffer, souvent d’un faux rire, sa tête qui part en arrière pour revenir en avant les yeux miclos qui épient du coin de l’oeil votre réaction, résument l’acteur capable d’affecter la colère et d’afficher de fausses joies. Avec ses manières de marrakchi effronté, il anime le débat public, par la provocation, depuis qu’il était étudiant.

IL N’A NI FROID AUX YEUX NI LA LANGUE DANS SA POCHE.

Mohammed El Ouafa est encore dans ses couches quand il tombe dans les marmites de l’Istiqlal. Il suit le parcours du combattant. Scoutisme, Attarbiya wa Attahkhyim (éducation et colonies), jeunesse istiqlalienne, mais c’est dans le syndicalisme estudiantin à la tête de l’Union Générale des Etudiants du Maroc qu’il s’affirme. Il était alors l’un des rares étudiants istiqlaliens à braver la prééminence des usfpistes, à l’époque encore UNFP, et des gauchistes regroupés au sein de l’UNEM. Sa crânerie et sa fougue le rapprochent du leader historique de l’Istiqlal, Allal El Fassi, dont il a déjà en tête d’épouser la fille. Pour ses adversaires, c’est de l’opportunisme, pour lui c’est le coup de foudre et de l’amour. Mais son véritable mentor n’est autre que M’hammed Boucetta, Marrakchi comme lui et dauphin de Allal El Fassi. C’est donc tout naturellement qu’il devient en 1977 secrétaire général de la jeunesse istiqlalienne en même temps qu’il fait son entrée au parlement et ne le quittera qu’en 1997. Là aussi son sens de la répartie, pour ne pas dire ses écarts de langage, sa promptitude à partir au quart du tour en font l’une des principales attractions de la coupole. En 1983, à trente cinq ans, il entre, avec quelques autres dont Saad Alami, au comité exécutif siéger aux côtés des hiérarques du parti sans vraiment réussir à leur donner un coup de vieux. Mohamed El Ouafa est déjà formaté et n’ose pas déroger à la façon de penser de ses ainés. En dépit de sa grosse gueule, Mohamed El Ouafa sait distribuer les louanges, caresser ses supérieurs dans le sens du poil, rire aux blagues des patriarches même quand elles sont de la plus extrême des platitudes. La même année, il devient maire de la mythique Marrakech, poste qu’il conservera jusqu’en 1992. Sa montée en grade se fera progressivement mais sûrement. OEil, oreille et bras du secrétaire général de l’Istiqlal Mhamed Boucetta, c’est lui qui mène les troupes du leader istiqlalien face à celle de son rival de toujours, Mhammed Douiri, menées par un certain Hamid Chabat. La confrontation culmine au congrès de 1989 à Rabat. On imagine facilement le ring et sa grammaire. C’est à cette époque, début des années quatre-vingt-dix, que commence la préparation de l’alternance. Dans le dispositif de Mohammed Boucetta, Mohamed El Ouafa est une cheville importante. Autant en direction des socialistes qu’en direction de celui qui était alors le tout puissant ministre de l’intérieur, Driss Basri. Pour ses adversaires au sein du parti c’est l’occasion de semer le doute en jetant sur lui le soupçon de double jeu. Lui n’en a cure, il est en service commandé et répond comme à son habitude par la bravade. Mais vite, la préparation de l’alternance tombe en panne. Le rejet par l’opposition du projet de la constitution, la désertion de Abderrahmane Youssoufi après les communales de 1993, la fixation que fait Boucetta sur Driss Basri ralentissent le tempo de l’opération. Hassan II, las d’attendre, expérimente une nouvelle bifurcation pour réaliser l’alternance consensuelle. Il profite du discours de la fête de la jeunesse pour promettre un gouvernement d’union. Sans que l’évènement ne soit rendu officiel, il propose un peu plus tard au secrétaire général de l’Istiqlal de former le gouvernement. Les jeunes istiqlaliens de la direction du parti à l’image de Mohamed El Ouafa et Saad Alami jubilent. Ils ont juste oublié que les socialistes ne se laisseront pas déposséder du pilotage d’une mutation politique en gestation dont ils se savent le pivot. Hassan II lui-même pouvait-il imaginer que les héritiers de Abderrahim Bouabid seraient susceptibles de laisser le frère-ennemi istiqlalien prendre la tête du peloton ? Mais c’est une autre histoire. Les positions de Mhammed Boucetta qui a grandi dans le giron du Makhzen vont aller crescendo dans le sens du durcissement. Le chef de file des istiqlaliens avait, avant d’être appelé à former le gouvernement, pris position au parlement contre le premier ministre, Karim Lamrani, et le ministre d’Etat à l’Intérieur, Driss Basri. Le premier est parti mais le second est toujours en poste. Il deviendra par procuration le pushing ball du secrétaire général de l’Istiqlal dont la cote de popularité ne quittera plus la courbe ascendante. En même temps, elle attisera le courroux du palais à son égard. Mohamed El Ouafa suit son mentor. Parfois surenchérit. Cette confrontation, l’Istiqlal la payera aux législatives de 1997. Il en sort laminé. Personne n’était dupe. Mhammed Boucetta a été sévèrement sanctionné pour son entêtement de ces huit dernières années, lui, l’enfant du sérail. Par ricochet, Mohamed El Ouafa reçoit sa part du tir sur le canard sauvage. A la formation du gouvernement de l’alternance, février – juin 1998, il est proposé au ministère de l’équipement. L’émissaire royal, Abdelaziz Meziane Belfquih, fait savoir que pour ce département technique il faudrait un ingénieur. El Ouafa reçoit le message cinq sur cinq. A Abbas El Fasi qui lui propose le ministère de la privatisation, il répond en substance, on ne veut pas de moi, donc je n’y vais pas. Commence un exile doré mais exil tout de même dans des grandes contrées lointaines : l’Inde, l’Iran, le Brésil. Ambassadeur pendant onze ans, on l’oublie et s’oublie. A son retour, on le redécouvre tel qu’il est, un pur produit de la politique dans le sens politicien du terme, un homme qui tire plus vite que son ombre qu’il finit par en commettre et des grosses ❚

 

Quand El Ouafa s’enflamme 

« Les gens se sont tus, moi, je ne vais pas me traire sur ce que dit la loi à propos du Haut-Commissaire au Plan : Ce Monsieur n’est ni indépendant ni ‘lahoum yahzanoun’, j’ai le droit de lui parler ».

« Je suis le Parti de L’Istiqlal, c’est écrit sur mon front ». Déclaration donnée à Hibapress.

A Chabat dans une déclaration à Hibapress : « Si tu continues de dire ministre mineur, je te dirai ce que ne peut pas te dire Benkirane ».

Sur Medradio à Abbas El Fassi : « Que Dieu lui pardonne pour tout ce qu’il a fait ! »

A propos de l’écolière Raouia qu’il a conseillé d’aller se trouver un mari au lieu d’être à l’école : « Je regrette de m’être rendu dans cette école ».

 

 

Dates clés

1948 Naissance à Marrakech.

1969-1972 Président de l'Union Générale des Etudiants du Maroc (UGEM)

1969-1973 Secrétaire Général de l'Union générale des entreprises du Maroc (UGEP) 1976-1984 Secrétaire général de la jeunesse istiqlalienne

1976 Maître-assistant à la faculté de droit de Rabat

1977-1997 Député à la Chambre des représentants

1982 Membre du comité exécutif du parti de l'Istiqlal

1983-1992 Président du conseil municipal de Marrakech

2000-2004 Ambassadeur du Maroc en Inde et au Népal

2006 -2009 Ambassadeur en Iran et au Tadjikistan

2009-2011 Ambassadeur au Brésil, Paraguay, Surinam et Guyana

2012 Ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement Benkirane I.

2013

Refuse de démissionner de son poste à la suite de la décision prise par son parti de quitter le gouvernement et se maintient dans son poste à l"Éducation nationale

Ministre délégué auprès du Chef du gouvernement Chargé des Affaires générales et de la Gouvernance dans le gouvernement Benkirane II.

 

 

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