L’incroyable Si El Ouafa

MOHAMED EL OUAFA Voici un nom qui ne laisse personne indifférent. D’un côté, ses détracteurs, nombreux, voient en lui un « amuseur public dont les sorties sont souvent affligeantes ». De l’autre, ses admirateurs, parce qu’il en a et en grand nombre même parmi ses adversaires politiques, le présentent comme « un grand homme politique ». Le premier aspect est facile à exposer, la sulfureuse e-réputation du personnage n’étant plus à faire. Grâce à Youtube, les séquences les plus clownesques dont il est le héros sont immortalisées (voir photos). Il suffit de mettre le mot clé « Elouafa », El Ouafa ou encore Louafa dans la recherche de ce site de vidéos pour les visionner. Son dernier « film » en date montre Mohamed El Oufa, s’adressant, le 20 mai lors d’une séance des questions orales à la Chambre des représentants en sa qualité de ministre de la Gouvernance et des Affaires générales, au député UC Yassine Radi (neveu de l’ancien président du Parlement Abdelwahed Radi) en ces termes : « Toi qui t’inquiètes du pouvoir d’achat des Smigards, tu n’as qu’à partager avec eux la fortune de ta famille ». Il s’en est suivi une foire d’empoigne qui s’est terminée par « Va te faire f… ! ». Une réplique qu’aurait lancé un El Ouafa énervé au député istiqlalien Mohamed Sobhi qui lui avait lancé : « Le Parlement n’est pas une halqa de Jamaa El Fna ! » Même si le ministre s’est défendu d’avoir proféré de tels propos, il a suscité une polémique de plus. C’est une polémique de trop, estime l’USFP sur les colonnes du quotidien socialiste Libération. Le titre de l’article publié (et mis en ligne le 22 mai 2014 sur libe.ma) sur le sujet ne fait pas dans la dentelle : « El Ouafa doit partir ! ». Abdallah Bekkali, ennemi déclaré d’El Ouafa approuve et y met aussi des siennes en réitérant le même appel. Le député istiqlalien crie à l’impossibilité de travailler avec un ministre qui « insulte les députés dans un langage puisé dans le caniveau et qui de plus refuse de s’excuser ». Pour rappel, en mars dernier, El Oufa avait envoyé une volée de bois vert à Bekkali lorsque ce dernier l’avait accusé d’avoir dilapidé des milliards dans le programme « Massar » lorsqu’il était ministre de l’Education nationale. Dans sa contre-attaque, l’accusé s’est dit étonné du « changement suspect de standing de la famille de Abdallah Bakkali » et a, dans la foulée, déclaré publiquement son patrimoine. « C’est ça El Ouafa, mais pas seulement », souligne un ancien ministre istiqlalien, qui connaît bien le personnage pour l’avoir pendant longtemps côtoyé. Même s’il se trouve aujourd’hui dans un camp opposé à El Ouafa, notre interlocuteur préfère s’attarder, non pas sur les « drôleries du bonhomme », mais plutôt sur ses autres aspects peu connus du grand public. L’ancien ministre rappelle que l’homme en question a été le mentor de nombreux grands noms de l’Istiqlal. « Istiqlalien convaincu s’étant luimême formé depuis son très jeûne âge au sein du parti de la balance, il a eu l’intelligence de créer, dès les années 70, une sorte d’école où il formait, et bien formait, en politique des jeunes qui venaient des quatre coins du pays pour préparer une bonne relève ». Sur la base de nombreux autres témoignages recueillis auprès de différentes sources, force est de constater que, contrairement à d’autres grands noms de l’Istiqlal, El Ouafa a grimpé les échelons au sein de cette formation au prix de nombreux combats. Celui qui va lui permettre de s’affirmer, il l’a mené, très jeune, au sein de l’Union générale des étudiants marocains. Une organisation estudiantine qui a été créée pour contrecarrer le monopole de la fameuse Union nationale des étudiants du Maroc, alors dominé par la gauche. « On avait beau le traiter de tous les noms, le menacer, le harceler et même le frapper, El Ouafa criait comme un fou partout il allait : Vive l’UGEM ! », se rappelle un syndicaliste ayant été de ce combat. A 21ans, El Ouafa devient Secrétaire général de l’UGEM pour trois ans. Peu de temps après la fin de son mandat, il sera porté à la tête de la Jeunesse istiqlalienne. Durant 8 ans, il s’évertuera à élargir la base de la jeunesse istiqlalienne.

L’ASCENSION

Un succès en appelant un autre, avec l’appui de Moulay M’Hamed Boucetta qui le protégeait, la porte lui a été ouverte, à l’âge de 23 ans, du très sélectif Comité exécutif de l’Istiqlal. De l’intérieur de ce cercle fermé, il travaillait en coulisse pour le rajeunissement du parti. « El Ouafa falsifiait certaines élections organisationnelles pour introduire de petits El Ouafa dans les structures décisionnaires et casser ainsi la domination des dinosaures », témoigne l’ancien ministre istiqlalien. Du temps de sa jeunesse, la politique n’était pas la seule occupation d’El Ouafa. Il savait qu’il lui fallait des diplômes pour réaliser son plus grand rêve : devenir ministre. Il a donc décroché une licence en sciences économiques à Rabat et ensuite un diplôme des études supérieures en sciences économiques à Paris, ville où il a terminé son 3e cycle à l’Institut d’études sur le développement économique et social (IEDES). Ce bagage lui a permis d’occuper, en 1976, le poste de maître-assistant à la Faculté de droit de Rabat avant de siéger, à 29 ans, à la Chambre des représentants où il a enchaîné les mandats de 1977 à 1997. Entre temps, il a aussi présidé, durant 9 ans, le conseil municipal de Marrakech (1983 à 1992). Cette succes story de ce Marrakchi, « fils de peuple » comme il se décrit lui-même, n’aura été possible, selon certains témoignages, sans quelques coups de pouce. La protection de Moulay M’Hammed Boucetta en est une et non des moindres, mais pas la seule. D’aucuns soulignent que pour accélérer son ascension, El Ouafa a tout fait pour s’introduire dans la famille El Fassi. Un voeu qu’il a réussi à concrétiser en se mariant avec Aouatef El Fassi qui n’est autre que la propre fille de Allal El Fassi, fondateur de l’Istiqlal. Cette dame est la soeur d’Oum El Banine El Fassi qui est l’épouse de Abbas El Fassi. Mais ce lien familial n’a rien arrangé entre ce dernier, lorsqu’il était secrétaire général de l’Istiqlal, et El Oufa qui lorgnait ce poste, tout en caressant l’espoir de devenir ministre.

LES GRANDES GUERRES

Les deux hommes n’étaient pas du même bord, Abbas El Fassi était dans la galaxie de Douiri et El Ouafa dans celle de Boucetta. C’est ce qui explique, selon nombre d’istiqlaliens, l’exil d’El Ouafa comme ambassadeur sur intervention de Ababs El Fassi. El Oufa se trouvera ensuite confronté à Hamid Chabat, actuel secrétaire général de l’Istiqlal. S’étant intensifié après le refus d’El Ouafa de répondre à la sommation de l’Istiqlal de quitter le gouvernement, ce combat continue. Il est fait d’attaques personnelles, d’insultes, de menaces…

LE BULLDOZER

Si même certains de ses adversaires le qualifient de « grande bête politique », ses amis sont encore plus laudateurs. Dr Mohamed Zidouh est l’un d’eux. Il est connu pour être l’ami intime d’El Ouafa. Il refuse qu’on traite ce dernier de « clown politique » et invite ceux qui ne connaissent pas son parcours à mieux s’informer. « El Ouafa est marrakchi et sa ‘tamarrakchite’ est dans ses gènes, on ne peut pas le changer maintenant qu’il a dépassé la soixantaine », insiste Zidouh. Et d’ajouter : « Il faut plutôt le voir décortiquer les dossier, travailler 14 heures par jour pour être prêt à répondre à des questions précises le lendemain. C’est aussi quelqu’un qui connaît bien et en profondeur le pays… ». Pour son ami fidèle, El Oufa est un véritable « bulldozer » qui ne recule devant rien, une fois convaincu. Exemples : C’est le seul ministre qui a déclaré ouvertement aux enseignants que les menaces de sitin et de grèves ne lui font pas peur, aux boulangers que leur pain à 1,20 DH est mauvais pour la santé, aux vendeurs de zellige qui se plaignent de la concurrence étrangère qu’ils empochent trop de cash, au Haut-Commissaire au Plan qu’il continuera à le critiquer… « Ce n’est pas étonnant de la part de quelqu’un qui a contribué, aux côté de Boucetta, à la préparation de la motion de censure de 1989, qui a eu son mot à dire dans la réforme constitutionnelle de 1992 et qui a joué un rôle de premier plan dans les tractations pour la formation du gouvernement de l’alternance… ».

ET MAINTENANT ?

El Oufa est très proche de son beaufrère Abdelouhed El Fassi, mais en partageant les mêmes convictions que le courant « Bila Hawada » formé au sein de l’Istiqlal autour de ce dernier, il n’a pas démissionné. El Ouafa a répondu dernièrement à un confrère qui l’interrogeait sur sa position envers l’Istiqlal que la mention « Istiqlalien » est inscrite sur son front. Il affirme donc qu’il restera istiqlalien « jusqu’à la fin de ses jours » après l’avoir été depuis qu’il « apprenait à marcher dans la cour du siège de l’Istilal à Marrakech qui jouxte la demeure parentale ». Sans le déclarer formellement, El Ouafa lorgne encore le poste de secrétaire général de l’Istiqlal, même si certains militants du parti de Chabat, et ce dernier en premier, estiment que dans le PI 2.0 d’aujourd’hui, El Ouafa n’a plus sa place ❚

 

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