Immobilier : les vrais problèmes

«Le secteur de l’immobilier au Maroc est en crise profonde et n’est pas prêt à se rétablir sur le court terme », analyse Adnane Bajeddi, consultant de renommée internationale. Cet expert ne manque pas d’argument : Plusieurs constats alarmants le prouvent, notamment le recul en 2013 des investissements directs étrangers en immobilier de 18% ; du nombre de transactions immobilières de 6% ; et des ventes du ciment de 6%. S’y ajoute l’affaiblissement de la demande qui se trouve de plus en plus confrontée à la tendance inflationniste de l’économie marocaine sous l’impulsion des réformes engagées par le gouvernement, en particulier, la refonte du système de compensation. L’analyse statistique des différentes indicateurs du marché immobilier marocain révèle que le coefficient de corrélation entre l’évolution de Indice des prix des actifs immobiliers (IPAI) et du PIB national durant la période s’étalant de 2008 à 2013 est de 0,77, ce qui reflète le fait que l’évolution des prix des actifs immobiliers est impactée en grande partie par l’environnement macro-économique du pays. De plus, selon Bajeddi, les mesures fiscales, controversées, relatives à la taxation des profits immobiliers pour limiter la spéculation dans le secteur immobilier introduites en 2013 font que l’incidence fiscale devient plus en plus conséquente sur le coût de l’investissement en immobilier, ce qui aura ainsi un impact négatif sur l’évolution du nombre de transactions immobilières sur le court et moyen termes. « Compte tenu de la conjoncture économique actuelle et de l’état de santé du secteur de l’immobilier, l’application de mesures régulatrices plus souples et plus attractives aux yeux des investisseurs en termes de fiscalité aurait été plus judicieuses pour permettre la relance de nouveau de ce secteur qui est en berne depuis 2011», préconise t-il. Les analystes de Sogécapital Bourse ont un tout autre avis. Pour eux, les perspectives 2014 demeurent positives quant à la relance du secteur sur d’excellentes bases.

Une année 2013 rude

Après avoir montré des signes d’essoufflement à fin 2012, l’immobilier a maintenu le même élan en 2013, affichant des performances en retrait. Avec des demandes d’autorisation en baisse de 60% par rapport à 2012, (50.700 (2013) contre 132.000 (2012), une baisse de mise en chantier de 30% et une stagnation de la production qui masque une baisse passant de 145.600 en 2012 à 166.600 en 2013. 2013 a été une année pour le moins difficile pour le secteur. Selon les analystes de Sogécapital Bourse, la régression enregistrée par le secteur l’année dernière est liée essentiellement au durcissement des conditions d’octroi des autorisations de construire et des conditions d’accès au financement pour les promoteurs immobiliers. Plusieurs réformes ont été mises en place afin de favoriser cette lancée positive, notamment les nouvelles dispositions fiscales de la loi de Finances 2014, visant à encourager le logement des classes moyennes, soulignent les analystes de Sogécapital Bourse. Ce n’est pas tout. Un certain attentisme est né suite à l’annonce du plan d’action 2013-2016 adopté par le ministère de l’Habitat, de l’urbanisme et de la politique de la ville, qui a pour objectif l’élaboration des documents d’urbanisme de 12 grandes villes sur la période 2013-2014 et l’approbation de 400 documents d’urbanisme à l’horizon 2016. Parallèlement, les banques devraient libérer les conditions de financement destinées aux acquéreurs et aux promoteurs. D’ailleurs le groupe Attijariwafa bank affiche déjà l’ambition d’insuffler une nouvelle dynamique dans l’acquisition de logements. La banque vient d’annoncer qu’elle consacrera près de 8 milliards de dirhams pour le financement de 20.000 crédits logement. D’autres banques devront suivre.

Un déficit qui se creuse

Construit-on suffisamment de logements pour répondre à la demande ? « Non ! », lance sans la moindre hésitation l’économiste et l’analyste Rachid Maârouf. « L’écart entre l’offre et la demande de logements a même tendance à s’aggraver », renchérit il. De nombreux chiffres lui donnent raison. Si on remonte à un peu plus de dix ans, en 2002, un déficit structurel important de 1,2 million de logements était recensé. A par- tir de là, une politique a été déployée afin de stabiliser et ensuite réduire le manque. Résultat : le déséquilibre entre l’offre et la demande a pu être ramené à 608.000 unités en 2010. Face à cette situation, le ministre de l’Habitat de l’époque, conduit par Toufiq Hejira, a tracé une feuille de route simple pour pouvoir venir à bout du déficit de logements en une décennie, c’est-à-dire à l’horizon de 2020. L’engagement était pris de faire construire quelque 131.000 logements par an sur la période. De cet ensemble d’habitations, 61.000 étaient destinés à résorber un dixième du déficit, aboutissant donc à son comblement complet en une décennie. Le reste, soit 70.000 logements, était destiné à la nouvelle demande issue essentiellement de l’accroissement du nombre de ménages. Or, la suppression, dès 2008, des incitations fiscales sur le logement social a enfoncé la production de logements. Par conséquent, à partir de 2010, le déficit est reparti à la hausse, atteignant 810.000 logements fin 2011. Après sa nomination, Nabil Benabdellah fait même état d’un déséquilibre de 840.000 logements. Il maintient alors l’objectif de son prédécesseur et se fixe pour but de ramener le déficit à 400.000 unités à l’horizon 2016, en tablant sur la production de 170.000 logements par an. On espérait aboutir à une résorption totale du déficit aux alentours de 2020. Normalement, entre 2012 et 2016, pas moins de 850.000 logements devraient être disponibles sur le marché. Une part de 440.000 habitats servirait à réduire le déficit existant pour le ramener à 400 000 unités. Le reliquat, soit 410.000 logements, devrait couvrir les besoins exprimés par de nouveaux ménages ou issus du renouvellement du parc existant.

Décalage

A mi-chemin quasiment de l’échéance que se fixe Benabdellah, la production est loin de suivre pour être en conformité avec les engagements annoncés. En effet, en 2012, 114.200 unités ont été achevées, soit un manque de 55.800 logements par rapport à la production annuelle prévisionnelle de 170.000 logements. En 2013, même si la production s’est nettement redressée à 166.500 unités, on reste toujours loin du compte avec un manque sur l’année de 3.500 habitats. Entre 2012 et 2013, ce sont donc déjà 59.300 logements qui manquent. Aujourd’hui, le déficit a été ramené à 642.000 unités et le département de l’Habitat est bien décidé à parvenir en 2014 à l’objectif de production annuelle de 170.000 unités. Détails : 9.000 doivent consister en logements à 140.000 DH, 80.000 doivent être des logements sociaux et 20.000 doivent cibler la classe moyenne. Le reste touche d’autres segments : maisons marocaines, villas… L’un des segments qui est le plus à la traîne est étonnement le logement social. Ce sont à peine 27.360 et près de 30.000 unités à 250.000 DH qui ont été terminées respectivement en 2012 et 2013. Cela représente tout juste un peu plus du tiers des 160.000 habitats qui auraient dû arriver sur la période. Le segment du 140.000 DH accuse lui aussi du retard par rapport à l’objectif initial puisqu’à peine 9.000 logements ont été achevés en 2012 et 2013, soit la moitié de ce qui devait être effectivement produit sur la période. Quant au logement pour la classe moyenne, au lieu des 40.000 unités qui devaient être livrées sur les deux dernières années, un peu plus de 6.100 habitats sont engagés entre 2013 et 2014. Les premières livraisons ne devraient donc arriver, au mieux, qu’en 2015. Sachant que le cycle de construction des habitats au Maroc est en moyenne de 2 ans, il faut en effet s’attendre à ce que la production recule jusqu’en 2015. Nabil Benabdellah le sait. Il doit donc gérer tous ces décalages et tenter de rattraper le temps perdu. Mission qui semble impossible, à moins d’un miracle ❚