Banques européennes : Le bout du tunnel est-il encore loin ?
Anthimos Thomopoulos

Anthimos Thomopoulos arrive avec 30 minutes de retard à son déjeuner à cause d’un embouteillage provoqué par une manifestation organisée par les enseignants. Un tel paysage ne peut que raviver les souvenirs des émeutes qu’il esquivait lors de sa navette quotidienne à travers Athènes au beau milieu de la crise de la zone euro. Une époque où il se démenait pour contenir les retraits massifs bancaires. Sauf que le patron de la banque du Pirée, la plus grande banque de Grèce, ne se trouve pas dans son pays, mais dans l’un des restaurants londoniens en train de savourer une taramasalata en guise de célébration de l’émission obligataire fructueuse par la banque en plus d’une émission d’actions à hauteur de 1,75 milliard d’euros pour boucler l’augmentation de son capital. « La demande des investisseurs était incroyable. En 48 heures, nous avons eu des commandes à hauteur de 3 milliards d’euros de la part d’investisseurs américains et britanniques. Et pour cause ! Je n’aurai plus besoin de me rendre en Europe continentale », a-t-il indiqué, après avoir annulé un road-show investisseurs prévu depuis longtemps. « Je n’ai jamais vu une demande aussi importante dans toute ma carrière. C‘est un tournant dans l’histoire de la banque du Pirée ». Ce revirement en faveur de la banque grecque reflète, en fait, une reprise économique plus large au niveau des pays de la zone les plus touchés par la crise de la dette. Lesquels ont connu, de surcroit, un flux consistant d’investissements étrangers qui se chiffre à des milliards de dollars. Nulle part cette reprise n’a été aussi prononcée que dans les banques de la zone périphérique, qui couvre l’Espagne, l’Italie, la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Pourtant, de nombreux banquiers se demandent si l’affluence des investissements était justifiée par une reprise économique anémique, ou si elle ne faisait qu’engendrer de futures complications. Cette semaine, la Banque centrale européenne a pris une initiative sans précédent de réduire son principal taux directeur à 0,15%, un nouveau plus bas historique. De plus, elle a porté son taux de dépôt en territoire négatif, à 0,10%. Les mesures prises par la BCE visent à soutenir les prêts à l’économie réelle afin d’encourager la croissance. Mais ils risquent de gonfler davantage les flux d’investissement vers les banques périphériques, ce qui pourrait s’avérer déstabilisant en cas de retournement du marché. « Les décideurs politiques s’engagent dans une course contre la montre pour accroître la compétitivité et renforcer le système bancaire avant que la prochaine récession ne frappe», explique Alberto Gallo, responsable de la stratégie crédit chez RBS. « D’ici là, il y aura moins de poudre sèche pour aider les banques ou les pays faibles ». La banque du Pirée était l’une des 20 grandes banques de la périphérie qui ont été renflouées par l’Etat à hauteur de 186 milliards d’euros depuis la mi-2009, en plus d’1 milliard d’euros qui a été pompé par la BCE dans le secteur bancaire entre 2011-12 pour éviter son effondrement. Des prêteurs comme l’irlandais Allied Irish, l’espagnol Bankia et le portugais Millennium BCP étaient autrefois considérés comme ayant peu de chance de survie à long terme. Mais aujourd’hui, les investisseurs internationaux sont prêts non seulement à leur prêter des milliards d’euros, mais en plus sans garantie. En effet, ces banques frappées par la crise ont retrouvé les faveurs des investisseurs car ces derniers ont pris plus de risques dans leur recherche d’actifs à meilleur rendement. En supposant que la crise de la zone euro est terminée, les taux élevés offerts par les banques comme la banque du Pirée, dont l’émission obligataire historique se vante d’un coupon de 5%, semblent attrayants. « En ce moment, tout le monde se focalise sur le rendement », explique un banquier conseil de la dette basé à Londres. « Pour ces institutions, ce n’est pas ce qu’ils achètent qui leur importe. Ils ont surtout besoin de ce rendement ». Le tournant décisif de la crise bancaire en Europe peut être résumé en un seul moment historique : le 26 Juillet 2012, lorsque Mario Draghi, le président de la BCE, a promis de faire « tout ce qu’il faut» pour sauver l’euro. Si nécessaire, acheter les obligations des pays de la zone euro. Mais après son discours, les rendements des obligations souveraines et les coûts d’emprunt des banques ont chuté. « Cela a boosté la confiance », souligne Anthony Doyle, directeur des investissements à revenu fixe chez M & G Investments. « Personne ne savait ce que cela signifiait mais le marché a eu confiance, et l’appétit des investisseurs a été renforcé pour la périphérie, ce qui a, évidemment, soulagé la pression ». Au début, seules les grandes banques nationales de la périphérie de la zone euro, dont notamment l’italienne UniCredit A mesure que les fl ux retournent, les coûts d’emprunt des institutions financières européennes ont diminué de trois quarts de leur pic affiché en novembre 2011, selon l’indice iTraxx qui mesure le coût d’assurance de la dette bancaire. Les banques périphériques de taille moyenne ont également commencé à profiter de la chasse au rendement. En conséquence, l’émission des obligations périphériques a atteint 39.3 milliards d’euros depuis le début de l’année. Le chiffre le plus élevé depuis le début de la crise, en hausse de 72% par rapport à la même période de l’année dernière, selon Dealogic. et l’espagnole Santander, pouvaient accéder aux marchés financiers avec des obligations senior non garanties. Alors que la crise de la zone euro s’atténuait, les investisseurs internationaux ont estimé que l’Europe semblait une destination bon marché surtout en comparaison avec le marché boursier américain, qui frôlait des niveaux record. Et pour cause ! Nombre d’investisseurs US ont injecté 66 milliards de dollars dans le marché boursier et obligataire, indique le fournisseur de données, l’EPFR. En plus des 70 milliards de dollars qui ont afflué dans la région depuis le début de 2014, un flux record à ce jour. « Nous n’avons pas assisté à ce niveau d’investissement soutenu dans les marchés du crédit depuis la période pré crise financière. Ce qui a contribué à une baisse record des rendements », soutient Chris Tuffey, responsable de la syndication de dette chez Credit Suisse. La baisse des rendements a accompagné une modeste amélioration des perspectives économiques et la zone a connu une croissance depuis le deuxième trimestre de l’année dernière. En outre, les banques ont mis en oeuvre des réformes pour renforcer leur sécurité, et constituer des coussins de fonds propres en cas d’un autre ralentissement économique. Selon Morgan Stanley, 45 milliards d’euros ont été levés depuis juillet 2013 en préparation des stress tests des banques par les régulateurs européens. Néanmoins, certains des paramètres qui déterminent la probabilité des défauts de la dette - qui en théorie devraient déterminer les rendements – se sont dégradés. « Il semble que nous sommes dans l’oeil du cyclone », avertit Doyle. « Nous assistons à un certain rééquilibrage des banques de la périphérie grâce à de meilleures données économiques, mais pas suffisamment pour expliquer la baisse des coûts de financement par rapport à un actif sans risque comme les obligations d’État allemandes ». L’une des raisons derrière le manque de confiance des investisseurs dans la région il y a trois ans était l’envergure des dettes publiques et la crainte que les gouvernements ne seraient pas en mesure de renflouer le secteur bancaire. Depuis 2011, la dette brute par rapport à la taille des économies nationales a augmenté dans tous les pays périphériques. Le chômage a également augmenté dans toute la zone à l’exception de l’Irlande. Le nombre de défauts de paiement ou « prêts non performants » (PNP) reflètent les indicateurs retardés dans l’économie réelle. Les créances douteuses en proportion du total des prêts bancaires ont augmenté dans la périphérie depuis la crise, selon les rapports des banques locales. Elles représentent 32% de la totalité des prêts en Grèce, 27.8% en Irlande, 12,6% Espagne et 16,9% en Italie. En raison des différences nationales dans la façon de classer les créances douteuses, de nombreux analystes estiment que le nombre réel pourrait être considérablement plus élevé. « Les banques, en dehors de l’Espagne, ont encore à traiter leurs créances douteuses d’une manière plus approfondie », explique Nikhil Srinivasan, directeur des investissements chez l’assureur Generali. « Les PNP ne sont pas seulement un frein à la rentabilité mais, dans un sens plus inquiétant, ils sont sources de distraction pour le management bancaire. Une banque avec 20% de créances douteuses est à peine capable de se concentrer sur la croissance de son portefeuille de prêts ». Cela est important, en particulier pour les banques périphériques car elles sont liées à leurs économies nationales à travers des investissements à grande échelle dans la dette publique intérieure - une tendance que les régulateurs appellent le «banksovereign nexus ». Depuis la crise, la participation des banques de la zone euro dans la dette publique intérieure a augmenté dans tous les pays de la périphérie à l’exception de la Grèce. Celle-ci représente plus du 10e de tous les actifs des banques italiennes et 9,7% de ceux des banques espagnoles. En conséquence, le sort des banques nationales est plus étroitement lié aux gouvernements nationaux qu’il y a trois ans. S’y ajoute la taille combinée des bilans des banques européennes - 30.7 trillions d’euros- qui reste la plus importante dans le monde par rapport au produit intérieur brut. « Il est peu probable, dans le cas d’une nouvelle crise, que les gouvernements puissent se permettre de renflouer les banques à nouveau - ce qui est précisément le contraire de ce que les régulateurs veulent atteindre. Le problème des banques trop grandes pour faire faillite (too big to fail) en Europe n’est pas résolu et, dans certains cas, il n’a fait qu’empirer », estime Gallo. Et d’ajouter que les banques ont besoin de réduire leur actifs d’1 trillion d’euros supplémentaire d’ici 2018. Le fardeau est encore plus important sur les petites banques. Ce qui laisse à craindre que l’octroi des prêts aux petites et moyennes entreprises de la région - qui a baissé en dépit des coûts bas du financement bancaire – accusera un net déclin de façon encore plus importante par la suite. Les optimistes militent en faveur d’une union bancaire de l’UE qui devrait jouer le rôle du gendarme de la zone euro et couvrir les coûts de faillites des banques à l’aide d’un fonds de résolution commune. Et selon la réglementation de l’UE concernant les aides de l’Etat, les pertes doivent être essuyées par les investisseurs avant de faire appel à l’Etat membre. Ce n’est qu’alors que la banque pourra faire appel au fond de sauvetage de 500 milliards d’euros en zone euro, le Mécanisme européen de stabilité, qui accorde des prêts à des conditions très strictes. Les critiques soutiennent que les fonds disponibles ne représentent qu’une fraction des sommes nécessaires si une grande crise bancaire devait frapper. Mais devant la perspective des taux d’intérêt négatifs fi xés par la BCE, le goût du risque des investisseurs ne semble guère diminuer dans leur chasse au rendement. Maintenant, la question évoquée par nombre de banquiers est : à quel point les rendements peuvent-ils reculer ? « Compte tenu du renforcement du capital des banques et des taux plus faibles en général accompagnés d’une l’inflation proche de zéro en Europe du Sud, la réduction massive des rendements a une base », affirme Srinivasan. « Sont-ils allés trop loin? Peut-être. Je ne m’attends pas à une grande contraction du rendement mais la demande devrait se maintenir ». Au cours des quatre derniers mois, on a assisté à une explosion d’un type, encore non testé, de titre de créance complexe appelé « contingent convertible », ou « CoCo bond ». Ces actifs à haut risque et à haut rendement combinent les caractéristiques de titres de créances et d’actions permettant aux banques de lever des capitaux à moindre coût que d’émettre des actions tout simplement. L’émission des CoCo devrait atteindre 50 milliards d’euros cette année, contre environ 11,5 milliards d’euros l’an dernier, malgré les avertissements de la Banque d’Angleterre et Standard & Poors. Les investisseurs font fi de toute prudence. « Les investisseurs se sont engagés dans une chasse au rendement. Cela signifie prendre plus de risques pour obtenir ce rendement supplémentaire », explique Tim Skeet, directeur général de RBS. « Mais la question reste de savoir dans quelle mesure une analyse fondamentale peut appuyer la décision de l’investissement. Le risque est-il correctement évalué ? Cela reste loin d’être certain ». A Athènes, suite à l’annonce de la banque du Pirée au sujet de l’augmentation de son capital, trois autres banques grecques renflouées lui ont emboîté le pas. En moins de trois mois, les institutions autrefois considérées comme des cas désespérés ont levé 8,3 milliards d’euros de fonds propres. Aujourd’hui, alors que l’encre est à peine séchée sur les accords de la banque du Pirée, Thomopoulo indique que les investisseurs se sont interrogés sur l’opportunité de l’émission des premiers CoCo bonds par la banque du Pirée. « Les risques ne sont pas évalués et les conséquences éclateront au grand jour tôt ou tard», prévient Richard McGuire, responsable - stratégie taux chez Rabobank. « On pourrait certainement faire valoir que la crise de la zone euro n’est pas terminée, elle sommeille »