Economie britannique : le stand-by ?
George Osborne

Il y a sûrement de meilleurs endroits qu’un port de conteneurs pour observer le meilleur et le pire de la reprise économique britannique. S’élevant à 70 mètres au-dessus de l’estuaire de la Tamise, les conteneurs swinguent deux par deux entre la proue du porte-conteneur, Balthasar Schulte et le quai du nouveau port London Gateway au moment où une autre grue charge la poupe du navire. Sur le terrain, la réussite de l’économie de la Grande-Bretagne et son rétablissement remarquable sont évidents. Grâce à un investissement privé étranger estimé à 1,5 milliard de livres par l’opérateur portuaire émirati DP World, une raffinerie de pétrole abandonnée a été transformée en une scène d’activité commerciale renforçant ainsi le statut de partenaire commercial privilégié du Royaume-Uni. Le parc de logistique de London Gateway sera le plus grand d’Europe. Des cargaisons maritimes arrivant du monde entier seront envoyées directement aux centres de distribution de London Gateway. « Ce n’est pas tous les jours que le Royaume- Uni a une longueur d’avance », affirme Simon Moore, le CEO du parc logistique London Gateway. « Mais avec les plus grandes grues à conteneurs dans le monde, ce hub portuaire pourra accueillir les plus grands navires pour donner aux compagnies maritimes l’accès au ports les mieux situés ». Ce site gargantuesque créera de l’emploi tout en favorisant la prospérité dans le Royaume-Uni. Les investissements de DP World constituent un énorme accélérateur de l’économie. Ainsi, l’emploi est en pleine expansion et les travaux d’infrastructure sont complets à l’heure où DP World est sur le point de construire ce que l’opérateur espère être l’ensemble des premiers centres de logistique et de distribution sur le site. L’expansion rapide de London Gateway au cours de l’année écoulée s’est répercutée sur l’économie britannique, qui a connu une croissance annuelle de 3,1% au premier trimestre de cette année, plus du double du taux attendu 12 mois plus tôt. C’est la croissance la plus rapide dans le groupe des sept économies dominantes. Avec un taux d’emploi d’adultes à deux doigts d’un record, et la baisse des taux d’inactivité à des niveaux jamais vus en 40 ans, la reprise remarquable et inattendue exige une explication. La Banque d’Angleterre n’est pas loin d’une réponse avec la récente annonce faite par Mark Carney et le gouverneur canadien sur la possibilité d’une hausse des taux d’intérêt « plus tôt que les anticipations actuelles des marchés », incitant les investisseurs à parier sur une première hausse des taux cette année. Mais le London Gateway compte également des faiblesses et des échecs. Non loin de la grue, un terrain avait été préparé pour la construction d’un centre de distribution pour Marks and Spencer, l’une des plus grandes chaînes de magasins britanniques, dont le coût est estimé à 200 millions de livres sterling. Mais M&S a décidé le mois dernier d’abandonner ces plans, en soulignant le caractère encore fragile de la reprise économique. La facette déplorable de la reprise est illustrée par les unités routières des porte véhicules que l’on aperçoit à l’entrée du port, chargés de voitures Minis de construction britannique, prêtes à être expédiées à l’étranger. Ces exportations ne sont remarquables que par le fait qu’elles soient si rares. Les conteneurs pleins de marchandises qui quittent les navires sont généralement remplacés par des conteneurs vides, « les importations étant beaucoup plus élevées que les exportations », selon un membre du personnel de London Gateway. Alors que l’économie de la Grande- Bretagne a pris son envol, on craint qu’elle soit sapée par la triple menace d’un déficit commercial, une bulle immobilière et une croissance de la productivité chroniquement faible. Chacun de ces éléments pose une menace à une relance soutenue. En effet, la reprise économique britannique est à la fois forte, fragile et représente une source de préoccupation, ce qui en fait l’objet d’une grande fascination et de débats dans le monde entier. Elle a été saluée par la droite politique comme modèle de réduction prudente du déficit et critiquée par la gauche comme étant une mise en garde contre l’austérité. Que la reprise ait une incidence sur l’un de ces points de vue dépend en partie des raisons de la forte croissance enregistrée en 2013, lorsque même les plus optimistes pensaient que l’économie britannique augmenterait en deçà de sa moyenne historique. La réponse donnée par la plupart des économistes est : confiance, politique ou une combinaison des deux. Pour Martin Weale, membre indépendant du Comité de politique monétaire de la BoE, l’élément déclencheur a été spontané et tiré par un meilleur moral au sein des ménages et des entreprises. « Je pense que jusqu’à il y a cinq ans, j’aurais affirmé que la confiance seule n’était pas une variable économique extrêmement importante », a-t-il déclaré au Financial Times le mois dernier, soulignant qu’il avait depuis changé d’avis. « C’était, je crois, surtout croissance des économies dominantes au cours des deux prochaines années. Et les anticipations des marchés financiers ont tenu en compte la politique de resserrement monétaire en Grande-Bretagne plus tard dans l’année. Ce qui a conduit à la hausse des coûts d’emprunt de l’Etat, plus élevés pour les gilts que dans les économies périphériques de la zone euro dont l’Irlande, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Dans un premier temps, la consommation des ménages était presque la seule force qui sous-tend la croissance devant une baisse de l’épargne. Cette amélioration de la consommation des ménages a précédé la reprise économique globale l’amélioration de la confiance qui a conduit au regain de l’économie qui a débuté l’année dernière ». D’autres attribuent le redressement économique à la hausse de la consommation des ménages incitée par le gouvernement via des politiques introduites dans le budget de 2013 visant la promotion des prix et des prêts de l’immobilier. Jonathan Portes, le directeur de l’Institut national de la recherche économique et sociale, soutient que l’effet décalé d’un assouplissement monétaire non conventionnel semble être nul pendant une longue période, puis soudain il vous frappe en pleine figure. Il fait valoir que le marché du travail flexible du Royaume-Uni explique aussi la vigueur inattendue de la reprise. Si le débat fait toujours rage sur les raisons de la reprise rapide, peu de gens pensent aujourd’hui qu’il s’agit tout juste d’un feu de paille. Presque tous les grands groupes spécialisés dans les prévisions ont placé le Royaume-Uni au top du hit-parade de la au deuxième trimestre de 2013. Mais elle a été contrebalancée par de fortes baisses des dépenses d’investissement ou par une faiblesse des échanges commerciaux nets. A la disparition de ces contributions négatives à la croissance, la reprise générale a pris de l’élan. Au cours des deux derniers trimestres, les investissements résidentiels et des entreprises, ont autant contribué à la croissance que la consommation. Et pour cause ! Les trois principaux secteurs industriels dont celui des services, du manufacturing et de la construction font état d’une croissance rapide. Ce modèle économique suggère la solidité d’une reprise plus équilibrée. Mais on craint toujours que cela ne soit qu’une illusion. Avec des prix de l’immobilier qui augmentent à deux chiffres, on craint la fin douloureuse d’une frénésie de dépenses par l’endettement. Quant au boom de la consommation alimentée par la dette, il est à noter que les prêts aux particuliers ont augmenté de seulement 1,6% au cours de l’année écoulée jusqu’au mois d’avril, comparés aux taux de croissance supérieurs à 10% enregistrés ces dernières années jusqu’à septembre 2007. On redoute que le marché du logement puisse déclencher un boom du crédit. Et ce n’est pas les avertissements qui manquent dans ce sens. D’ailleurs Carney a déclaré dernièrement que les vulnérabilités d’un marché de l’immobilier surchauffé représentent « le plus grand risque pour l’économie nationale », bien que « la BoE ne cible pas l’inflation des prix des actifs en général, ou les prix du logement en particulier ». Ce mois-ci, le FMI a déclaré qu’il y avait peu d’indices suggérant une bulle de crédit. Mais « une augmentation constante des crédits immobiliers comparée aux revenus des emprunteurs suggère que les ménages sont de plus en plus vulnérables aux chocs de taux d’intérêt et aux revenus ». En réponse à cette situation, la Banque d’Angleterre est prête, à partir de ce mois-ci, à déployer de nouveaux outils pour limiter la croissance du crédit et éviter une frénésie d’emprunt. Tout récemment, le chancelier George Osborne, lui a conféré des pouvoirs supplémentaires pour qu’elle puisse forcer les banques à freiner les prêts immobiliers à risque. La deuxième préoccupation sur la balance est la position commerciale notoirement faible du Royaume-Uni. Malgré une dépréciation réelle de la livre sterling de 25% en 2007-08, le déficit du compte courant s’est détérioré fin 2013 à 5,4% du produit intérieur brut. Un des plus importants dans l’histoire britannique. Bien que cette détérioration en 2013 ne soit pas due à la croissance rapide des importations au détriment des exportations, mais à la détérioration de la balance des revenus d’investissement, elle suggère plutôt un problème chronique dans la capacité de la Grande-Bretagne de subvenir à ses dépenses d’ordre international. Cela, à son tour, a mis en évidence la dépendance du Royaume-Uni du crédit étranger et a exposé le risque persistant de la perte de confiance des ménages dans leur capacité à générer des revenus suffisants à l’avenir. Aucune de ces questions liées à la balance commerciale n’est nouvelle concernant l’économie de la Grande-Bretagne puisqu’elles ont caractérisé son économie au cours des 30 dernières années. Ce qui est en revanche nouveau et plus inquiétant, c’est l’effondrement de la productivité qui risque de limiter la viabilité de la reprise. Tout au long de la récession et de ses conséquences, le marché du travail s’est comporté différemment que dans les années 1990 ou 1980. Avec une contraction de l’économie de plus de 7% en 2008 et 2009, le chômage a augmenté beaucoup moins que prévu pour culminer à 8,4% en 2011. Depuis lors, il a baissé beaucoup plus vite que le taux suggéré par une croissance économique faible. Au cours de la dernière année, le chômage a chuté. Contrairement aux États- Unis, la baisse du chômage a coïncidé avec une augmentation rapide de la participation au marché du travail. Le récent taux d’emploi des travailleurs âgés de 16-64 est situé à seulement 0,2 point de pourcentage, un peu en dessous de son plus haut historique. La croissance fulgurante de l’emploi limitera la durée de la reprise sauf en cas d’amélioration des taux de croissance de la productivité. Il ya quelques bonnes raisons de penser que la Grande-Bretagne a oublié comment innover ou produire des biens et services de manière efficace. Mais il ne fait aucun doute que la seule erreur persistante de presque tous les économistes au cours des six dernières années a été d’assumer que la croissance de la productivité pourrait reprendre rapidement. Philip Rush de Nomura affirme qu’on attribue en partie l’échec des prévisions au fait qu’on ne prend pas suffisamment en compte les problèmes graves dans les trois secteurs à haute rémunération, et à forte productivité dont l’extraction pétrolière, la banque et la finance et les services publics. « Les secteurs les plus dynamiques au Royaume-Uni ne sont pas ceux à forte productivité, de sorte que l’intensité de l’emploi est par essence supérieure à ce qu’elle était avant ». Si la crise de la productivité n’était pas difficile à analyser, il est également clair que des révisions statistiques décennales pourront bientôt réécrire l’histoire économique. En Septembre, l’Office for National Statistics compte introduire de nouvelles normes mondiales pour les comptes nationaux qui permettront d’accroître le PIB de près de 5%, soit plus du double du taux d’épargne des ménages et potentiellement réviser à la hausse la croissance en 2012 et 2013. Ce qu’on pensait savoir sur l’économie est susceptible de changer radicalement. Même face à une croissance rapide, la politique reste prudente. Et pour cause ! Osborne a maintenu la politique budgétaire qu’il avait introduite dans les premières semaines de son mandat en 2010. Le gouvernement s’en tient au taux de réduction du déficit prévu, en espérant qu’une croissance plus rapide de la productivité permettrait une fin précoce de l’austérité. La politique monétaire semblait aussi figée jusqu’à ce que Carney suggère dernièrement que la BoE se dirigeait vers une hausse des taux d’intérêt. Comme l’économie de la Grande-Bretagne est passée de la morosité au boom, le mot d’ordre reste toujours : l’attentisme. Une réaction tout à fait compréhensible lorsqu’on n’est pas sûr de la durabilité de la reprise, ni pour combien de temps l’Ecosse ferait encore partie du Royaume-Uni, ni si ce dernier ferait partie de l’UE pour longtemps. Personne ne peut être sûr d’une reprise longue et prospère, mais, pour le moment, la reprise de la Grande-Bretagne a été aussi forte qu’elle a été surprenante, renforçant ainsi la confiance. Pour une entreprise comme la London Gateway, qui se projette sur un horizon de 70 à 80 ans, la reprise inspire de l’optimisme quant à son pari sur la création d’un nouveau port qui portera ses fruits. « Ce projet sera là pour les générations à venir », assure Moore, « pour recréer Londres comme un hub portuaire national pour le Royaume-Uni »