«Il y a dans nos poubelles de quoi nourrir un pays africain démuni»
Bouazza Kherrati, Pru00e9sident de la Fu00e9daration marocaine des droits du consommateur (FMDC)

L’Observateur du Maroc : Quel regard portez-vous sur la consommation des marocains lors du mois du Ramandan ?

BOUAZZA KHERRATI :Traditionnellement placé sous le signe de la spiritualité, le Ramadan est désormais marqué par une attitude de surconsommation. En effet, la préparation spirituelle de ce mois a été dans une certaine mesure remplacée par une préparation « matérielle ». Le Ramadan est devenu le mois de la consommation excessive par excellence. Ce mois sacré semble désormais se réduire à une période de surconsommation ou plus précisément à une phase d’achats excessifs de biens, qui souvent ne correspondent pas à de réels besoins.

Pourtant, on dit que le pouvoir d’achat s’affaiblit. Comment expliquez-vous le paradoxe que crée la surconsommation ramadanesque ?

Lors de ce mois, on dépense sans compter dans l'alimentation, quitte à s'endetter le plus souvent. C'est le cas de la plupart des ménages. Preuve en est l'augmentation des prêts à la consommation auprès des banques et des organismes de crédit. Il faut dire que ces derniers se frottent les mains et multiplient les offres lors du mois sacré. Une envie de consommation effrénée s'empare des gens à tel point que lorsqu'on regarde les poubelles, on se rend vite compte qu'il s'agit d'un véritable gâchis. Les ménages consomment plus ou plutôt achètent plus qu'il ne faut, plus que nécessaire et plus que tous les autres mois de l'année. Cette surconsommation fait très mal aux petites et moyennes bourses.

Qu’en est-il de la flambée des prix de certains produits durant le Ramadan ?

Durant ce mois sacré certains produits voient leur prix doubler, voire tripler. Ceci peut être expliqué soit par l’augmentation de la demande, ou la rareté de certains produits à l’instar des dattes cette année. En outre, certains professionnels profitent tout simplement de la période pour augmenter le prix. C’est le cas du segment des huiles. D’ailleurs, une marque a gonflé le prix de 13 DH pour tout bidon de 5 litres. Aberrant ! Certes, le gouvernement essaie de réguler les prix mais il n’intervient qu’à titre anesthésiant. Sur le terrain, le marché devient une véritable jungle. Chacun fait ce qu’il veut et le consommateur paie les pots cassés. La commission en charge des prix ne contrôle que certains pans du marché, alors que le secteur informel dont provient 70% des approvisionnements des ménages échappe à tout contrôle. Depuis la création de l’ONSSA en 2010, il n’existe plus d’instance de contrôle de la fraude. C’est un véritable handicap. L’Office s’occupe uniquement de salubrité et non pas la qualité qui touche le droit économique du consommateur. Cela fait 2 ans que nous réclamons la création d’un observatoire de la qualité des aliments, mais sans qu’il y ait la moindre réaction de la part des départements censés protéger le consommateur qui se sent lésé aujourd’hui. En tant que société civile, nous tirons la sonnette d’alarme. Le gouvernement défend le « S » Social, et nous le « S » sanitaire et économique.

Mois de piété, de méditation, d’abstinence et de sobriété, le mois sacré est aussi le mois où le phénomène du gaspillage alimentaire explose. Que faitesvous à ce propos ?

Le consommateur n’est pas conscient de ce gaspillage. Il y a dans nos poubelles de quoi nourrir un pays africain démuni. Pour le pain par exemple, le nombre de kilos jetés avoisine 10% de toutes nos importations de céréales. La Fédération lutte depuis 2 ans contre ce phénomène en appelant les citoyens à rationaliser leur consommation durant le mois sacré. Consciente que la première école de sensibilisation contre le gaspillage alimentaire demeure le foyer, notre organisation a lancée des journées et des semaines de sensibilisation au profit des consommateurs et surtout les consommatrices, gestionnaires de foyer. L’objectif est de les transformer en consommatrices averties veillant à l’équilibre alimentaire et surtout économique de son foyer. Il est nécessaire aujourd’hui qu’il y ait même une campagne nationale contre le gaspillage et d’adopter des comportements de civisme sans excès ou exagération en calculant la quantité de nourriture à préparer afin d’éviter tout gaspillage ❚