Nicolas Sarkozy forcément coupable !

Il y a un fantôme dans l’arène politique en France. Qui hante Nicolas Sarkozy. Gérard Longuet est l’un des rares conseillers de l’ancien Président qui ose lui parler et parvient à s’en faire écouter. Au temps de l’Elysée, Nicolas Sarkozy ne l’humiliait pas, en tout cas pas en public et pas autant que les autres. Il lui témoignait même cette forme de respect que l’on voue aux frères ainés. Gérard Longuet a été un activiste d’extrême droite dans les années 60, avant d’intégrer l’Ena. C’était la guerre froide et Nicolas Sarkozy portait encore des culottes courtes. C’est parce qu’ils ne sont pas de la même génération que les deux hommes s’entendent et qu’ils n’ont jamais été rivaux. Mieux, ils ont des ennemis communs : Gérard Longuet a fait partie des rénovateurs de la droite libérale, dont le putsch contre Jacques Chirac a tourné court. À la fin de son mandat, Nicolas Sarkozy fit du sénateur Longuet son ministre de la Défense. Celui-ci a suivi aux premières loges plutôt qu’il n’a dirigé la guerre en Libye, le dossier des otages du Sahel ou les relations avec les Américains. Ce rôle de centurion restera comme le couronnement de sa carrière. Après ? Rien. La défaite de 2012 a marqué la fin de l’aventure politique. A 67 ans, Gérard Longuet est retourné au Sénat où somnolent trois jours par semaine les notables régionaux qui profitent de la retraite comme d’une sieste au quartier latin. En 2017, si la droite revient au pouvoir, il aura 71 ans. Trop tard... Comment expliquer que l’un des hommes les plus énergiques de la droite française, à l’intelligence brillante, aux réseaux nombreux, dont chacun reconnait l’autorité ait fait une carrière aussi modeste au sommet de l’Etat ? Quand on regarde le long CV de ce ténor libéral, on découvre un blanc, une béance, une absence. Un long passage à vide entre 1994 et 2010. En octobre 1994, alors qu’il était ministre des Télécoms d’Edouard Balladur, Gérard Longuet a été mis en examen par un juge qui s’interrogeait sur les crédits avec lesquels il fit construire sa villa de vacances et par un autre qui enquêtait sur le financement occulte du Parti républicain qu’il codirigeait. Un troisième ensuite, le mit en examen pour recel de corruption dans une affaire de marchés publics truqués. Obligé de démissionner du gouvernement, Gérard Longuet passa les seize ans qui suivirent à ferrailler dans les tribunaux. Un certain nombre de médias n’attendaient que cela pour lui faire payer ses engagements d’adolescent : un ancien facho est forcément coupable ! Il avait la tête de l’emploi, on en fit un homme hautement suspect. Gérard Longuet fut condamné à une longue cure de silence médiatique, cantonnant ses activités publiques à son pays lorrain. Au fil des années, toutes les accusations sont tombées. En 2010, il a enfin obtenu un dernier non-lieu. C’est alors que Nicolas Sarkozy en fit son ministre de la Défense. Après seize ans de procédures, la parenthèse judiciaire s’était refermée. Vrai soulagement. Et légère amertume de l’intéressé quand il songe à ses rivaux qui n’ont pas perdu leur temps, ont pris sa place et ont exercé (forcément moins bien) les fonctions qu’il ambitionnait de remplir… Ecoeurement aussi en songeant au traitement désinvolte que les médias lui ont fait subir, salissant systématiquement sa réputation sans trop chercher ensuite à la restaurer. D’ailleurs comment réhabiliter un homme lourdement soupçonné dans des affaires confuses pendant seize ans ? Gérard Longuet reste douteux aux yeux d’une partie de l’opinion. L’idée qu’il n’y a pas de fumée sans feu est populaire, surtout dans un pays qui cultive le mépris pour les politiques, considérés au mieux comme des menteurs, et en période de crise comme des voleurs. Gérard Longuet est à son corps défendant la preuve vivante qu’il faut faire confiance à la justice de son pays, si on n’a aucune ambition politique. Si on n’a rien à perdre et aucune élection à gagner. Si on a la vie devant soi. Dans tous les autres cas, les juges sont le visage de la fatalité la plus aveugle.

Strauss-Kahn de la droite ?

Nicolas Sarkozy sait que les erreurs judiciaires sont faites par des juges. Qu’elles sont rarement réparées. Qu’en politique, elles sont irréparables. Au fond, il a toujours su que les ratés ne le rateraient pas et qu’il aurait à se battre au tribunal pour sauver sa réputation, son avenir, son destin. Il faudrait un psy pour expliquer qu’il ait commis tant d’imprudences avec ses amis et manifesté tant de désinvolture face à la magistrature. En ce début d’été, l’équation politique se résume à une question simple : Nicolas Sarkozy va-t-il être judiciairement empêché de se lancer dans la course à l’Elysée, de prendre la revanche qu’il médite depuis deux ans ? Est-ce qu’il sera le Strauss-Kahn de la droite, celui dont la victoire paraissait inéluctable et qui en a été privé par une justice implacable et spectaculaire ? C’est le calcul de tous ses rivaux à droite. La perspective de son « empêchement » excite les ambitions de ceux qui l’ont servi comme François Fillon, Xavier Bertrand, Bruno Lemaire. C’est aussi le pari d’Alain Juppé ou de François Bayrou, convaincus que 2017 se jouera sans lui. Face à Marine Le Pen que chacun imagine au second tour, ils se posent déjà en rassembleur du centre. En attendant, ils voient l’ancien Président presser le pas et organiser sa riposte. Ils ne doutent pas qu’il cherche à prendre la tête de l’Ump à la rentrée. Ils se répandent déjà en ville en déplorant que Nicolas Sarkozy harcelé par les juges s’abandonne à son tempérament et choisisse la fuite en avant. À les entendre, tel Berlusconi plongeant en politique pour y trouver l’impunité et retardant ainsi de vingt ans l’heure de rendre des comptes, Nicolas Sarkozy entraine la droite française dans une cavalcade sans issue. La vie politique française s’organise autour de l’élection présidentielle. Depuis la mise en examen de l’ancien Président, elle dépend de l’issue d’une guérilla judiciaire. La bataille s’est engagée quand les enquêteurs de la police mandatés par les juges d’instruction sont venus le cueillir à son domicile, pour le conduire en pleine nuit dans le bureau des magistrats. Quinze heures de garde à vue et à l’arrivée, une mise en examen, avec des mots qui claquent : « corruption active, trafic d’influence, recel de violation du secret professionnel ». Qu’il ait été traité comme un délinquant de droit commun pose un premier problème. Depuis quand un ancien chef d’Etat est-il un justiciable comme les autres ? Préserver la fonction présidentielle qui reste la clef de voute des institutions n’a visiblement pas effleuré des magistrats. En son temps déjà, Jacques Chirac imaginait la joie mauvaise de celui qui le ferait asseoir dans son bureau, aux côtés d’un greffier et lui ferait décliner dans l’ordre, « nom, prénom, âge et qualité ». Le motif qui a valu à Nicolas Sarkozy ces tribulations nocturnes peut d’ailleurs sembler dérisoire. On lui reproche ses conversations sur le dossier Bettencourt avec son avocat, Thierry Herzog. Conversations engagées sur son téléphone portable, puis sur d’autres achetés sous un faux nom quand il a découvert qu’il était sur écoute (sans doute grâce à un policier, imaginent les juges d’instruction… d’où le « recel de violation du secret professionnel ») et la promesse qui aurait été faite à un magistrat de la Cour de cassation d’une nomination à Monaco en échange des éléments confidentiels qu’il avait recueillis sur l’avancement de l’enquête (D’où « la corruption et le trafic d’influence »...)

Espionné pendant des mois

Nicolas Sarkozy a contre-attaqué aussitôt en se posant en victime, en se plaignant qu’on cherche à l’humilier, en se présentant comme la cible d’un complot politique, en dénonçant le parti pris du juge membre du syndicat de la Magistrature, et « l’instrumentalisation de la justice ». La ficelle est grosse mais l’argument porte. Aux yeux de nombre d’avocats, les conditions dans lesquelles il a été mis sur écoutes relèvent d’un abus de pouvoir manifeste. Il faudra d’ailleurs attendre l’avis de la Chambre de l’Instruction pour confirmer la légalité de la procédure ou au contraire pour annuler les mises en examen. En toutes hypothèses, parmi les cinq affaires à l’instruction où son nom est cité (Kadhafi, Karachi, arbitrage Tapie, sondages de l’Elysée, Bygmalion), celle qui a justifié les écoutes est la plus improbable. Des juges ont pris au sérieux les rodomontades de Saëf al Islam et d’un intermédiaire véreux : ils ont ouvert une enquête sur un éventuel financement libyen de la campagne électorale de 2007. L’idée n’est pas invraisemblable car le Colonel savait se montrer généreux et arrosa irrégulièrement les partis politiques français. De gauche, de droite et d’ailleurs. Il n’aura guère été payé en échange. Le prouver est une autre paire de manches. Incapable de trouver trace de ces millions qui ont fait fantasmer toutes les rédactions, n’ayant ni preuves, ni aveux, ni magot, les magistrats ont fait placer l’ancien président sur écoute. L’espionnage de sa ligne téléphonique a duré des mois. Comment imaginer que les dizaines de policiers chargés de la besogne se soient bornés à tendre l’oreille, que leurs autorités de tutelle n’aient pas été tenu au courant de ce que disait l’homme que déteste François Hollande, qu’il redoute et qui l’obsède. Que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur ait tout ignoré de l’affaire comme il le prétend ? Personne qui connaisse le fonctionnement de la V° République ne peut y croire. La Garde des Sceaux s’est même ridiculisée en tenant une conférence de presse pour protester de son innocence. Elle a brandi un document comme preuve de sa bonne foi. L’agrandissement du cliché a prouvé qu’elle mentait effrontément et que ses services lui dressaient justement un compte rendu des écoutes ! L’idée que l’exécutif soit prêt à tout pour entraver le retour de Sarkozy et qu’un cabinet noir s’y emploie à l’Elysée est née là. À force d’espionner les coups de fil de Nicolas Sarkozy pour retrouver la trace du trésor de Kadhafi, les enquêteurs ont surpris ces conversations téléphoniques qui ont paru justifier leur acharnement : l’avocat de Nicolas Sarkozy s’informant auprès d’un haut magistrat de la Cour de cassation de l’avancement d’un dossier. Il s’agit précisément des agendas de l’ancien président, saisis par la justice dans le cadre de l’Affaire Betancourt. Soupçonné d’avoir abusé de la faiblesse de la vieille dame pour lui soutirer de l’argent (scénario invendable mais que les démagogues du café du Commerce et un juge d’instruction ont trouvé réaliste… ), l’ancien président a été finalement lavé de toute accusation. Il a alors tenté de récupérer ses agendas, au contenu confidentiel. Qui le Président reçoit, à quelle fréquence, à quel moment… autant d’informations sensibles ! D’où la requête devant le Conseil d’Etat. D’où le souci mis à suivre l’avancement du dossier. D’où le coup de main d’un magistrat influent qui n’a rien demandé en échange mais se serait bien vu confier une fois à la retraite, une mission à Monaco. Non rémunérée, tout juste défrayée. Nicolas Sarkozy a refusé d’intervenir. L’ingratitude est la marque des hommes d’Etat. Une enquête a d’ailleurs rapidement prouvé qu’il n’avait exercé aucune pression sur les autorités de la Principauté. Il n’empêche, aux yeux des juges, le Président a laissé dire son avocat et il a cherché à échapper à la surveillance des policiers qui écoutaient ses conversations. Cela vaut bien une mise en examen…

Le camp retranché

Il y a au coeur des Français une passion de l’égalité. Un juge d’instruction qui rabroue un puissant est assuré d’être populaire. La malveillance et la calomnie se donnent les atours de la morale. La justice aime à se voir implacable face à ceux qui sont riches, célèbres ou puissants. Cela ne date pas d’hier. Dans ses Mémoires d’Outre-tombe, Chateaubriand sur le point d’être limogé du quai d’Orsay raconte la joie mauvaise des diplomates : « C’était quelqu’un qui tombait, cela fait toujours plaisir ». Nicolas Sarkozy aggrave son cas, car c’est un récidiviste. Son conflit avec les magistrats est ancien. Il a été avocat, ce qui n’incite pas à respecter les fonctionnaires de justice. Au ministère de l’Intérieur, il s’est fait le champion des victimes, réclamant une justice protectrice, dénonçant la culture de l’excuse, réclamant des « peines plancher », fustigeant le laxisme des tribunaux qui relâchaient ces délinquants que les fonctionnaires de police peinaient à attraper. Une fois Président, il n’a pas perdu ces habitudes. Par bravade, il aime le défi et attire le soupçon. À chaque fait divers indignant l’opinion, il a réagi en faisant adopter une loi sans trop se soucier des moyens à mettre en oeuvre pour la faire appliquer. Il s’est même autorisé à railler les hauts magistrats de la Cour d’appel, serrés dans leurs robes aux cols d’hermine et alignés devant le chef de l’Etat « comme des petits pois, ayant la même couleur, le même gabarit et la même absence de saveur »… En humiliant publiquement une corporation dont les moyens d’action ont fondu comme ceux de tous les fonctionnaires, qui se sent négligée par les autorités, contestée par les citoyens comme toutes les autres autorités, Nicolas Sarkozy s’est sans doute tiré une balle dans le pied. Son discours sécuritaire en avait fait la tête de turc des magistrats de gauche, dont le puissant Syndicat de la Magistrature. Ses déclarations de matamore, ses amis douteux, ses promesses jamais accomplies de restaurer l’autorité de l’Etat, notamment de la Justice, lui ont aliéné une bonne partie des magistrats de droite. Au fil des mois, les nuages se sont accumulés au-dessus de sa tête. Il a vu plusieurs membres de son premier cercle emportés par les affaires. Claude Guéant, ancien Secrétaire général de l’Elysée et grand manitou de sa diplomatie parallèle. Les époux Balkany, intimes de toujours malgré leur réputation sulfureuse. Jean-François Copé qui lui gardait la place au chaud à la tête de l’Ump. Patrick Buisson, l’ancien conseiller désormais répudié pour avoir enregistré en douce leurs réunions de travail et surtout coupable de s’être laissé voler ses enregistrements… À tous, des magistrats demandent des comptes. Les affaires sont variées mais l’odeur de l’argent leur donne un même parfum. Le soupçon est partout et la gauche au pouvoir si prompte à se draper dans l’indignation morale, n’est pas la seule à l’entretenir. Les médias en font leur miel. Tous ceux qui aspirent à refermer la parenthèse du sarkozysme aussi. À la télévision, Nicolas Sarkozy a fait front. Par tempérament et par calcul. Il descend dans l’arène plus tôt qu’il ne l’avait prévu, c"est-à-dire courant 2015. Il n’a pas le choix, il veut regagner la maitrise de son destin, au lieu d’être le jouet d’un calendrier judiciaire imprévisible. On n’ose dire qu’il se voit en Gulliver enchaîné par les nains, mais c’est l’idée. Sauf qu’en plaidant avec éloquence contre une petite minorité de juges acharnée à sa perte et une machinerie d’Etat employée à le détruire, il contribue à saper un peu plus les fondements d’un Etat qu’il prétend restaurer. C’est un crime dont est coupable un homme qui se réclame du gaullisme. Nicolas Sarkozy se rêvait en homme providentiel, celui que le pays profond viendrait chercher dans sa retraite. Il aurait fait le sacrifice de sa vie bourgeoise pour affronter la tempête et arracher in extremis le pays à la fatalité du déclin. Au lieu de cela, le voilà obligé à une fuite en avant hasardeuse, à la tête d’un dernier carré de militants, dans un parti en faillite. Trois longues années, seul contre tous, à la tête d’un camp retranché ❚