France : la justice dans le box des accusés

Le lien entre l’appareil judiciaire et les autres institutions dans les démocraties connait des soubresauts périodiques. En France, on peut dire que la tension est presque permanente, depuis la tentative de l’ancien président de supprimer le poste de juge d’instruction. Les dernières secousses, liées à la mise en examen de Nicolas Sarkozy et la réaction virulente de celui-ci donnent un nouvel éclairage à cette problématique. Pourtant, sur le papier, la séparation des pouvoirs est normalement claire et s’appuie sur le sacro-saint principe à l'impartialité des juges et à leur application fidèle de la loi. Le juge prononce la loi, mais ne la confectionne pas, ce rôle étant dévolu au parlement en démocratie. Les juges sont cependant des citoyens, des hommes et des femmes qui ont des convictions, des passions. Ils peuvent donc face à des situations particulières sortir de leur rôle. Les critiquer dans ces cas-là pourrait être une attitude cohérente, en tout cas compréhensible, à condition qu’elle n’attise pas la suspicion sur le fonctionnement de la justice en général. En France, il y a un débat annexe, très intéressant s’il est mené dans la sérénité, c’est celui du syndicalisme des juges. Peut-on considérer que le fait d’afficher des convictions, de s’organiser pour les défendre est compatible avec le devoir de réserve de la magistrature ? Jusqu’ici, cela semblait être le cas. Mais le nombre d’ « affaires » mettant en cause les politiques a changé la donne. C’est ce qui alimente les polémiques. D’autant plus que le syndicalisme des juges ne s’est pas limité aux revendications catégorielles mais s’est paré de colorations idéologiques : syndicat de gauche et syndicat de droite. Il est fort compréhensible qu’à droite, on cultive la suspicion devant ceux qui ont « monté » le mur des cons, ce tableau avec les photos des dirigeants de l’UMP. Le sujet est très sérieux. S’il faut défendre les libertés d’opinion, peut-on permettre que cellesci induisent l’image d’une justice d’opinion, d’idéologie ? Cela serait très dommageable pour les institutions démocratiques. Au Maroc, nous n’avons pas de syndicat de la magistrature, mais nous avons mis le doigt dans l’engrenage. « Le club des juges » est une association. Mais elle prend position sur la politique du gouvernement, sur les lois votées, et enfin organise des manifestations en robe. C’est le même dilemme : peut-on priver les juges, gardiens des libertés, de leur propre liberté d’expression ? En même temps, n’est-on pas en train de suivre le même processus qui a abouti en France à l’impasse actuelle ? Comme on le voit, c’est un débat important qu’on peut mener sans exclusive en acceptant toutes les opinions. Pour la construction démocratique, il est même fondamental de définir les spécificités de chaque institution. L’indépendance de la justice est le socle même de l’Etat de droit. Cela impose aux magistrats des contraintes dont la première est celle de l’égalité de tous devant la règle de droit. S’il n’y a pas une justice pour les faibles et une autre pour les puissants, on ne peut accepter, en démocratie, une justice dont les décisions varient en fonction des positions politiques ❚