Tutelle des enfants : Une loi dépassée et contradictoire
Dans les conflits de la tutelle et de la garde, la loi reste la première accusée

Au cœur de la guerre entre les parents divorcés, l’enfant et son intérêt restent les grands perdants à cause de la tutelle légale. Dans la ligne de mire de la société civile, le code de la famille serait la source du problème. et devrait absolument s’adapter aux mutations sociales.

"La tutelle m’a tué"

Ilham est téléopératrice dans un centre d’appel. Mère de deux enfants, elle a divorcé fin 2019. Depuis, son mari n’a pas versé un seul dirham pour la pension alimentaire de ses enfants. Originaire d’El Jadida, elle a demandé une mutation dans la filiale de l’entreprise, là bas auprès de sa famille. « Je n’ai personne à Casablanca. J’ai donc décidé d’aller rejoindre mes parents à El Jadida au bout de quelques mois. Ca me permettra d’avoir un appui, de réduire les charges du loyer puisque je loge dans la maison familiale », nous explique la jeune mère. Croulant sous les charges du loyer, de l’école des petits, de l’eau et de l’électricité en plus des dépenses habituelles, son salaire ne dépassant pas les 5000 dhs ne suffisait plus.

« Sauf que pour le transfert de Ziad et Rim à une école à El Jadida, il me fallait l’accord du tuteur, qui est le père. Et celui-ci, sans vergogne, en a profité encore une fois pour me rendre la vie difficile. Il a refusé tout simplement de donner son accord », nous raconte Ilham la mort dans l’âme. Déjà mutée à El Jadida, elle ne pouvait pas faire marche arrière tandis que ses enfants restent coincés à Casablanca. « Je n’avais pas le choix ! Leur année scolaire est sacrifiée. La famille et les amis tous essaient depuis des mois de négocier avec le père pour le bien des enfants, mais lui, considère la situation comme une carte de pression sur moi pour revenir avec lui. Alors que pour moi, c’est hors de question de revivre l’enfer qui était ma vie à ses côtés », ajoute cette mère meurtrie, les larmes aux yeux.

Enfants, les grands perdants

« Un énième conflit entre les parents dont seuls les enfants paient le prix et que la loi cautionne car inadaptée et encore loin de la réalité », commente avec regret Bouchra Abdou directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté. Derrière la campagne « Nos enfants à nous deux ... la tutelle est un droit à nous deux », Tahadi joint ses efforts à ceux des mouvements citoyens « Kif baba Kif mama », « Masaktach » et « Jamais sans ma fille », pour mener une large campagne à travers les différentes plateformes de communication et autres réseaux sociaux. Objectif ?

Au plus près de la souffrance des mères via le centre d’écoute de l’association, Bouchra Abdou en sait quelque chose. Des destins brisés, des familles éclatées, des avenirs compromis et surtout des enfants coincés au milieu de conflits bousillant leur vie. « Nous recevons chaque jour des cas de femmes divorcées ayant la garde des enfants mais n’ayant pas la tutelle. Lorsque l’ex mari est de mauvaise foi, il peut transformer la vie de son ex femme et de ses enfants en un véritable enfer. Et ceci par la force de la loi », s’insurge-t-elle. Pour y remédier, un seul moyen pour les initiateurs de cette campagne : « Nous revendiquons la reconnaissance entière et effective de la tutelle des mères sur leurs enfants pendant la relation conjugale et après sa dissolution », ajoute de son côté Zahia Ammoumou, avocate. Pour cette dernière, au bout de 17 ans d’application, le code de la famille devrait changer. « La loi ne suit pas l’évolution les mutations. Elle est loin de l’esprit de la constitution de 2011 et des conventions internationales des droits humains signées par le Maroc. Il faut aussi noter que son application engendre beaucoup de contradictions et des problèmes graves. L’exemple le plus éloquent reste la garde et la tutelle des enfants en cas de divorce », explique l’avocate.

Entre deux feux, les enfants restent les grands perdants de la guerre entre les parents divorcés


Dispositions contradictoires


Rappelons que le principe d’égalité entre hommes et femmes au Maroc a été institué dans la constitution de 2011 et plus précisément au niveau de l’article 19 : « L'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution... ». Un article que les initiateurs de cette campagne font valoir et veulent absolument appliquer au code de la famille « qui reste dépassé. Aussi, le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales pour la protection des droits des femmes notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et le Pacte des droits économiques et sociaux. Nous réclamons l’application de ces termes au code de la famille pour aider beaucoup de femmes et d’enfants à sortir de l’impasse », revendique Bouchra Abdou.

Ainsi pour s’inscrire ou changer d’école pour un enfant, demander pour lui un passeport ou un visa, prendre des décisions quant à un traitement médical, souscrire une mutuelle ou assurance, ouvrir un compte épargne au nom de son enfant... Il faut absolument l’accord du père ; si la mère est divorcée. Ceci même si elle a la garde des enfants. « Si le droit de garde est d’abord confié à la mère, le droit de tutelle est, quant à lui, automatiquement octroyé au père », nous explique la directrice de Tahadi. Des situations qui ne correspondent pas à l’évolution de notre société, affirment les activistes. Surtout que le mariage de la mère, chargée de la garde de son enfant, conduit à la déchéance de ce droit lorsque l’enfant a plus de 7 ans.

Exceptions et amendement

D’après la loi, la mère ne peut accéder à la tutelle légale sur ses enfants mineurs que sous certaines conditions telles l’absence du père, son décès et ou son incapacité́ juridique. « Et encore, elle ne sera nommée que représentante légale : La personne en charge de défendre les intérêts de l’enfant », regrette Abdou. En cas de divorce, le père reste toujours le tuteur légal des enfants même lorsque la garde de ces derniers est confiée à la mère, qui ne peut dès alors procéder à aucune démarche. Le pire, c’est que dans le cas du décès du père et si ce dernier a désigné, de son vivant, un autre tuteur légal pour ses enfants, la mère ne pourra pas non plus exercer ce droit.

« Les réformes juridiques restent un levier majeurs pour accéder à l’égalité hommes-femmes. Le droit de tutelle doit être révisé dans le code de la famille pour s’aligner avec les droits énoncés dans Constitution de 2011 mais aussi pour l’intérêt des enfants », revient à la charge l’avocate. « Les enfants doivent être impérativement mis sous la tutelle légale des deux parents que la loi se limite, aujourd’hui, à accorder au père seulement ; reléguant le rôle de la femme au second plan, voire en tant que partie inexistante », réclame la directrice de Tahadi. La promulgation de la loi en conformité avec la Constitution et les conventions internationales et l’amendement du Code de la famille de manière à garantir aux femmes les mêmes droits que les hommes dans le mariage et après sa dissolution, sont les principales revendications de la pétition qui sera lancée dans le cadre de cette campagne. « Nous appelons les juges, les juristes, les activistes de la société civile et des droits humains à intervenir pour opérer ce changement car il en va de l’avenir et de l’intérêt de beaucoup de femmes mais surtout d’enfants », conclut Ammoumou.