« Le recensement est l’outil essentiel pour l’évaluation des politiques publique »
Ahmed Lahlimi, Haut-Commissaire au Plan

L’Observateur du Maroc : Comment se déroule le recensement jusqu’à présent ?

Ahmed Lahlimi : Au sein du HCP, nous nous sommes organisés pour suivre de façon continue l’opération de recensement dans l’ensemble du territoire national. Nous avons notamment une quarantaine de personnes qui sont en charge de la collecte des informations qu’envoient les recenseurs par SMS. Tous les éléments que nous recueillons au fur et à mesure du déroulement du recensement montrent que les choses se passent très bien jusqu’à présent. Aussi bien les recenseurs, les superviseurs que les contrôleurs travaillent d’une manière professionnelle et avec enthousiasme. Nous nous réjouissons de constater que la population reçoit avec bienveillance les recenseurs. Tout ce que nous pouvons espérer c’est que l’opération continue comme elle a commencé pour être une parfaite réussite.

Il y a eu quand même quelques cas de refus d’accueillir les recenseurs…

Très peu. À titre indicatif, au terme des deux premiers jours du recensement, et vous savez que c’est le début qui est le plus difficile, nous n’avons enregistré que trois ou quatre cas de refus. Tous ont pu être rapidement réglés après quelques séances d’échange et d’explication par les recenseurs.

En parlant de refus, vous ne cessez de rappeler que le recensement est une obligation morale, mais aussi légale. En clair, que risque d’encourir quelqu’un qui refuserait de jouer le jeu ?

Le refus du recensement est une infraction passible de sanctions pénales. C’est le cas aussi pour un recenseur qui aurait failli à son obligation de garder secrètes des informations recueillies auprès de la population. Toutefois, la sanction est laissée à la discrétion du juge dans les limites de ce que prévoit le code pénal.

Les auxiliaires d’autorité mobilisés dans le cadre du recensement peuvent-ils forcer les citoyens à répondre aux questions des recenseurs ?

Ces auxiliaires qui sont les caïds, les mokaddems et autres éléments relevant du ministère de l’Intérieur n’ont aucune autre fonction que celle de porter leur aide aux recenseurs pour une meilleure reconnaissance de terrain. Ils peuvent apporter une éventuelle assistance pour reconnaître, par exemple, des habitants que des recenseurs n’arrivent pas à rencontrer du fait de leur absence prolongée.

Y aurait-il un dispositif spécial pour faciliter le déroulement du recensement dans certaines zones où il y aurait des problèmes de sécurité ?

De toutes les façons, les autorités chargées de la sécurité ont le devoir de protéger les opérateurs du recensement de tout type d’agression. Mais, je vous rassure, jusqu’à présent, il n’y a aucun problème de ce type. En tout cas, les recenseurs ont parfaitement conscience qu’ils peuvent rencontrer parfois certaines réticences ou certains faits inattendus. Mais, nous restons confiants puisque notre pays est très bien policé. Il n’y a donc aucune crainte particulière à ce niveau. Nous avons totalement confiance.

Quels sont les véritables enjeux de ce recensement ?

Le recensement est une étape essentielle qui permet au pays de savoir ce qu’il a pu réaliser au cours des dix dernières années en termes d’amélioration des conditions de vie de la population. Sur cette base, la planification de ce qui reste à faire devient plus aisée en matières de ressources humaines, de santé, d’habitat, etc. En peu de mots, on peut dire que le principal objectif est d’avoir une base de données exhaustive qui permet d’évaluer les acquis et de déterminer les besoins. C’est là l’enjeu majeur du recensement général de la population et de l’habitat qui reste l’outil essentiel permettant une bonne évaluation de l’efficacité des politiques publiques.

Ne fallait-il pas alors prévoir certaines questions directes concernant le revenu, par exemple, pour identifier clairement la classe moyenne ?

Le recensement général de la population et de l’habitat ne s’occupe pas des questions liées au revenu et à la consommation, mais plus globalement des structures démographiques, sociales et autres. Par ailleurs, les données générales recueillies permettent d’avoir un élément essentiel : l’échantillon maître. C’est ce qui permet aux enquêteurs du HCP de mener par la suite des études statistiques spécifiques qui reflètent exactement la réalité. Je rappelle à titre indicatif que nous avons terminé, le 15 juin dernier, une enquête sur la consommation des ménages. À la même date, nous avons clos une étude sur le secteur informel. Le recensement général de la population et de l’habitat de 2014 nous permettra d’actualiser notre échantillon de base et donc d’avoir à l’avenir des résultats d’enquêtes qui seront fidèles à la réalité d’aujourd’hui. Ce sera le cas quand il s’agira d’établir la future carte de la pauvreté, comme il pourra être le cas quand le HCP voudra enquêter sur les revenus, les inégalités sociales, la consommation ou le logement… Il faut savoir que l’enquête menée par le HCP sur l’emploi, par exemple, se réfère à un échantillon maître totalisant 60.000 ménages. Avec des données actualisées, le résultat sera meilleur.

Parmi les questions prévues dans le recensement, il y en a une qui est posée en ces termes : Avez-vous travaillé au moins une heure au cours de cette dernière semaine ?

Auparavant, nous ne cherchions pas pareil détail. C’est donc une nouveauté. Nous l’avons prévue suite aux recommandations de l’ONU. Il faut savoir que les questions contenues dans notre recensement général de la population et de l’habitat relatives à l’emploi sont les mêmes qui sont posées dans tout recensement mené à travers le monde. Nous avons utilisé les mêmes normes pour rendre les données nationales comparables à l’international. Le Maroc ne pouvait pas se permettre d’avoir des normes spécifiques qui auraient rendu les résultats du recensement inutilisables ailleurs.

Il se trouve aussi que d’autres questions n’ont pas été retenues pour figurer dans le questionnaire final du recensement 2014. Etait-ce pour ménager les susceptibilités ?

Nous avons surtout essayé de répondre aux questions les plus évidentes auxquelles le pays doit trouver réponses pour élaborer ses politiques de promotion du développement humain. D’où les questions retenues sur la situation des ressources humaines, le type de formation, les diplômes, l’expérience professionnelle, l’alphabétisation, les conditions de bien-être, le handicap, l’éloignement du lieu du travail, le transport, les aspects liés à l’environnement, l’énergie utilisée, le traitement des déchets ménagers, l’assainissement, l’accès à l’eau et à l’électricité, etc. En somme, nous avons retenu tout ce qui permet d’élaborer une politique de santé, d’enseignement, de formation, d’infrastructures sociales, d’habitat... Nous avons essayé de rendre le questionnaire le plus exhaustif possible, on aurait pu l’élargir davantage, mais nous sommes tenus sur le plan pratique de respecter le délai de 20 jours qui nous a été imparti pour boucler l’opération de recensement sur le terrain, avec des ressources humaines, financières et matérielles limitées.

Qu’en sera-t-il de l’exploitation des données recueillis ?

C’est vrai qu’un recensement n’a de sens qu’au vu de l’utilisation qui sera faite des précieuses données qu’il permet de recueillir. C’est pour cela que le HCP a mis en place un système d’exploitation des questionnaires qui nous permettra de déterminer la population légale à la fin de cette année et d’annoncer l’ensemble des données socio-économiques au cours de l’année prochaine. Pour avoir une idée sur les acquis réalisés à ce niveau, je vous renvoie au recensement de 1994 dont les données n’ont été exploitées qu’à 25%. Or, cette fois-ci nous allons assurer une exploitation exhaustive de l’ensemble des données. Et même avec le quart des données traitées, les résultats globaux n’ont été annoncés en 1994 qu’après une année et les premiers résultats affinés n’ont été révélés qu’après deux ans. Nous allons gagner beaucoup de temps cette fois-ci ❚