Recensement, les vrais enjeux

N’avez-vous pas encore reçu un ou une invitée surprise qui viendrait noter vos noms et prénoms, votre date de naissance, le nombre de vos enfants, votre niveau d’instruction, pour vous poser ensuite un tas de questions ? Si ce n’est pas encore le cas, cela pourrait arriver dans les prochains jours. Car depuis le 1er septembre et jusqu’au 20, plus de 53.000 recenseurs sillonnent les rues des villes et des villages ainsi que les routes des douars et les sentiers des montagnes pour recenser la population qui vit au Maroc et ses lieux d’habitation. Gare à vous si vous refusez de jouer le jeu ! Vous risquez de passer devant le juge pour votre refus obstiné. Eh oui, le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) est une obligation non seulement morale, mais aussi légale. C’est Ahmed Lahlimi, en sa qualité de Haut-commissaire au Plan qui ne cesse de le rappeler (Lire interview dans les pages suivantes). En accompagnant des recenseurs au cours des premiers jours du scrutin dans différents quartiers de Casablanca, L’Observateur du Maroc a relevé que les habitants adhèrent, sans grande réticence, à l’opération. Certes, la plupart des recensés n’accueillent pas les recenseurs à l’intérieur de leur maison, appartement ou baraque, mais ils répondent aux questions. C’est l’essentiel. Certains se montrent hésitants au début, mais se relâchent dès que l’intérêt du recensement leur est bien expliqué. C’est quoi alors l’intérêt véritable de toute cette opération qui va coûter quelque 900 millions de dirhams aux contribuables ? La réponse se trouve dans la lettre royale adressée, en mars dernier, au chef du gouvernement. « Nous avons veillé, depuis Notre accession au Trône de Nos glorieux ancêtres, et dans le cadre de la stratégie statistique, à ce que le recensement général de la population soit effectué le même mois, tous les dix ans, compte tenu du fait que cette grande opération nationale offre, de manière régulière, une base de données importante actualisée sur l’ensemble du territoire national, permettant une évaluation objective de notre politique publique en matière de développement et des progrès économiques et sociaux enregistrés par notre pays », écrit le roi Mohammed VI. Et le souverain d’ajouter : « Le recensement constitue, également, un outil nécessaire pour l’élaboration de nouvelles stratégies, à la hauteur des aspirations de Notre cher peuple à davantage de réalisations économiques et sociales, et en termes de développement humain, en vue de garantir une vie digne à tous les citoyens et accompagner les importantes mutations que connaît le monde dans les domaines de l’économie, de la connaissance, de la technologie et des valeurs sociétales ». L’élément moteur du processus est résumé dans le souci de veiller au bien-être des citoyens, « de toutes les catégories et dans toutes les régions ». En respectant la régularité des recensements, le Royaume cherche à honorer « ses engagements internationaux, de façon générale, ainsi que des recommandations des Nations Unies relatives à la régularité des opérations de recensement de la population et de l’habitat dans le monde ». Tout est dit. Certains polémistes ont cherché à politiser la question de l’amazighité. Lors des réunions préparatoires, ils ont fait pression pour qu’une question soit posée aux recensés sur la langue maternelle que parlaient leurs parents. Mais ils n’ont pas obtenu gain de cause pour éviter toute dérive vers des questions relevant de l’ethnicité. Il n’en demeure pas moins qu’on saura qui parle et écrit l’amazighe dans ce pays. En réaction, certains ont laissé entendre qu’ils boycotteraient le recensement, comme s’il s’agissait d’un scrutin législatif ou communal. Or, s’exclure du recensement, c’est choisir de ne pas figurer sur la « photo » instantanée qui montrera certaines réalités du pays. Plus important encore, c’est sur la base de cette « photo » qu’on pourra déterminer le PIB par habitant, qu’on pourra estimer le nombre d’analphabètes, de diplômés chômeurs… C’est aussi sur cette base qu’on pourra s’assurer si notre société est vieillissante ou si elle est encore majoritairement jeune. Mieux encore, il est impossible d’établir des politiques publiques appropriées faute d’indicateurs précis et actualisés notamment en matières de santé, d’accès à l’eau et à l’électricité, d’habitat, d’enseignement, d’emploi… À l’ère du big-data, finissons-en donc avec les statistiques approximatives ! ❚