Driss Roukhe, l’enfant du pays

L’Observateur du Maroc : Comment est née l’idée du livre?

DRISS ROUKHE : Les festivals m’invitent souvent pour me rendre hommage, mais l’idée de laisser une trace écrite me ronge depuis longtemps. J’ai donc réfléchi avec des amis, pour écrire un livre et laisser une trace positive pour l’artiste marocain, un peu comme un document de recherche sur le Maroc et l’art à travers un axe donné. On m’avait proposé d’écrire mon journal, mais j’avais peur que le résultat soit subjectif. « Moi, vu par d’autres », me paraissait un bon deal puisque chacun me voyait selon un angle qui lui est propre. C’est une biographie fragmentée qui révèle aux gens qui est D. Roukhe. De plus, il y a très peu de livres qui parlent des artistes marocains, surtout ceux qui nous ont quittés. J’aimerais consacrer d’autres livres à des artistes comme Larbi Doughmi, Hassan Skalli,... Les artistes doivent pouvoir raconter le Maroc à leur manière, ils doivent être protégés par un document de valeur.

S’agit-il d’une remise en question ?

On est dans une phase où on ne lit pas beaucoup, on fait des hommages après la mort des artistes ou une fois malades. J’avais envie de faire un hommage de mon vivant. De plus, écrire un livre a toujours été un rêve pour moi, l’écriture est une forme d’expression qui m’a toujours habité. Quand je vais dans les bibliothèques, le seul livre qui manque, c’est celui qui parle de l’artiste marocain. Mon objectif est de construire la bibliothèque artistique des artistes marocains.

Vous ne trouvez pas que vous êtes un peu jeune pour sortir une biographie ?

Cette biographie relate des étapes de ma vie (mes études, la sémiologie de mon visage, comment j’aborde le théâtre,…), mais n’englobe pas toute ma vie.

Vous êtes à la fois acteur, scénariste, réalisateur. Dans quel rôle vous vous trouvez le plus ?

J’adore jouer mais quand je suis derrière la caméra, j’adore réfléchir, diriger, donner mon point de vue et j’essaie de créer mon monde. La création n’a pas de limite, c’est un arbre aux multiples branches. Pour la mise en scène, ce sont des années d’études, d’assistanat, d’expériences. Je suis l’élève qui écoute et qui aime apprendre. La réalisation pour moi, ça n’est pas juste un découpage, c’est un point de vue à travers un axe. J’ai envie de montrer mon Maroc à moi, à travers un axe donné. Concernant l’écriture, j’ai toujours écrit des scénarios pour le théâtre, j’ai arrêté par la suite parce que je trouvais que l’espace théâtral a beaucoup stagné et ne suivait pas la créativité des artistes au Maroc. Après, je me suis dirigé vers le cinéma et la télé, parce que la caméra me permettait de réfléchir et de diriger mon axe de vue. Il y a une sensibilité entre toi, la caméra et les acteurs d’une part, et l’espace esthétique que tu crées d’autre part.

En tant qu’acteur, quelle est votre technique de travail?

Jouer un rôle, c’est très compliqué. Ça demande plus de techniques et de concentration. Des fois, c’est le rôle qui te choisit, c’est une composition psychologique entre toi et le rôle, c’est un combat permanent. Il faut que tu t’adaptes au personnage, tu scrutes le moindre détail, tu l’imagines, sur le plan vestimentaire, son mode de vie, tu lis des livres, tu essaies de le choper dans la vie de tous les jours. Tu le chasses à l’aveuglette, parfois tu le trouves en entier, parfois fragmenté, et c’est là où la création intervient ; tu rassembles un puzzle puis tu le façonnes à ta manière, tu commences à t’identifier à lui, à le construire, jusqu’à ce qu’il t’habite. Cela dit, au moment où il devient dangereux, il faut reprendre possession de soi pour le stopper. C’est ce qu’on appelle le « self control ». Par la suite, tu composes ton personnage, puis, vient l’étape de l’essai, du laboratoire, (l’Actor’s studio aux USA), où tu expérimentes ton personnage dans ta propre vie et où tu l’introduis dans ton entourage réel.

Y a t-il un rôle qui vous a posé problème ?

Je suis très intérieur. C’est vrai, je travaille beaucoup le physique, le paraître, mais ce qui me rend la tâche difficile, c’est l’intérieur, les détails, la psychologie du personnage, ces petits détails me rongent au point d’ignorer des fois certaines personnes sur le plateau, ces moments de délires que je ne contrôle pas d’ailleurs, cette envie de créer à l’instant même, certains ne les comprennent pas toujours. Souvent, je sors malade d’un rôle, vidé, alors je me retire chez moi pour me reposer. C’est comme un possédé qui a besoin d’un exorcisme.

C’est peut être parce que vous avez souvent incarné des brutes, des psychopathes ?

Oui, ce sont des rôles difficiles, ils ont une violence de comportement (regard, gestuelle…) et ça te torture à l’intérieur, les rôles de gentils aussi. Au-delà du cliché, le gentil a une part de méchanceté en lui qu’il faut exploiter. Je me suis toujours battu pour montrer le côté humain de mes personnages, c’est pour cela qu’ils attirent de la compassion, mêmes s’ils sont des brutes. Je joue sur le côté émotionnel, la souffrance qu’ils vivent, j’essaie de justifier un peu leurs comportements et de les rendre accessibles.

Pourquoi ces rôles ?

Je ne les considère pas comme des méchants. Je les défends, parce qu’ils ont eux aussi des problèmes qui les poussent à agir de la sorte. Peut être aussi parce que notre société est un peu agressive, la rue, la société est dure. De plus, ce que j’ai vécu dans ma vie, ça me donne cette envie de montrer ce visage là de notre réalité.

Vous avez travaillé avec des réalisateurs étrangers et marocains ? Selon vous, la direction d’acteur a-t-elle une influence sur le rendu de l’acteur ?

La préparation est primordiale dans notre métier. Si tu ne parles pas avant à l’acteur, si tu ne le chouchoutes pas, le rendement est forcément médiocre. Pendant le tournage, il faut donner le temps pour que l’acteur puisse donner son avis et pour l’aider à exceller dans l’interprétation du rôle. Si on est trop speed, le rendement laisse à désirer. Certains réalisateurs marocains travaillent avec peu de moyens mais intelligemment. Le rapport entre l’acteur et le réalisateur ne se limite pas au tournage, c’est tout un accompagnement, avant et après. Les réalisateurs internationaux ont une certaine présence, ils savent ce qu’ils veulent. Un réalisateur est un chef d’orchestre qui doit être capable de choisir en détail ses compositions.

C’est pour cette raison que des fois, vous excellez dans de rôles et parfois, on vous sent peu crédible ?

Si un acteur est mal dirigé, il ne donne pas grand chose. Le réalisateur est comme un psy, il connait le potentiel de l’acteur et il a la responsabilité de le protéger avec sa caméra, sa vision, sa direction, son axe, sa lumière. Même s’il présente des faiblesses, il doit le mettre en valeur.

Comment gérez-vous les échecs ?

Comme je suis un professionnel, je me protège et j’essaie d’exiger des choses pour protéger au moins mon rôle et mon entourage. Si je ne réussis pas, je me dis que c’est une expérience que j’ai raté et je que je ne reproduirais plus.

Vous avez une carrière riche, reçu plusieurs prix nationaux et internationaux. Avez-vous d’autres défis ?

J’ai toujours rêvé d’être un oiseau, après, je me suis rendu compte que je pouvais voyager à travers l’art, les personnages. Aujourd’hui, je rêve d’installer un style de jeu pour les jeunes et d’être un modèle pour eux. Il faut qu’ils comprennent que la souffrance fait partie du bonheur. Je veux édifier une école qui forme aux bases fondamentales de l’acting au Maroc. Je voudrais également créer une fondation pour aider les jeunes à réaliser leur rêve ; moi, j’étais pauvre, ma mère a travaillé dur pour nous élever, je n’avais aucun accompagnement.

Vous vivez de votre art ?

Oui. Je travaille énormément, je suis toujours à la recherche de projets, je n’attends pas les castings, j’aime laisser des traces et je n’aime pas me lamenter sur mon sort.

Qui est D. Roukhe que personne ne connait ?

D. Roukhe est une personne qui se cache beaucoup mais qui vit au milieu du monde.

Votre actualité ?

La sortie de plusieurs films : Kariane Bollywood de Yassine Fenane, Dallas de Ali Mejboud, Aida avec Driss Mrini, et un téléfilm que j’ai réalisé Halib Soltane avec Dounia Boutazout et Abdellah Ferkouss ❚