JAPON : Abenomics hors cible
Shinzo Abe

Il n’est jamais bon signe pour un leader mondial quand le golf devient un objet de scandale. Alors que Barack Obama était sous les feux des critiques aux États- Unis pour avoir pris le temps d’aller taper des balles sur le green à l’heure où les manifestations et les tensions raciales secouaient Ferguson, et les fanatiques islamistes se délectaient de la décapitation d’un journaliste américain en Syrie, Shinzo Abe, son homologue japonais, s’est trouvé également sous les mêmes feux pour s’être donné au même jeu pendant une crise. Ce que l’on a surtout reproché à Abe, c’est qu’il est parti jouer une partie de golf juste après avoir reçu les rapports sur les glissements de terrain dans la préfecture d’Hiroshima qui ont fait plus de 50 morts, ensevelis par une vague de pluies diluviennes. Pourtant, comme les attaques portées contre Obama ont conduit les partis d’opposition à exiger une enquête parlementaire, on dirait que la critique dirigée contre Abe est un symptôme d’une vulnérabilité plus profonde: l’architecte des « Abenomics », autrefois populaire et incontournable, est en passe d’apprendre une leçon d’humilité. Il y a, en fait, plusieurs raisons pour lesquelles Abe a dépensé librement son capital politique sur des causes qui, selon lui, sont importantes pour le Japon, mais qui ne sont pas forcément pertinentes pour le public. Le redémarrage des centrales nucléaires mises au ralenti depuis le sinistre de Fukushima en 2011 et la révision des limites constitutionnelles dans le domaine militaire en sont quelques exemples. Cependant, la raison principale pourrait être le mécontentement face à ses politiques économiques, auparavant son plus grand atout politique. Même avant la confirmation des données publiques ce mois-ci d’une contraction économique spectaculaire de 6,8% du PIB en rythme annualisé au deuxième trimestre, certains expriment déjà leurs doutes sur la campagne du premier ministre pour stimuler la croissance. Le journal Sankei, normalement favorable aux politiques d’Abe, a parlé en juillet d’une ombre qui plane sur les Abenomics, après la publication des résultats de ses enquêteurs qui ont affiché une baisse de sa cote de popularité en ce qui concerne sa gestion de l’économie du pays. En effet, dans les multiples enquêtes d’opinion, le soutien global qui lui est signifié se situe à moins de 50%, en forte baisse par rapport à la cote de plus de 70% dont il jouissait pour l’essentiel de la première année de son mandat. «Les Abenomics sont en difficulté», alerte Robert Feldman, chef économiste chez Morgan Stanley MUFG, qui alerte d’une perte de confiance des investisseurs ainsi que celle du grand public. Bien que certains indicateurs économiques aient commencé à pointer vers le haut après un deuxième trimestre éprouvant, « le rythme est trop lent pour justifier l’espoir d’un rebond », s’inquiète Feldman. La question la plus fréquemment soulevée concernant les Abenomics était sur la capacité de son initiateur à procéder à des de gens ont sensiblement précipité leurs dépenses avant la date limite de la hausse. Potentiellement plus inquiétant : une situation économique au sens plus large suscitant des préoccupations au sujet de la stagflation. Une fois que les fluctuations du PIB en matière fiscale sont moyennées, l’économie a connu une croissance réelle zéro entre la mi-2013 et la mi-2014. Pendant ce temps, le stimulus monétaire agressif de la Banque du réformes structurelles favorisant la croissance, la troisième flèche de sa stratégie de relance à trois points. Une question qui reste sans réponse : le compte rendu paraît jusqu’à présent comme un mix de réalisations, de compromis et d’occasions manquées. Dans tous les cas, même les plus optimistes admettent que les déréglementations et toutes les autres initiatives prendront des années pour être mises en oeuvre et même plus pour enfin avoir un effet sur la croissance. A présent, le scepticisme s’est installé sur ce qui était sensé être les compétences de base des Abenomics : booster l’économie à travers la stimulation budgétaire et surtout monétaire. Le problème n’est pas tant les dernières données du PIB. Un ralentissement était universellement prévu en raison de l’augmentation de la TVA nationale qui a pris effet le 1er avril. Alors que la contraction a dépassé les prévisions initiales des experts, la hausse de l’activité économique au cours du trimestre précédant la forte reprise a connu le même sort. Et pour cause. Beaucoup Japon a alimenté l’inflation. Malgré une légère hausse des salaires en juin, une augmentation plus importante des prix signifie que les revenus réels étaient de 3,2% inférieurs à ce qu’ils étaient un an plus tôt. Même les supporters des Abenomics admettent que les choses ne vont pas exactement comme prévu. L’inflation n’est pas en soi ce qui les dérange, puisque le fait d’échapper aux baisses persistantes des prix est un objectif central de leur stratégie. Mais le cercle vertueux de la bonne inflation qu’ils ont promis, avec une hausse des prix qui se répercute sur des augmentations comparables des revenus, semble particulièrement déséquilibré devant un gonflement des prix à la consommation qui rend les gens encore plus pauvres. En effet, les salaires réels ont chuté pour le treizième mois consécutif en juillet, selon des données publiées mardi dernier. Ce recul menace l’un des piliers des Abenomics qui reposent sur l’idée que la stimulation monétaire et budgétaire entraînera une hausse de l’inflation et ce faisant des profits des entreprises qui pourront ainsi augmenter les salaires, ce qui soutiendra la croissance et enclenchera un cercle vertueux de croissance auto-entretenue. Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la BoJ, a abordé la question lors d’une réunion des banquiers centraux à Jackson Hole, dans le Wyoming, le week-end dernier. Il a qualifi é l’échec des salaires de problème gênant. Et d’ajouter que le Japon n’était qu’à « à mi-chemin » dans sa bataille avec la déflation. Mais il soutient que les revenus devraient s’améliorer dès que les entreprises et les travailleurs acceptent la hausse des prix comme la nouvelle norme au Japon. « Une fois que la banque a réussi à ancrer solidement les anticipations d’inflation à 2%, cela pourrait constituer une base sur laquelle les négociations salariales entre les partenaires sociaux seront effectuées », a-t-il affirmé. Dans cette optique, les Abenomics ne font que passer par une phase d’adolescence maladroite. Mais même Kuroda avoue qu’elle pourrait encore persister pendant un certain temps. Certes, la souplesse des salaires reste un mystère. Les bénéfices des entreprises ont touché des niveaux record. Et le Japon est en effet au plein emploi, avec un taux de chômage estimé confortablement à moins de 4%, les conditions idéales pour exiger des augmentations salariales. Pourtant, alors que les économistes s’attendent à une augmentation des revenus, les problèmes structurels pourraient limiter leur étendue. « La dynamique du marché du travail semble avoir changé au Japon depuis la reprise économique actuelle qui a débuté en novembre 2012 », précise Kyohei Morita, économiste chez Barclays. « Il s’agit en partie d’une question démographique ». En bref : les baby-boomers commencent à partir en retraite en prenant avec les emplois les mieux rémunérés. Leurs remplaçants sont plus susceptibles d’entamer leur vie professionnelle avec des jobs à bas salaire, à mi-temps, ou en tant que sous-traitants. Idem pour leur propre progéniture. Par ailleurs, une vague de mères baby-boomers tentent de renouer avec le monde du travail une fois que leurs enfants atteignent l’âge scolaire avec des salaires moindres pour la plupart. Ces changements créent un paradoxe entre une catégorie de hauts salaires alors que le revenu moyen stagne, sachant que les emplois les mieux rémunérés sont en train de disparaître du marché. D’un autre côté, les changements structurels entravent les Abenomics ailleurs. Donner aux grands exportateurs dont notamment Toyota et Sony un coup de pouce concurrentiel par l’affaiblissement du yen était un moyen fi able pour stimuler l’économie du Japon, mais la baisse de plus de 20% dans la monnaie sous Abe n’a pas fait l’affaire cette fois-ci. C’est en partie parce que le Japon est devenu un importateur net après Fukushima, en raison de l’augmentation des achats de pétrole et de gaz de l’étranger. Mais les exportations n’ont pas augmenté comme prévu non plus. Beaucoup de gens pensent que c’est parce que les entreprises ont délocalisé leurs unités de production en dehors du Japon. C’est le cas des constructeurs automobiles, par exemple dont le volume de production à l’étranger a augmenté de 80% depuis une décennie, alors que la production nationale a diminué. Abe doit décider cette année s’il faudra procéder à une nouvelle hausse de la TVA en octobre 2015, la seconde après celle promulguée par un gouvernement précédent. Il peut, toutefois, l’arrêter s’il juge l’économie trop fragile. Mais la combinaison d’un rebond du PIB attendu au troisième trimestre et la pression politique continue de s’attaquer à la dette du Japon signifie qu’il y aura plus de chance qu’il donne le feu vert à la hausse de la TVA. Dans un sondage publié par le quotidien économique Nikkei la semaine dernière, 30% seulement ont déclaré que la prochaine hausse devrait avoir lieu, en baisse de 6 points par rapport au mois dernier. La prochaine hausse devrait être moins importante, soit 2 points de pourcentage contre 3 points de pourcentage en avril. Mais les enjeux politiques sont beaucoup plus élevés : Abe doit de nouveau faire face aux électeurs d’ici le milieu de l’année 2016❚