Amaoui à Benkirane : y en a marre !
Noubir Amaoui Secru00e9taire gu00e9nu00e9ral de la CDT.

 

L’Observateur du Maroc : Quel regard portez- vous sur la situation sociale qui prévaut dans le pays ?

Noubir Amaoui : En regardant ce qui se passe actuellement non seulement au Maroc, mais dans le monde et dans notre région, il est clair que la situation va de mal en pis. Partout, on ressent chez les politiques une incapacité, presque totale, à résoudre les problèmes posés. En particulier les problèmes sociaux les plus épineux que sont le chômage et le renchérissement du coût de la vie. De nombreux indicateurs sont là pour nous prévenir des menaces persistantes qui nous guettent. Dans une concurrence mondiale qui devient encore plus rude avec les changements des équilibres mondiaux que l’on connaît suite à la montée en puissance de la Chine et du Japon, certains pays tentent d’anticiper pour trouver des solutions appropriées. Des pays en développement comme le nôtre sont sommés d’en faire de même, ne serait-ce que pour préserver le pouvoir d’achat. Parce que la crise va encore frapper, à coup sûr. Il faut éviter que cela engendre des crises politiques et sociales inextricables. Tout le monde sait aujourd’hui que l’économie est la mère des problèmes. Notre gouvernement semble incapable de comprendre les vrais enjeux des changements survenus dans le monde. On ressent une quasi démission de sa part, hormis ses tentatives de préserver les bonnes relations du pays avec ses partenaires, européens notamment, et de percer en Afrique. Ce qui n’est d’ailleurs pas chose aisée. Le pays est dans l’incertitude totale.

Que faire aujourd’hui pour sortir de cette situation ?

La sagesse voudrait que prévale, en toutes circonstances, le dialogue avec la société civile, avant même que l’on arrive devant les institutions dont le Parlement ou encore la Chambre des conseillers. Tous les dossiers importants doivent respecter cette règle pour que chacun puisse soumettre ses propositions et participer ainsi à la prise de décision. Il n’y a pas mieux que cette approche pour une bonne gestion des dossiers en instance. Faute de cela, nous attendons qu’il y ait du nouveau.

Qu’attendez-vous, une nouvelle réunion du dialogue social ?

On ne peut pas parler de nouvelle réunion de dialogue social, parce que ce processus n’a pas réellement commencé.

Mais vous vous êtes quand même réunis avec les représentants du gouvernement et avez commencé à dialoguer…

Qui n’a rien ne donne rien. Ce qu’on appelle le chef du gouvernement, est-il réellement chef du gouvernement ?

Ne considérez-vous donc pas Abdelilah Benkirane comme le chef du gouvernement effectif ?

Il ne fait qu’exécuter les instructions des institutions financières internationales, sans plus. Il n’est pas d’ailleurs le seul à le faire. D’autres chefs de gouvernement dans d’autres pays agissent de la même façon. Pendant ce temps, la société civile reste marginalisée. Vous voyez bien que le gouvernement fait la sourde oreille à nos appels.

Que reprochez-vous d’autre à Benkirane ?

Déjà dès son investiture, il n’a pas daigné se concerter avec la société civile pour l’élaboration, d’une manière concertée, du programme gouvernemental. Il agit d’une manière unilatérale comme s’il gérait une épicerie et non pas un gouvernement. En ne faisant qu’obéir aux lobbys de l’intérieur comme à ceux de l’extérieur, il n’a apporté aucune valeur ajoutée. Exactement comme ses prédécesseurs. À cause de la politique gouvernementale, tout le monde en a marre. Nous allons donc nous retrouver face à de nouvelles crises puisque nous sommes contraints désormais de recourir à la confrontation.

N’êtes-vous pas ceux qui estiment que la conjoncture actuelle laisse peu de marge de manoeuvre au gouvernement ?

Au contraire, le vent est plus favorable qu’avant pour que des changements positifs soient réalisés. Voyons les choses d’une manière globale ! Le Maroc vit une période exceptionnelle. Il y a une vision royale prometteuse pour le développement du pays. Le souverain marque par sa présence effective de nombreux dossiers, redonnant ainsi de l’espoir. Le pays ne souffre pas non plus d’un quelque vide institutionnel, mais plutôt du vide de certains esprits. Je tiens à souligner que nous ne cherchons pas des prétextes pour créer des conflits de toutes pièces. Il nous est demandé à tous de créer les conditions favorables à un développement durable dans le pays. Notre voeu est que tout le monde doit profiter des richesses existantes. Tout le monde a droit à une vie digne. Nous militons pour que les disparités sociales soient atténuées aussi bien dans les villes comme dans les campagnes. Nous abordons l’avenir non pas avec nihilisme, mais avec de l’espoir. Nous savons pertinemment qu’il y a bien des éléments qui ne figurent plus dans aucun dictionnaire politique. Notre souci premier est le développement du pays ainsi que la répartition juste et équitable de ses richesses. Il est anormal que certains touchent encore aujourd’hui des dizaines de millions de dirhams alors que d’autres n’ont même pas de quoi vivre. D’où notre appel au gel, s’il le faut, de certains hauts salaires.

Ne croyez-vous pas aux contraintes économiques dont ne cesse de se plaindre Benkirane ?

Mais ne nous demandons rien d’autre que de partager l’existant et de faire avec le possible. Nous voulons tous participer à développer l’économie nationale, mais nous voulons aussi que tout le monde en profite d’une manière équitable. Il n’y a pas plus simple que cela.

Que réclamez-vous aujourd’hui, une réunion avec Benkirane ?

Que l’on se réunisse ou pas n’est pas la question. L’essentiel pour nous est que le gouvernement soit capable de bien assimiler les problèmes posés, de bien ficeler ses dossiers et de venir avec des propositions concrètes et applicables.

Entendez-vous par là le dossier de la réforme des systèmes de retraite, par exemple ?

En effet, l’une des grandes erreurs commises par le chef du gouvernement est sa précipitation dans ce dossier, avec notamment son décret de l’été. La concertation lui aurait évité des malentendus. Nous ne sommes pas contre la réforme en elle-même, mais nous avons notre mot à dire quant à sa teneur.

Qu’en est-il aujourd’hui concernant la concertation entre la CDT et ses autres alliés syndicaux ?

Nous avons entamé depuis bien longtemps cette démarche de concertation avec d’autres syndicats, notamment l’UMT, en oubliant les divergences du passé. Nous avons pu ainsi dépasser les clivages que favorisait la politique qui était menée dans le pays. Aujourd’hui, nous continuons de nous concerter. Tout en respectant le pluralisme et la diversité, nous tendons à avoir une vision commune face au gouvernement et au patronat. Notre but ultime est de favoriser le développement du pays.

Cette analyse apaisée contraste avec les appels aux grèves lancés dernièrement, tant par des confédérations comme la vôtre, mais aussi par des syndicats sectoriels dont celui de l’enseignement supérieur…

Faute de volonté politique, de conviction intellectuelle en faveur des changements nécessaires et faute de mesures pratiques et concrètes, les syndicats quel qu’ils soient sont en droit d’exprimer leur indignation. Aujourd’hui, on voit bien qui profite de la richesse du pays et qui s’en accapare la plus grosse part. Tout est clair. Il suffit, par exemple, de voir l’argent dont dispose les banques dans le royaume pour être éclairé à ce sujet. Posons-nous ces quelques questions élémentaires : Les banques ont-elles été impactées par la crise ? La réponse est non. Et Pourquoi ? Parce que des fonds colossaux se trouvent dans leurs caisses. Et qui remplit ces caisses ? Les riches, bien sûr. Comment la plupart de ces derniers gagnent-ils tout cet argent ? Quelque part, c’est grâce au dur labeur des classes défavorisées. Bref, pour qui voudrait changer les choses vers le sens positif, la voie est toute tracée ❚