Dysfonctions érectiles : Parole aux Marocaines

C’est l’une des conclusions alarmantes à laquelle est parvenue la dernière étude scientifique menée à ce sujet par le CHU Ibn Rochd de Casablanca et présentée à la presse par l’Association Marocaine d'Endo-Urologie (AMEU) le 17 septembre dernier.

Les troubles de l’érection vus par ces dames

Réalisée durant l’année 2014 au centre de diagnostic Averroès auprès d’un échantillon de 202 femmes âgées de 20 ans et plus, mariées ou ayant une activité sexuelle régulière, cette enquête vise à faire connaître le vécu des dysfonctions érectiles dans le couple marocain, mais sous un prisme féminin, et c’est là l’aspect inédit de ladite étude. Si l’étroitesse numérique du panel confine à la prudence, il n’en demeure pas moins que les chiffres qui en ressortent sont éloquents à plus d’un titre sur la dysharmonie sexuelle au sein du ménage marocain.

Près de la moitié des Marocains sujets à des dysfonctions érectiles

Ainsi, on apprend que 45% des femmes interrogées confient avoir un partenaire souffrant d’une dysfonction érectile. Si 66% de ces hommes présentent un trouble de l’érection léger ou moyen, ils sont 13% à souffrir d’une dysfonction sévère. Parmi les raisons médicales et organiques à l’origine de ces troubles, les experts qui ont réalisé cette étude sous la houlette du Docteur Redouane Rabii (chef du département d’urologie à l’hopital Ibn Rochd et président de l’AMEU), évoquent le diabète, l’hypertension, les maladies cardiaques, mais aussi certaines addictions comme le tabagisme et l’alcool. Aussi, sur les partenaires des 202 femmes interrogées, 24 souffrent de diabète (soit 12%), 18 d’hypertension (soit 9%), tandis que 5 autres présentent des cardiopathies (soit 2%) et 6 souffrent de dépression nerveuse. Pour ce qui est addictions toxiques, 28% des partenaires sont fumeurs et 2% alcooliques, d’après les dires des concernées.

Les hommes pauvres et peu éduqués, premières victimes

D’autres facteurs psychologiques peuvent favoriser les dysfonctions érectiles, tels que le stress professionnel ou un choc émotionnel subi par le patient. Le niveau d’éducation semble également déterminant dans l’apparition de ces troubles sexuels. Les chiffres fournis par l’enquête montrent en effet une prévalence de la dysfonction érectile à hauteur de plus de 56% chez les hommes ouvriers et à hauteur des deux tiers chez les chômeurs, contre seulement 10,5% chez les cadres et professions libérales. En somme, un Marocain analphabète aurait 3,35 fois plus de probabilité de souffrir d’un trouble érectile qu’un compatriote ayant suivi un cursus universitaire.

Entre déni et agressivité, le mâle face au mal

Signe incontestable de virilité dans une perception populaire phallocratique et patriarcale, l’érection masculine, lorsqu’elle est absente ou défaillante, rime souvent avec malêtre et souffrance pour celui qui la subit. L’attitude des hommes concernés face à ces troubles érectiles est variable et peut aller du déni jusqu’à la dépression sévère en passant par l’irritabilité et l’enfermement sur soi. L’étude révèle ainsi que près du tiers des hommes évitent leur partenaire par peur de l’échec, voire renoncent à toute activité sexuelle, tandis que près de 15% parmi eux se montrent agressifs à l’égard de leur compagne et moins de 10% insistent pour tenter d’avoir une érection suffisante. Néanmoins, le plus préoccupant dans l’affaire est que l’écrasante majorité des hommes atteints de ces dysfonctions ne consultent pas de médecin. En effet, ils sont seulement 5% à franchir la porte de cabinet d’un spécialiste, tandis que plus de 26% préfèrent recourir à la médication par voix orale (avec Viagra en tête, suivi de Cialis, de Biotone et d’Erector), d’autant plus que les fameuses petites pilules bleues, non remboursées par les assurances maladie, sont disponibles sans ordonnance en officine.

Les fruits amers de la frustration féminine

Frustration, culpabilisation, baisse de l’estime de soi, honte…Face aux problèmes d’érection de leur partenaire, et faute de communication suffisante au sein du couple (parmi les sondées, seules 9% osent discuter du sujet avec leur compagnon), plus de 75% des femmes interrogées se déclarent insatisfaites sexuellement et sujettes à des humeurs contrariées allant de l’anxiété à une grave dépression. Tous ces non-dits font le lit d’une détérioration des relations conjugales et partant, d’une séparation dans certains cas. Le manque de communication quotidienne et effective au sein des couples en question est étroitement corrélé à l’absence d’une éducation sexuelle et sentimentale appropriée. Victimes d’un conservatisme social empreint de misogynie, les femmes concernées sont souvent considérées et se perçoivent elles-mêmes comme des outils de satisfaction des besoins sexuels masculins, supposés supérieurs par nature. A ce titre, elles sont tenues de combler les envies libidineuses de leur époux sans réclamer leur dû au plaisir, et encore moins donner leur avis sur les performances de leur partenaire. Au final, les troubles de l’érection non solutionnés apportent leur lot de souffrances quotidiennes au patient comme à sa compagne, perturbant le bien-être sexuel et l’harmonie amoureuse du couple dans sa globalité.

Plus de communication, plus d’éducation, plus de satisfaction

Au vu de ces données peu reluisantes, les experts à l’origine de cette étude ont encouragé les hommes sujets à des troubles de l’érection à consulter un spécialiste dès les premiers symptômes pour pouvoir bien les traiter, sachant qu’il existe aujourd’hui des médications surmesure très efficaces. Ils ont également appelé à l’introduction de l’éducation sexuelle dans le cursus scolaire, pour briser le tabou et les blocages entourant les choses du sexe et de l’amour : « L’adolescent marocain n’a pas droit à son intimité (…). La masturbation, qui est une pratique naturelle, devient un acte interdit. Le sentiment de culpabilité donne naissance à une vulnérabilité sous-jacente qui se manifeste plus tard, à l’âge adulte, et qui peut donner lieu à plusieurs formes de troubles érectiles», souligne à ce propos Docteur Khadija Mchichi Alami, sexologue et psychothérapeute. De son côté, Pr. Nadia Meziane, gynécologue et professeur à la faculté de médecine de Casablanca, espère l’élaboration par le ministère de la Santé de campagnes de sensibilisation sur le sujet à destination du grand public et des professionnels de la santé. Reste à savoir maintenant si le département de Houcine El Ouardi répondra favorablement à l’appel de l’AMEU pour le remboursement par la mutuelle des traitements cliniques des troubles érectiles, considérés à juste titre comme un problème de santé publique à part entière. Affaire à suivre… ❚