Cinéma, des maux et des mots !

Le professionnalisme aux abonnés absents

« Pour résumer, la plus grande faiblesse du domaine reste le manque de professionnalisme. Et ceci sévit à tous les niveaux ! », résume Adil Semmar, critique de cinéma. Mettant le doigt sur la plaie, le critique analyse l’état des lieux sans compassion. « On produit actuellement en moyenne 25 films par an. Une bonne quantité mais sans la qualité requise car n’émanant pas d’un projet cinématographique précis. Ce sont des projets individuels faits d’une manière isolée en l’absence de maisons de production professionnelles capables de porter un projet : financièrement, logistiquement et humainement, dans le respect des règles de l’art », rajoute Semmar en insistant sur l’importance du cumul d’expériences chez les producteurs. Pour le critique de cinéma Mostafa Messnaoui, ce manque de professionnalisme chronique prend différentes allures et se manifeste sous multiples formes dans le secteur. «Lorsqu’un réalisateur s’amuse à tout faire de la réalisation à la production en passant par le montage et l’écriture de scénario et de dialogue, on ne doit pas s’étonner du résultat. Un film est le fruit de la collaboration et de la communion de plusieurs compétences et talents. C’est une industrie où tout un chacun doit accomplir et se concentrer sur sa mission. Les cinéastes marocains semblent souvent l’oublier !», analyse Messanoui qui incombe cet amateurisme à la grande défaillance en formation. La grande lacune du secteur…

Formation, be or not to be !

Faut-il passer par l’école de cinéma pour pouvoir faire du cinéma ? Pour les critiques, un passage par les bancs de l’école est essentiel pour devenir cinéaste. «Faire du cinéma, c’est du talent mais aussi de la technique et une culture à se forger en regardant des films, en lisant et en apprenant des connaissances. Or la plupart de nos cinéastes ne sont jamais passés par là. Nombreux sont ceux qui ont pris un raccourcis en mettant directement la main à la pate !», fustige Mostafa Messnaoui. Adil Semmar de son côté, regrette les répercussions de ce manque en connaissances cinématographiques sur le résultat final : une qualité médiocre ! Pour le cinéaste Chrif Tribek qui ne jure que par les cinéclubs, l’instruction d’un réalisateur passe avant tout par « la formation de son oeil» « à travers le visionnage des chefs d’oeuvres du cinéma international et la lecture. Une autoéducation artistique est le meilleur moyen de se mettre à niveau », explique le cinéaste. Pour Mohamed Mouftakir, le réalisateur de «Pégase » (Etalon d'or de Yennenga au Fespaco 2011), il n’est pas nécessaire de passer par l’école pour faire du cinéma. «Beaucoup de cinéastes apprennent le métier sur le tas. Il n’y a pas meilleure école que le terrain !», confirme le cinéaste même s’il reconnait que le résultat n’est pas toujours à la hauteur. « Le véritable problème, c’est que les réalisateurs marocains porteurs de projets sont une minorité. Ce n’est pas en disant "Action” que l’on devient cinéaste ! », explique-t-il. Terrain, instituts étrangers, expérience … les voies menant derrière la camera diffèrent mais seul le produit final importe. Après le lancement de l’Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech, il y a 6 ans (privé), le ministère de la communication pense enfin à créer l'Institut supérieur des métiers de l"audiovisuel et du cinéma (ISMAC) à Rabat (2012). Une solution qui ne fait toutefois pas l’unanimité. « L’État traite cette école comme n’importe quelle institution d’enseignement public en oubliant sa particularité. Pour pouvoir y enseigner, les professeurs doivent être titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme d’ingénieur d’État ! Or, beaucoup de cinéastes, d’artistes et de spécialistes capables de transmettre leur savoir faire aux étudiants ne sont pas porteurs de ce genre de diplômes. Scorsese lui-même ne peut pas y enseigner !», s’exclame Messnaoui qui appelle vivement à une révision des priorités du seul établissement public du cinéma.

Public, où es-tu ?

Lorsqu’un problème en cache dix, on peut parler alors d’une affaire bien complexe. C’est le cas lorsqu’on évoque le rôle du public dans l’équation cinématographique au Maroc. «D’après mes observations et mon expérience, je peux vous affirmer qu’aucun cinéma ne peut décoller sans l’existence d’un véritable marché local. C’est là le point de départ ! », note Adil Semmar. Chrif Tribek est du même avis : «Seul le public donne vie au cinéma. Personnellement, je pense que produire un cinéma exportable à l’étranger, non seulement dans les festivals mais aussi dans les salles commerciales, ne fera que du bien à la production nationale». Même si on a souvent tendance à sous estimer son impact sur l’évolution du cinéma national comme le confirme Messnaoui, le public marocain devient de plus en plus cinéphile. «Grâce au piratage », explique le critique qui en trouve là un véritable bienfait du phénomène. « Mais l’éducation à l’image et l’éducation artistique en général restent un véritable handicap pour le cinéma national car le privant d’amateurs capables d’apprécier et de consommer non seulement le cinéma mais tous biens culturels », analyse Tribek. Ce dernier regrette d’ailleurs la disparition progressive des salles. « Un sacré frein à la diffusion et la distribution des films qui n’arrivent plus aux spectateurs», lance Mouftakir en évoquant un autre problème et pas des moindres : la mise à niveau technique et esthétique des salles existantes. «Évidemment, avec un programme d’animation bien varié qui prend en considération les attentes du public. Ceci en lui proposant du bon cinéma dans une ambiance conviviale sur des lieux bien équipés. L’objectif est de faire de ce moment une véritable sortie divertissante et instructive », souhaite Mouftakir.

Subvention polémique

En voilà un système qui n’a jamais fait l’unanimité ! Polémique à souhait, il fait plus de mécontents que d’heureux et par heureux on désigne ceux qui arrivent à décrocher la très convoitée subvention. Critères de sélection, jury, méthodes, montants, lauréats, fondement… tout y passe. La critique n’y va pas de main morte pour disséquer les défaillances d’un système aspirant à promouvoir l’art cinématographique mais qui s’égare souvent en cours de route. «Il faut avouer que le système de subvention commence à donner des résultats contraires à ceux escomptés. A force de donner des avances sur recettes à des scénarios de navets, le CCM mine la qualité du cinéma nationale », regrette Messanoui. «Pire, de la vingtaine de films bénéficiant de la subvention avant coup, la plus grande partie reste dans les bobines. Ces films ne sont jamais diffusés dans les salles ! », explique Adil Semmar en enfonçant le clou . L’argent des contribuables, soit la bagatelle de soixante millions de dirhams consacrés à l’avance sur recettes (rien qu’en 2013), se perd ainsi dans la nature sans control ni suivi ! « Pourtant la loi est claire: la subvention doit être octroyée à des films finis et déjà mis en boite», affirme Mesnaoui. En réalité, il n’en est rien et le CCM continue de subventionner des projets sur papier dont l’aboutissement est aussi incertain que l’avenir du cinéma national❚