Séries Turques : Les secrets de leur succès au Maroc

Sur la route d’Anfeg

Les chiffres parlent d’euxmêmes : pour la seule année 2013, les pays arabes ont consommé 150 millions de dollars US de feuilletons télévisés turcs. Le cabinet d’études Deloitte Turkey, à l’origine du rapport publié le 26 août 2014 à ce sujet, révèle par ailleurs que les recettes générées par ces feuilletons (soit plus de 70 séries tournées tous les ans) ont augmenté de 70 % par an ces 5 dernières années, passant de 10 millions de dollars en 2008 à 150 millions de dollars en 2013. Chaque épisode exporté peut en outre rapporter l’équivalent de 200 000 dollars en fonction de sa qualité et de sa popularité.

Production industrielle et coûts attractifs

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les soap-operas turcs ne sont pas appréciés uniquement dans les foyers maghrébins ou moyen-orientaux. En effet, 36% des séries exportées dans le monde (dans 76 pays en tout, notamment dans les Balkans, la Russie, la Chine et le Pakistan) sont turques et en une décennie, la république d’Erdogan s’est hissée au deuxième rang des pays producteurs de séries après les États-Unis. Derrière cet engouement, et avant toute chose, un coût de production relativement bon marché (entre 100 et 300 000 dollars par épisode en moyenne), lié notamment au faible nombre de scénaristes par saison et à la réinjection des revenus sur les ventes à l’international dans la production de nouveaux épisodes.

Le doublage en darija, un choix judicieux

Auparavant traduites en arabe oriental (dialecte syrien ou libanais), ces séries sont depuis quelques années doublées en dialecte marocain. Un choix linguistique qui s’est avéré judicieux, puisqu’il a permis d’atteindre un public beaucoup plus large, notamment parmi les téléspectateurs analphabètes ou illettrés. Au grand dam des détracteurs du doublage en darija qui continuent à juger « décalé et ridicule » le fait d’entendre des acteurs étrangers « blonds aux yeux bleus » s’exprimer dans la langue du Marocain lambda.

Drame sentimental sur fond de décor onirique

Amours interdites, familles ennemies, intrigues, passions et trahisons, grandeur et décadence…Les ingrédients des mélodrames turcs sont les mêmes que ceux de tout soap-opera digne de ce nom, à la différence que les récits se déroulent dans une société musulmane, avec un référentiel religieux et des tabous sociaux bien connus des téléspectateurs arabes. Fourmillant de personnages en tous genres, de la belle et arrogante rentière à l’humble mère de famille ouvrière en passant par l’étudiante romantique éprise du richissime homme d’affaires, ces feuilletons racontent en général des intrigues parallèles (entremêlées ou indépendantes), avec à la fin de chaque épisode la promesse d’une suite encore plus palpitante... sachant que chaque série peut comporter jusqu’à 42 épisodes. A côté de l’intensité de l’intrigue et du professionnalisme des acteurs, la qualité de l’image est aussi considérée comme l’un des ingrédients majeurs du succès des soap-operas turcs. Et il faut dire que le cadre extérieur aide beaucoup. En effet, la plupart des feuilletons sont tournés dans les quartiers historiques et résidentiels d’Istanbul, offrant à voir au public la sublime et historique Constantinople flirtant avec une métropole éblouissante de modernité.

Les Turcs, notre miroir embellisseur

Beaux, séduisants, soignés, éduqués, nantis et bons musulmans. Ringardisant les tonitruantes paysannes égyptiennes ou les curés des telenovelas mexicaines, les protagonistes des soap-operas turcs représentent pour les téléspectateurs marocains une sorte de miroir embellisseur, d’idéal à atteindre. « Je suis fan de ces séries, elles me font oublier le stress et la banalité du quotidien. Contrairement aux séries américaines par exemple, on peut aussi les voir en famille, sans risquer de tomber sur une scène osée. Avec ma mère et ses amies, on adore deviner les marques de vêtements des héroïnes pour acheter les mêmes et on copie un peu la décoration de leurs résidences. J’ai aussi convaincu mon mari de prendre la même voiture qu’Haroun dans XXX. Il est tellement viril et distingué…», confie avec un soupir entendu Rania, 30 ans, cadre à la banque. A l’instar de Rania, nombre de jeunes filles et de mères de famille marocaines semblent s’identifier elles aussi à ces personnages et aux valeurs culturelles et morales qu’ils véhiculent. En l’occurrence un attachement aux traditions sociales et religieuses (pudeur, code de l’honneur, sacralité de la famille, fatalisme, cérémonies et rites musulmans, etc.) n’empêche pas pour autant une certaine ouverture d’esprit et un style de vie contemporain. En somme, le modèle turc tant vanté par l’AKP, alliant références islamiques, style de vie à l’européenne et prospérité économique. Vous avez dit « ottoman soft-power » ? ❚