« Nous voulons être le think tank de référence pour le continent »
Carlos Lopes, Secru00e9taire exu00e9cutif de la Commission Economique des nations Unies pour lu2019Afrique (CEA) et Secru00e9taire gu00e9nu00e9ral adjoint de l'ONU

L’Observateur du Maroc : Ne regrettez-vous pas d’avoir délocalisé, pour la première fois, le Forum pour le développement de l’Afrique ?

Carlos Lopes : Non ! Il faut savoir que nous avons entrepris depuis deux ans à la CEA des approches nouvelles. Nous voulons être beaucoup plus la boîte à idées et le think tank de référence pour le continent. Ce Forum représente une activité phare de notre travail de réflexion. Il bénéficie de beaucoup de possibilités pour pouvoir faire le tour du continent. Nous sommes très contents d’avoir commencé par Marrakech.

Le nombre de participants et leur qualité a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?

La participation très active de tous les secteurs qui ont été mobilisés pour la discussion sur les financements innovants montre que nous avons réussi notre pari. Il y a eu aussi la présence de chefs d’Etat et de gouvernements. Cela se fait pour la première fois dans un forum de ce genre. En tout, nous avons eu près de 900 participants. C’est vraiment un record. Nous totalisions d’habitude de 500 à 600 participants. Nous avons bien grimpé en termes de chiffres et aussi de qualité des participants. Donc, nous sommes extrêmement contents.

Y a-t-il eu des propositions novatrices et pratiques concernant la problématique du financement en Afrique ?

Je pense que nous avons très bien préparé la discussion en faisant de la recherche sur les différentes dimensions de financements innovants. Nous avons apporté ici les résultats de notre recherche sur le trafic illicite des capitaux. Nous avons également apporté les conclusions de notre recherche sur les fonds d’investissement privé, sur la mobilisation de ressources domestiques africaines et sur le financement pour les changements climatiques. Cette panoplie d’éléments a fait que les discussions soient beaucoup plus profondes. Les discours des présidents qui ont fait le déplacement à Marrakech et les premiers ministres ainsi que le message royal ont tous été très profonds. Tous ont insisté pour que la stratégie africaine repose d’abord sur les ressources africaines. C’était le message qu’on voulait transmettre.

Quelles sont les nouvelles idées qui vous ont personnellement marqué ?

Vous savez, nous ne sommes pas en train de chercher l’autarcie. Nous savons que l’Afrique se présente dans un marché global qui est dynamique. Ce que nous voulons justement c’est amener ces marchés à s’intéresser davantage au continent. Exemple des bonnes idées énoncées, celle émise par des acteurs actifs dans le domaine des fonds d’investissement. Ces derniers ont montré comment mobiliser les fonds de pension qui ont des réserves considérables de capital et qui pourraient être investies en Afrique. Nous avons aussi beaucoup débattu du branding et d’image pour voir comment l’Afrique doit se présenter différemment afin de créer des intérêts nouveaux. Nous avons aussi beaucoup parlé des questions relatives au système de régulation et réfléchi comment le continent peut mieux négocier ses contrats, notamment dans le domaine des ressources naturelles. Donc il y a eu beaucoup d’idées intéressantes que nous avons captées et que nous allons maintenant transformer dans une série de recommandations. Lesquelles seront introduites dans les processus de discussion.

À quoi pensez-vous en parlant d’atouts ?

Commençons par notre richesse démographique puisque nous sommes le continent le plus jeune et serons encore jeune dans les décennies à venir tandis que le reste du monde va vieillir. Je pense aussi à la richesse des ressources naturelles et celle des réserves de toutes sortes : énergie renouvelable, terres arables non utilisées, etc. C’est clair que nous sommes un continent d’avenir. Nous devons juste avoir beaucoup plus de confiance en nous-mêmes.

Choisir le financement comme thème central de ce Forum signifie-t-il que c’est l’argent qui est le principal souci du moment pour l’Afrique ?

Si on fait de l’industrialisation notre principal véhicule de transformation et il l’est, comment va-t-on alors la financer ? C’est là vraiment la portée du débat que nous avons eu dans le Forum de Marrakech. Si l’Afrique réussira à attirer entre 100 et 120 milliards de dollars d’investissement par an, ce continent pourra vraiment s’occuper de ses infrastructures.

Sauf que l’Afrique a un problème d’image…

Le continent est attractif pour les investisseurs, pourvu qu’il puisse contrôler ce problème d’image. On voit bien ce qui se passe avec Ebola. Or c’est 1% de l’économie africaine qui est affecté à travers les trois pays touchés par le virus. Idem pour les conflits. Il y a 5 millions d’Africains qui sont concernés par des conflits, mais on ne parle plus des 900 millions qui restent. C’est la même chose pour la famine. Il y a peut-être 4 voire 5 mille personnes qui sont touchées, mais on parle de famine en Afrique. Donc, nous devons mieux contrôler notre image pour ne pas effrayer les investisseurs potentiels qui sont là disponibles et ne cherchent que des bonnes opportunités.

Autre problème lié à celui de l’image de l’Afrique est celui de la bonne gouvernance. Y aurait-il là aussi dramatisation exagérée ?

L’un des baromètres les plus complets dans ce domaine est celui de Mo Ibrahim qui montre, avec plus de 130 indicateurs annuels, que l’Afrique fait des progrès considérable en matière de bonne gouvernance. Si on regarde, par exemple, le climat des affaires, qui est un indice produit par la Banque mondiale, on remarquera que des pays africains surclassent de nombreux autres pays dans le monde. Nous avons une dizaine de pays qui ont un classement meilleur que la Chine, par exemple. Nous avons aussi une quinzaine de pays qui ont un climat d’affaires meilleur que celui de la Russie. Encore une fois, c’est beaucoup plus un problème de perception. Bien sûr qu’il y a des problèmes de corruption et autres, comme il y en a partout dans le monde. Mais je crois qu’il y a toujours une exagération quand il s’agit de l’Afrique.

La coopération Sud-Sud, vous y croyez ?

Plus que croire, je la vois. Il y a une vingtaine d’années, les relations commerciales intra-africaines représentaient à peu près un quart seulement de l’ensemble des échanges. Actuellement, elles représentent déjà la moitié. Je pense que dans une dizaine d’années, ce taux augmentera à 60%. Le progrès est donc visible ❚