« Je réclame davantage d'équité »
Macky Sall : Pru00e9sident du Su00e9nu00e9gal

L’Observateur du Maroc : Que vous a dit le Roi Mohammed VI que vous venez de rencontrer ?

Macky Sall : Ce sont des discussions entre chefs d’Etat ! Le Roi m’a fait l’honneur de me demander de passer le voir. Donc dès que j’ai atterri à Rabat, je me suis rendu au Palais. Sa Majesté m’a reçu longuement. Nous avons eu des échanges sur des questions bilatérales et aussi multilatérales. Nos discussions confirment l’excellence des relations entre le Maroc et le Sénégal, à tous les points de vue. Ensuite, j’ai gagné Marrakech pour l’ouverture du Forum qui est important parce qu’il s’agit de trouver des réponses aux questions des financements innovants pour l’Afrique.

Est-ce que le financement est le vrai problème qui pèse sur le développement de l’Afrique ?

L’Afrique a besoin d’investissements, comme tous les continents. L’Europe en a eu besoin, aux lendemains de la guerre pour se reconstruire. Le plan Marshal a été lancé. La Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement a été mise en place. Aujourd’hui, l’Afrique a besoin d’infrastructures, d’énergie, d’électricité, de chemins de fer pour transporter les marchandises et les ressources naturelles. Et pour tout cela, il faut de l’argent !

200 milliards de dollars par an, dit-on...

Si vous songez à ce que l’Afrique génère en pétrole, en manganèse, en diamant, en or, etc., vous réalisez que ces 200 milliards ne représentent pas grand-chose… Et même, rien du tout ! Encore faut-il valoriser ces ressources du continent. C’est là où le bât blesse. Or, le développement de l’Afrique va fortement impacter la croissance mondiale. C’est mécanique : si les Africains deviennent capables de consommer, la production dans les pays développés sera relancée. Si les Africains ont besoin de voyager davantage, ils achèteront des avions et cela constituera une aubaine pour Airbus ou pour Boeing. La demande augmentera pour les smartphones, etc. Le développement de l’Afrique est lié au développement du monde. C’est comme cela qu’il faut voir les choses et c’est pour cela qu’il faut permettre à notre continent d’accéder aux ressources du marché. Trop de règles ont été définies par des institutions au moment où nous, Africains, n’avions pas droit à la parole. Elles nous interdisent par exemple de nous endetter au-delà d’un certain seuil, alors que l’Europe et les États-Unis ont enfoncé ces plafonds. Ces règles archaïques qu’on prétend nous imposer, nous ne les acceptons plus.

[caption id="attachment_14013" width="550"] Vincent Hervouët et Mohammed Zainabi de L’Observateur du Maroc ainsi que Mina Catherine Lakrafi, responsable du pôle communication auprès de la présidence sénégalaise suivant attentivement les déclarations du Président Macky Sall.[/caption]

Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui estiment que ce genre de forum est du temps perdu et que les présidents voyagent pour échapper aux soucis domestiques qu’ils rencontrent dans leurs pays, pour prendre de la hauteur, ou même pour se reposer ?

C’est vrai que l’avion est un des rares endroits où l’on vous laisse tranquille… Mais je ne me repose jamais au cours d’un voyage à l’étranger. La preuve c’est que je suis en train de répondre à vos questions alors qu’il est près de minuit, que la journée a été longue et le travail intensif ! Les déplacements à l’étranger sont importants car ils offrent des opportunités. Soit de parler avec les autres chefs d’Etats, soit de rencontrer des représentants du secteur privé et d’explorer de nouvelles possibilités. Les voyages institutionnels statutaires, comme les réunions de l’Union africaine, auxquelles nous sommes tenus d’assister, sauf en cas d’empêchement majeur, sont idéales pour des échanges en tête-à-tête. En un seul endroit et en peu de temps, on voit un maximum de chefs d’État ! Mais le forum de Marrakech est à part. J’y ai une responsabilité particulière. En tant que Président du Comité d’orientation des chefs d’Etat et de gouvernement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), je suis tenu de présenter un compterendu de suivi à la séance plénière de ce Comité sur le niveau d’avancement, notamment des programmes d’infrastructures pour l’Afrique.

Le virus Ébola pose un autre défi, urgent. Est-ce que vous trouvez que la mobilisation internationale est à la hauteur ?

Elle n’est pas du tout à la hauteur ! Mais le virus donne un bon exemple de l’injustice qui règne en ce monde. Quand le Sénégal a eu un cas d’Ébola, qui était pourtant importé puisqu’il s’agissait d’un étudiant venu de Guinée, toutes les télévisions du monde l’ont annoncé. Or le malade a été traité et guéri, par la grâce de Dieu. Depuis lors, il n’y a plus aucun autre cas dans notre pays. L’OMS a d’ailleurs sorti le Sénégal de la liste des zones contaminées par le virus. Mais les pays européens qui ont deux, voire trois cas avérés, n’ont pas eu le même traitement. Pourquoi ne les isole-t-on pas ? Pourquoi les États-Unis, qui ont eu deux cas, n’ont pas été isolés ? Quand il s’agit d’un pays africain, au premier cas de contamination signalé, l’embargo est décrété. Mais dans des pays du nord qui ont eu des morts à déplorer, on n’en parle pas. Quand l’OMS prépare des statistiques, établit une cartographie et que des pays développés ont des cas d’Ebola, on doit dire que ces pays sont contaminés. Ils doivent être dans la liste des embargos. Il devrait y avoir sur la carte de l’OMS, un flash sur l’Espagne et un autre sur les États-Unis. Mais qui va oser mettre les États-Unis dans cette liste ? Vous voyez bien l’injustice qu’il y a dans ce monde !

N’êtes-vous pas effaré quand vous voyez qu’à Huston comme à Madrid, des personnels de santé qualifiés ont été contaminés, alors qu’ils travaillent dans des hôpitaux ultramodernes et qu’ils sont particulièrement vigilants sur les règles d’hygiène ?

Oui, mais ils ne connaissant pas cette maladie à laquelle ils n’ont jamais eu à faire face. Ils vont évidemment développer de nouveaux protocoles. Pour l’heure, on est face à l’inconnu. Mais il ne faut pas s’en angoisser.

Ébola ne risque pas de remettre en cause la tenue du sommet de la francophonie à Dakar en novembre?

Ce serait absurde. Ébola n’est pas seulement une affaire africaine. C’est vrai que le virus est apparu en zone forestière et qu’il a été signalé pour la première fois en Afrique de l’ouest. Mais le cas que notre pays a connu a été soigné avec succès. On ne parle plus d’Ébola au Sénégal. Alors, je réclame davantage d’équité !

L’un des candidats au poste de secrétaire général de la Francophonie, Jean-Claude De l’Estrac a dit que l’un des problèmes de la francophonie était dans la tête des élites françaises qui ne défendent pas assez leur propre langue. Est-ce que vous partagez ce constat ?

Le Français est une langue merveilleuse qui rassemble aujourd’hui quelques 700 millions de locuteurs. Quand on parle une langue qui a un tel rayonnement, on se doit de la défendre. Si les Français eux-mêmes ne respectent pas leur langue, c’est un autre problème. En ce qui nous concerne, nous autres francophones, nous devons nous battre pour cette langue qui est devenue notre bien commun. Au-delà de la langue, c’est aussi les valeurs d’humanisme, de démocratie, de liberté que nous défendons.

Vous aviez promis avant votre élection de réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans. Est-ce que vous allez tenir parole ?

J’organiserai un référendum pour modifier la constitution en 2016. Je pourrai alors réduire mon mandat de sept à cinq ans. Et je serai candidat pour en faire un second ! ❚