Le Maroc et l’Espagne sont des partenaires, des alliés et des amis

L’Observateur du Maroc : Comment jugezvous les relations maroco-espagnoles ?

JORGE FERNÁNDEZ DÍAZ : Les relations entre l’Espagne et le Maroc se trouvent dans une phase fabuleuse. « Les meilleures dans l’Histoire », comme cela a été souligné pendant le voyage que Sa Majesté le Roi Felipe VI a effectué au Maroc en juillet dernier. Cette bonne relation doit beaucoup aux liens historiques entre nos deux Maisons Royales. Le Maroc et l’Espagne sont des partenaires, des alliés et des amis et, en matière d’Intérieur, le Maroc est un partenaire essentiel. Cette relation étroite entre l’Espagne et le Maroc est fondamentale dans le contexte international tant pour la région que pour l’Union Européenne. Le ministère de l’Intérieur d’Espagne parie sur l’intensification des contacts, des réunions et des voyages et bilatéraux, déjà nombreux, dans son domaine de compétence.

Le terrorisme pose un grand défi aussi bien au Maroc qu’à l’Espagne. Comment s’organise la lutte contre ce phénomène en Espagne et quelle est selon vous, la stratégie la mieux adaptée pour en venir à bout ?

En effet, l’Espagne et le Maroc ont subi directement le fléau du terrorisme. Historiquement, l’Espagne a subi un terrorisme domestique, qui a été battu par la police grâce à la force et à la résolution des Forces et des Corps de la Sécurité de l’État, à l’action de la Justice et à la force et la dignité des victimes et de la société espagnole. Depuis plus de 10 ans, l’Espagne subit aussi, comme le Maroc, les effets du terrorisme international. Les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca ou du 11 mars 2004 à Madrid sont deux exemples très clairs de la façon dont la barbarie terroriste a frappé nos deux pays. Le terrorisme est une menace persistante pour nos sociétés. Et encore maintenant, d’une manière spéciale, car, à cause de conflits comme ceux de la Syrie, l’Irak ou le Mali, certains de nos jeunes, trompés et leurrés par de fausses promesses, s’intègrent dans des groupes terroristes divers. Ces jeunes posent un risque non seulement à cause des activités qu’ils mèneront dans les pays où ils iront lutter, mais aussi pour leurs pays d’origine, au cas où ils y rentreraient, car ils rentreront formés et plus radicalisés. Le phénomène du terrorisme est une priorité pour les forces de sécurité espagnoles. Du point de vue de l’organisation, les corps responsables de la lutte contre le terrorisme sont la Police Nationale et la Guardia Civil, en particulier moyennant leurs services d’Information. Le Centre National d’Intelligence (CNI), dépendant du ministère de la Présidence y participe aussi. En plus, le mois d’octobre dernier, l’Espagne a procédé à la fusion des deux centres d’intelligence et de coordination qui, dans le ministère de l’Intérieur, faisaient face à la criminalité organisée et au terrorisme, parce que nous pensons qu’en beaucoup d’occasions les deux phénomènes sont liés. On a créé ainsi le Centre d’Intelligence contre le Terrorisme et la Criminalité Organisée (CITCO). La lutte contre le terrorisme s’articule sur la base de la « Stratégie Espagnole de Sécurité Nationale », approuvée en mai 2013, qui comprend la lutte contre le terrorisme parmi ses lignes d’action stratégique. En plus, en 2012 l’Espagne a approuvée une « Stratégie Intégrale contre le Terrorisme International et la Radicalisation », entraînant des actions contre le terrorisme à caractère djihadiste et contre la radicalisation. Dans ce combat contre le terrorisme, les forces de sécurité espagnoles mènent à bien des opérations qui démantèlent des cellules terroristes, tant de recrutement et d’envoi de combattants à des zones de conflit, que des cellules qui promeuvent l’idéologie radicale terroriste sur internet. Elles ont arrêté plusieurs terroristes qui tentaient de rentrer en Espagne après avoir participé à des activités terroristes à l’étranger et elles ont empêché la sortie d’autres terroristes qui voulaient quitter le pays ayant des intentions pareilles. Seulement, en 2014, 11 opérations policières ont été réalisées en Espagne, permettant l’arrestation de 28 terroristes présumés. Nous savons qu’un peu plus d’une soixantaine de personnes sont sorties d’Espagne pour s’intégrer dans des groupes terroristes comme Daech ou autres.

On voit bien qu’une collaboration inter-Etats est cruciale pour lutter contre le terrorisme. Concrètement, comment cela se passe entre les deux pays ?

Je voudrais souligner que la coopération avec le Maroc est excellente. Une grande partie des opérations antiterroristes ont été menées à bout en collaboration avec les forces de sécurité marocaines. Grâce à cette collaboration, on a pu démanteler trois cellules terroristes en 2014. Je voudrais souligner en particulier que quelques opérations réalisées ont été des opérations conjointes des forces policières des deux pays. La relation est parfaite. La coopération policière comme celle qui existe entre l’Espagne et le Maroc est essentielle pour faire face d’une manière efficace à ce phénomène.

Toutefois, les menaces ne cessent de grandir, ce qui exige une mobilisation encore plus renforcée. Quels moyens pourraient être encore mis en oeuvre pour mieux tirer profit de la coopération avec le Maroc et les autres pays et instances internationales, notamment sur le plan judiciaire ?

Concernant les mesures à prendre pour l’avenir, outre accroître et renforcer notre coopération policière, je tiens à vous dire que l’Espagne prépare un Plan Stratégique National de Lutte contre la Radicalisation Violente. Ce Plan dessine un système intégral d’action qui permettra l’observation, l’évaluation, et le traitement de la radicalisation et de l’extrémisme violent dans l’ensemble, ayant une approche multidisciplinaire. En plus, le ministère de l’Intérieur, en accord avec ce qui établit ladite Stratégie Espagnole de Sécurité Nationale, a mis en oeuvre un groupe de travail d’analyse législative en matière de lutte contre le terrorisme djihadiste et la radicalisation. Ce groupe est en train d’étudier des mesures différentes de réforme législative, y compris le Code civil, la Loi de la Procédure pénale, le Code pénal, ou la Loi sur la Protection de la Sécurité des Citoyens, dans le but de pénaliser des conduites nouvelles qui sont en rapport avec les activités des combattants rentrés au pays. Les mesures comprennent l’interdiction de sortie du territoire national ou la perte de la nationalité espagnole. L’Espagne collabore aussi avec d’autres pays dans la lutte contre le terrorisme, à la fois dans le domaine bilatéral et au sein des Nations Unies, de l’Union Européenne, d’Interpol ou du Forum Mondial contre le Terrorisme, où le Maroc participe aussi. Dans le cas du Maroc, en plus de la coopération bilatérale dont j’ai déjà parlé, je voudrais souligner l’existence du « G4 », un forum où il y a, outre le Maroc et l’Espagne, la France et le Portugal. Il a été créé à Rabat en 2013 dans le but de renforcer la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, l’immigration irrégulière et le trafic de drogues, ainsi que pour développer la coopération policière. Nous collaborons aussi au sein de la Conférence des ministres de l’Intérieur de la Méditerranée Occidentale (CIMO). L’Espagne participe en plus dans le G6 des ministres de l’Intérieur, avec les autres 5 pays les plus peuplés de l’UE (l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume Uni et la Pologne).

 

[caption id="attachment_14339" width="550"] L’entretien avec Jorge Fernandez Dias est aussi intéressant qu’agréable, même Lola sa chienne était de la partie. Elle n’a rien manqué des échanges et semblait ravie de la bonne humeur.[/caption]

En parlant du G6, ce groupement de ministres de l’Intérieur européens a commencé à inviter des responsables non européens à ses réunions. Il s’agit de vos homologues turc et canadien ainsi que les ministres américains de la Justice et de la Sécurité Intérieure. Prévoyez-vous d’inviter des responsables d’autres pays ?

La présidence tournante invite les Etats-Unis aux réunions et, selon les circonstances, d’autres pays. La dernière réunion a eu lieu à Paris, début novembre, avec la participation des représentants de la Turquie et du Canada. Je crois que dans les circonstances actuelles il est très logique que le Maroc soit invité à une des pro- chaines réunions du G6. Le G6 a pris conscience de la menace que le phénomène des « foreign fighters » pose à nos sociétés et impulse des mesures pour lui faire face.

Le Maroc et l’Espagne sont également confrontés à l’immigration illégale, surtout que celle-ci peut être exploitée par les terroristes. La coopération entre les deux pays, est-elle satisfaisante dans ce domaine ?

Je dois remercier le Maroc pour son excellente coopération en matière des flux d’immigration irrégulière. Cette immigration est un défi énorme auquel nos deux pays doivent faire face. Depuis des années, chaque jour, des centaines de personnes essayent d'atteindre l'Europe à la recherche d'une vie meilleure, trompées par les mafias qui font du trafic avec leurs illusions, et qui leur font de fausses promesses de paradis au péril de leur vie. En outre, dans le contexte international actuel, si compliqué, les deux pays sont conscients que parfois des éléments terroristes entrent ou peuvent essayer d’entrer à travers nos frontières, déguisés en migrants. La coopération entre les forces de sécurité marocaines et espagnoles est la clé pour démanteler et arrêter les groupes criminels qui s’enrichissent au détriment des migrants et pour prévenir l'afflux massif de migrants clandestins. Ces arrivées peuvent se terminer en tragédie, car beaucoup d’immigrants prennent des risques physiques importants et même d'utiliser la violence contre les forces de sécurité dans le but de surmonter les éléments de retenue. Au cours de 2014, environ 17.000 immigrés ont tenté de prendre d'assaut les clôtures de Ceuta et, principalement, de Melilla. Grâce à la collaboration des autorités marocaines, 86% des tentatives ont été contrôlées par l'action conjointe de la Guardia Civil et des forces de sécurité marocaines. L’Espagne et le Maroc collaborent efficacement et loyalement du point de vue opérationnel. Ils ont établi des mécanismes rapides de communication et de coordination. Pour donner quelques exemples, la coopération entre les deux pays a rendu possible la création de patrouilles mixtes de la Gendarmerie et de la Guardia Civil, de postes de police conjoints à Tanger et Algésiras, l'échange d'officiers de liaison dans les aéroports, la création de groupes de recherche conjoints sur le trafic de drogue par avion, ou l’établissement d’un groupe de travail mixte sur les drogues et un autre sur l'immigration (au sein du Comité permanent maroco-espagnol). Je pourrais également évoquer les stages de formation en Espagne des membres des forces de sécurité marocaines, la présence d'officiers de liaison marocains au Centre de coordination pour la surveillance maritime des côtes et des frontières à Madrid pour les opérations maritimes de l'agence européenne Frontex, ainsi que la participation du Maroc au programme de surveillance maritime Seahorse Atlantique. Je voudrais souligner, en plus, la création d'une équipe conjointe hispano-marocaine pour l’analyse et la recherche sur l'immigration, dont l’objectif est d'échanger des données documentaires sur les immigrants illégaux. La coopération a également lieu moyennant des instruments tels que le programme de retour volontaire de l'OIM, qui a permis le retour à leur pays d'origine de nombreux immigrants qui se trouvaient illégalement au Maroc ; programme qui a reçu le soutien financier de l'Espagne et du Maroc. On voit clairement qu’il y a de nombreux domaines de coopération entre nos deux pays, ce qui est normal s’agissant de deux pays voisins et amis qui font face à des défis et des menaces semblables. L'Espagne soutient la nouvelle politique d'immigration et d'asile du Maroc, lancée en septembre 2013 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et elle est convaincue qu'elle donnera les résultats escomptés. L’Espagne y coopère avec des experts qui travaillent à mettre en commun notre expérience en ce qui concerne les procédures de régularisation et fournit des conseils pour la mise en place d'un système juridique et opérationnel d’asile au Maroc. En outre, au-delà du phénomène migratoire strict, tout le monde sait que, souvent, les gangs qui font du trafic de personnes font également du trafic de drogue ou sont associés à des groupes qui le font. Par conséquent, pour l'Espagne, la coopération avec le Maroc dans la lutte contre le trafic de drogue est également très importante. L'Espagne a l'intention résolue de continuer à intensifier ses efforts pour détecter et lutter efficacement contre les nouvelles formes de transport et de trafic de drogue, en particulier celles qui utilisent de petits avions entre le Maroc et l'Espagne. Dans ce domaine, on a obtenu des succès remarquables dans la lutte contre les « narco-vols » à travers l'Opération « Hibou », renforcée et élargie à travers le Plan TELOS, dont le but ultime est de fournir une réponse globale à la criminalité par terre, air et mer. Il est également pertinent de mentionner le succès dans la lutte contre le trafic de drogue par des bateaux rapides semi-rigides.

L’Union européenne étant aussi menacée par l’immigration illégale, ne doit-elle pas participer à l’effort consenti par l’Espagne et le Maroc ?

En ce qui concerne l'UE, le Maroc dispose du soutien fidèle de l'Espagne sur les affaires migratoires auprès de l'Union. Je voudrais souligner que l’Espagne a été l’un des Etats membres de l’UE à signer, avec la Commission Européenne, le Partenariat pour la Mobilité avec le Maroc, en juin 2013. L’Espagne et le Maroc participent également au Processus de Rabat, qui réunit des pays de l'UE et de l'Afrique, principalement ceux de l'Afrique de l'Ouest, pour discuter des questions migratoires sous des aspects différents, et dont la quatrième Conférence ministérielle a eu lieu le 27 novembre à Rome. Il est évident que les efforts en matière d'immigration du Maroc et de l'Espagne sont profitables à l'ensemble de l'Union européenne, destination finale de la plupart des immigrants illégaux. Par conséquent, l'Espagne a été demandeuse de la compréhension et de la solidarité politique et financière de l'Union. Nous espérons que les 37 mesures qui ont été adoptées au sein de la « Task Force Méditerranée » seront bientôt en mises place. Nous sommes convaincus et nous avons soutenu en Europe que la politique européenne doit être fondée sur quatre principes fondamentaux tels que la prévention à la source; la coopé- ration opérationnelle avec les pays d'origine et de transit; la lutte contre les réseaux criminels de trafic de migrants et la meilleure gestion des frontières. Je suis sûr que chez la nouvelle Commission européenne, qui vient d’entamer son mandat, nous trouverons une grande compréhension et solidarité.

Le phénomène de l’intégrisme religieux concerne l’Espagne comme d’autres pays européens. Comment une coopération avec le Maroc peutelle être utile à l’Espagne ?

L’Espagne travaille intensément pour faire face à l’intégrisme et la coopération avec le Maroc est la bienvenue. En 2010, l’Espagne a adopté une stratégie de lutte contre le terrorisme international et la radicalisation, qui en 2012 est devenue une Stratégie Globale contre le Terrorisme International et la Radicalisation. Comme je le disais, le Plan Stratégique National de Lutte Contre la Radicalisation Violente est presque prêt. Il comprend un domaine d’action intérieur, un extérieur et un autre dans le cyberespace. Ce plan essaie d’être global et impliquer tous les secteurs sociaux et administratifs. Nous devons comprendre pourquoi la radicalisation se produit, en particulier chez les jeunes, et faire face aux causes qui la suscitent. Il est essentiel de travailler avec les écoles, les centres de loisirs, les associations et les organisations sociales, sportives et religieuses, qui peuvent nous aider dans cette tâche. En 2014 nous avons aussi approuvé un nouveau programme pour la prévention de la radicalisation dans les prisons. Je trouve qu’il est très utile, pour ceux qui présentent un risque de radicalisation, de connaître les conséquences du terrorisme. Pour cela, il est important de donner une voix aux victimes, tant dans les différentes sphères sociales (famille, quartier, école, université) que dans les médias, internet et les réseaux sociaux. Bien sûr, une approche de modération, de tolérance et de respect pour les croyances et les coutumes des autres est essentielle. Des pays comme l"Espagne et le Maroc tolèrent et respectent la différence. Voilà la mentalité que nous devons encourager chez nos jeunes. Comme cela a été souligné récemment dans les médias européens, le Royaume du Maroc est un modèle de coexistence entre musulmans, juifs et chrétiens ❚