Messody Cohen, l’errance pour seul horizon
Le quartier Jacquemin est lu2019une des zones du2019habitation du centre-ville de Casablanca les plus convoitu00e9es par la mafia de lu2019immobilier.

'Messody Cohen est l’une des dernières marocaines de confession juive à habiter le quartier Jacquemin. Après 50 ans de résidence, elle risque de se retrouver à la rue. Reportage.'

 

A 71 ans, seule et souffrante, elle se bat pour garder l’unique souvenir qui lui reste de ses parents défunts, l’appartement qu’elle habite depuis 50 ans au numéro 81 de la rue Dijla, ex rue Jacquemin. Messody nous ouvre la porte de son appartement, verrouillée par 5 cadenas suite à plusieurs tentatives d’effraction. La vieille dame vit dans la peur depuis l’achat présumé de l’immeuble par un particulier qui depuis, tente par tous les moyens de déloger les occupants pour se réapproprier l’édifice à des desseins inconnus. D’après Madame Cohen, 3 tenanciers de commerces et 6 familles (dont 3 de confession juive) ont été contraints d’évacuer, pour la plupart sans aucune compensation financière. Shalom Abdelhaq, 90 ans, atteint d’un cancer, et sa femme souffrant d’un début d’Alzheimer, locataires depuis 46 ans, ont ainsi été chassés manu militari de leur domicile voilà quelques mois. Relayée par les réseaux sociaux, l’éviction violente des époux Abdelhaq a indigné l’opinion publique, et permis leur installation dans une résidence gérée par la communauté israélite de Casablanca. « Ma famille s’est installée dans cet appartement en 1964. On payait notre loyer à l’agence immobilière Luigi Maurice Lebert, puis auprès d’un certain Mohamed Sentissi. En 2012, un monsieur que l’on n’avait jamais vu, a décrété que c’était lui le nouveau propriétaire de l’immeuble. En septembre 2013, en pleine fête de Souccot, il a commencé à démolir tout ce qu’il pouvait et à chasser les habitants les plus vulnérables. Ils sont ainsi venus à plusieurs pour sortir Monsieur Abdelhaq, comme si c’était un criminel, il n’avait que son pyjama sur lui. Comment peut-on faire ça à des vieillards malades et démunis ? », nous demande Messody avant de reprendre son récit. « C’était le plus bel immeuble du quartier ya hassra, on avait du marbre et de la mosaïque partout. Regardez ce que ce nouveau propriétaire en a fait. Chaque fois qu’il chasse une famille, il démonte la maison, casse les murs et les plafonds, pour prouver que l’immeuble est vétuste car c’est le seul moyen légal pour nous contraindre à quitter. Il prétend qu’il a le bras long, qu’il peut acheter qui il veut. Mais moi, il ne me fait pas peur, je me battrai jusqu’à mon dernier souffle ! ». Messody Cohen rapporte que ledit propriétaire lui aurait proposé 100.000 dirhams en échange de son éviction : « C’est quoi 100.000 dirhams à côté des millions que ma famille a dépensés pour aménager et entretenir cet appartement pendant 50 ans ? Et pour aller où à mon âge et avec ma santé vacillante? Ici, tout le monde me connait et il y a tout ce dont j’ai besoin, comme les synagogues et les boucheries casher. Je suis la seule avec le restaurateur à avoir porté plainte. Les 4 locataires qui restent sont terrorisés ». Puis d’ajouter : « Il y a des voyous qui viennent boire de l’alcool dans l’immeuble la nuit. Un jeune dans la rue est venu me dire que j’avais à faire à des bandits capables de payer pour me faire tuer. J’ai reçu des appels anonymes, dont celui d’un homme qui me conseillait vivement de ‘rentrer chez moi en Israël’. Je lui ai rétorqué que mes ancêtres sont là depuis 3000 ans, que mon chez moi c’est ici, ma patrie où je suis née et où je veux être enterrée. Le Maroc, c’est notre terre sainte à nous, personne ne pourra nous en chasser ! Ana maghribiya, ana bidaouia ! », clame Madame Cohen avec fierté et assurance, avant d’éclater en sanglots : « Tout ce que je demande, c’est de pouvoir continuer à sentir le parfum et la présence de mes parents jusqu’à ce que ce que la mort m’emporte. Cette maison, c’est ma vie, la mémoire de ma famille et de Jacquemin, quand nous vivions, juifs et musulmans, dans la joie, la simplicité et l’amitié. Je ne dors plus à cause de l’angoisse et du bruit des destructions la nuit…Ce maskhout el walidine a détruit nos vies et remplit nos coeurs de colère et d’amertume. Rabbi ikarfssou ! Je prie pour que Dieu entende nos prières et pour que Sidna nous vienne en aide, ils sont tout ce qu’on possède… » ✱