Reprise de la coopération maroco-française : Satisfecit, espoir et méfiance

Des responsables du PAM, de l’Istiqlal et de l’USFP ainsi que deux éminents experts analysent la fin de la crise entre la France et le Maroc.

 

Abderrahim Atmoun, chef de file de la diplomatie parlementaire au sein du PAM, Président de la commission parlementaire mixte Maroc-UE et président du groupe d’amitié Maroc-France à la Chambre des conseillers.

On attendait tous, parlementaires français et marocains, un geste fort de la part de la France. C’est ce qui a été fait. Aujourd’hui, nous sommes très heureux que les relations franco-marocaines soient relancées sur des bases encore plus solides. Inutile de souligner que ces relations sont d’une importance capitale au vu des défis à la fois régionaux et internationaux que les deux pays doivent relever. Le Royaume est désormais incontournable dans la lutte contre le terrorisme et les Français lui ont reconnu son rôle clé au niveau de la sécurité et du renseignement. Au niveau économique, la coopération est appelée à être renforcée davantage. En somme, tous les volets de la coopération qui unissent les deux parties doivent aller de pair. Je dois souligner que nous autres parlementaires, marocains et français, n’avons jamais interrompu notre dialogue malgré la crise qu’il y avait entre nos deux pays. D’ailleurs, mon homologue au sein du Sénat français, Christian Cambon, avait interpelé Laurent Fabius sur les relations franco-marocaines avant l’officialisation de la réconciliation. Il lui a rappelé le rôle déterminant que joue le Maroc dans la région. La page est maintenant tournée et tant mieux. D’ailleurs, les préparatifs pour la tenue du Forum parlementaire France-Maroc à Paris vont bon train. Cet événement tombe à point nommé et servira de levier pour la consolidation des relations maroco-françaises. Pour rappel, le premier forum interparlementaire entre le Maroc et la France a été organisé l’année dernière à Rabat. A l’occasion, pour la première fois dans l’histoire de la France, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient réunis dans un même forum. C’était un moment très fort. Je le répète, pour nous le coup de froid entre nos deux pays relève désormais du passé. Nous nous tournons désormais vers l’avenir. En ma qualité de président du groupe d’amitié entre la Chambre marocaine des conseillers et le Sénat français je suis très confiant.

 

Rahal El Makkaoui, membre du comité exécutif du parti de l’Istiqlal en charge des relations internationales.

Les relations maroco-françaises ont toujours été exceptionnelles. Auparavant, ce degré d’excellence ne changeait pas, malgré les changements politiques qui avaient eu lieu en France. Mais ces derniers temps, il yavait eu de malencontreux comportements de la part de la partie française qui ont débouché sur une véritable crise. Maintenant, la réconciliation ne peut être que positive. Il est de notre intérêt comme de l’intérêt de la France qu’il y ait ce retour à la normale. Les deux pays doivent désormais aller de l’avant, ensemble. Il y a des accords, des traités et des conventions qui fondent les relations maroco-françaises qu’il va falloir renforcer, mais surtout respecter. Au niveau politique, la profondeur des relations historiques entre la France et le Maroc doit toujours être prise en compte. Il est aussi nécessaire d’immuniser ces relations contre tout malentendu en les refondant sur des bases réglementaires solides. à mon sens, c’est la coopération économique qui devra servir de levier dans ces relations bilatérales. Et quand l’économique va, tout va, y compris la diplomatie, le politique, le culturel,… C’est l’économie aujourd’hui qui fait bouger la diplomatie.

 

Tarik El Malki, Enseignant-chercheur, membre de la Commission des relations internationales au sein de l"USFP

Tout d’abord, il faut se réjouir de la récente reprise de la coopération judiciaire entre le Maroc et la France, qui était préjudiciable pour les deux parties au regard de l’évolution du contexte géopolitique mondial. En effet, la situation sécuritaire à l’échelle régionale et mondiale est alarmante à plus d’un titre. Tout le monde connait aujourd’hui le degré d’implication d’un certain nombre de Marocains au niveau de l’Armée Islamique en Irak, ainsi que le niveau d’implication d’un certain nombre de citoyens français dont beaucoup sont d’origine maghrébine. Nombre de ces citoyens de part et d’autre détiennent la double nationalité française et marocaine. Sans parler du démantèlement régulier de cellules djihadistes sur notre territoire et qui implique également des citoyens binationaux. Il fallait donc rétablir cette coopération judiciaire, ce qui n’impliquait nullement l’arrêt de la coopération sécuritaire entre les deux pays, qui, elle n’a jamais cessé. Enfin, il ne faut pas oublier que la France, en tant que membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, est un soutien important de la solution d’autonomie proposée par notre pays. Aussi, cette brouille passagère, qui est quand même la plus importante depuis près d’un demi siècle, est le résultat d’un lent pourrissement dont la responsabilité incombe aux deux parties et qui finalement a fait le jeu de nos ennemis, l’Algérie et le Polisario, aux premiers chefs. Il n’y a qu’à étudier la violence de la réaction de ces derniers afin de mesurer l’ampleur de leur désarroi. Je disais que les responsabilités étaient partagées car d’un côté nous avons assisté de la part de la France à des provocations et humiliations en cascade à l’endroit de responsables politiques et sécuritaires marocains de premier plan qui sont inadmissibles de la part d’un pays qui se dit notre ami. De l’autre côté, je pense que la réaction de la partie marocaine concernant l’arrêt de la coopération judiciaire a été, à mon sens, disproportionnée. Bien évidemment, les contacts n’ont jamais cessé entre les deux pays. A ce titre, l’USFP a participé à plusieurs missions parlementaires en France et au Parlement européen, avec d’autres partis de la majorité et de l’opposition, afin d’essayer d’expliquer la nécessité de reprendre les relations entre les deux pays en tirant les enseignements pour l’avenir. Nous sommes également très actifs au niveau de l’Internationale Socialiste, dont nous présidons un Comité permanent, celui des migrations. Dans ce cadre, nous discutons avec nos partenaires français et européens des questions qui nous lient, à savoir la migration, la sécurité, le terrorisme, la coopération économique, culturelle, etc. Mais c’était de la responsabilité des gouvernements des pays de prendre la décision politique de rétablir la coopération, ce qui heureusement fût fait. Cette réconciliation a été scellée par la rencontre à Paris entre le Roi Mohammed VI et le président François Hollande. L’avenir maintenant. Il est évident que dans la mesure où la France demeure aujourd’hui encore le premier partenaire commercial du Maroc, les relations vont demeurer fortes. Il faut d’ailleurs constater que cette brouille n’a eu que peu d’incidence sur les investissements étrangers en provenance de la France. Le temps économique n’est donc pas le temps politique. Cependant, le Maroc a choisi, et il a raison de le faire, de diversifier ses partenariats économiques en direction des pays africains notamment. Il se positionne ainsi en tant que futur hub régional à travers lequel les entreprises françaises vont venir s’installer en Afrique à travers des partenaires marocains. Enfin, je n’insisterai jamais assez sur la dimension culturelle. En effet, nos deux pays sont liés par une histoire commune, et cela depuis plus de 4 siècles. Ce qui crée de forts liens culturels notamment. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Les valeurs véhiculées par la France, telles que l’unicité et l’universalité de la protection des droits humains, l’égalité à tous points de vue, la démocratie, la liberté etc. sont autant de valeurs dont notre société doit continuer à s’imprégner si elle veut véritablement réussir le pari de sa transformation vers le progrès et la modernité. A ce titre, la réforme attendue de l’Education nationale doit justement aller vers la construction d’une nouvelle citoyenneté marocaine qui soit imprégnée de ces valeurs universelles véhiculées par la France. Ce n’est qu’à ce prix que nous vaincrons les démons de l‘obscurantisme, du repli sur soi et de toute forme de conservatisme et d’archaïsme.

 

El Hassan Boukantar, professeur des relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat.

La réconciliation entre la France et le Maroc met fin à une crise diplomatique qui a trop duré entre les deux pays. Cette crise a été amplifiée par une série de fâcheux évènements et de contreperformances diplomatiques. La réconciliation permet donc de tourner la page afin de rétablir la coopération qui a été considérée, depuis toujours, comme exemplaire. Une coopération fondée sur des déterminants solides, notamment sur le plan économique. Au-delà du rétablissement de la coopération judiciaire, aiguillée par le nouvel accord qui devrait être ratifié par les deux pays, et au-delà de l’intensification attendue des visites de travail au niveau gouvernemental, cette coopération, qui est vitale pour les deux pays surtout face à un environnement international mouvement et perturbé, ne pouvait continuer sans une démarche basée non pas sur l’équilibre des forces, mais sur l’équilibre des intérêts. Dans ce cadre, le respect de la souveraineté des institutions et la nécessité de la prise en compte des exigences du dialogue et de la concertation mutuelle me paraissent nécessaires afin d’aplanir les difficultés et les malentendus qui pourraient surgir dans l’avenir et consolider ainsi la coopération bilatérale. Dans ce sens, l’accord qui a été conclu et qui doit être ratifié prochainement me paraît important, parce que c’est un mécanisme qui va permettre d’anticiper la résolution des problèmes tels ceux ayant été à l’origine de la crise. L’autre aspect qui est tout aussi important est le volet sécuritaire. La France, qui est engagée au Mali et le serait peut-être demain en Libye, doit prendre en considération le ferme engagement du Maroc contre le terrorisme en Afrique. Ce n’est un secret pour personne que l’Algérie fait tout pour que le Royaume soit marginalisé dans la lutte anti-terroriste et la France doit en tenir compte pour veiller à trouver le bon équilibre dans ses rapports dans la région.

 

Fouad Benseddik, Directeur des méthodes et des relations institutionnelles de Vigeo, agence internationale de notation de la responsabilité sociale des organisations, et membre du Conseil économique social et environnemental.

La crise, regrettable, qui vient de prendre fin, peut être une opportunité pour faire mûrir les relations entre les deux pays. Depuis des années, de part et d’autre, les officiels se plaisaient à exalter l’excellence des relations. Au point que cette formule commençait à tourner sur ellemême sans que l’on sache ce que recouvrait la notion d’excellence ainsi louée. En réalité, nous nous sommes aperçus que la relation était vulnérable et à la première provocation, les liens se sont crispés. Or une relation excellente doit être aussi une relation résiliente et ne pas être à la merci des provocations et des manipulations. Ma conviction est qu’il existe entre la France et le Maroc une communauté de destin et une communauté d’intérêts dont la richesse mais aussi la complexité semblent parfois échapper aux acteurs politiques. Parfois, ces derniers ne mesurent pas cette complexité et peuvent avoir des gestes ou des mots malheureux pouvant mettre en péril ce qui a été construit depuis de longues années. J’insiste, ces dernières années, la politique était en dessous du niveau d’intégration de l’économie, de la culture et des liens franco-marocains. Aujourd’hui, les relations entre la France et le Maroc ont besoin de gagner en maturité. Elles ont besoin de nouveaux objectifs et de nouveaux critères d’évaluation en termes social, économique, mais aussi environnemental. Il y a besoin aujourd’hui d’objectifs et de critères de nouvelle génération pour que cette relation soit portée au niveau où l’exige la communauté de destin et les liens historiques entre les deux pays. Nous n’avons pas intérêt à continuer avec la vieille relation faite de non-dits. Il faut qu’il y ait des indicateurs de mesure de l’impact des relations bilatérales. Il faut qu’on réponde à ces questions majeures : Quel est l’impact social des entreprises françaises au Maroc et quel est l’impact de la coopération technique ? Aujourd’hui, les politiques ont intérêt à développer des indicateurs pour démontrer aux opinions publiques que les relations sont à solde positif sur les plans économique, social et environnemental. à défaut de quoi, on risque de se retrouver avec des malentendus. La partie marocaine a eu raison de porter les relations à un nouvel âge. En somme, le tissu des relations est déjà très dense. Mais il pâtit de la vulnérabilité du lien politique. La solution ne sera pas d’atténuer la densité des relations, mais de densifier davantage les relations politiques.