Voisins tragiques

'La fragilité de la Jordanie est sa chance. Elle est le réceptacle de tous les conflits de la région mais elle n’a jamais été abandonnée à son sort.' 

Des pays ressemblent à des oasis, la vie en vacances. D’autres à des usines. La Jordanie est un désert, sans réserves naturelles. Elle semble un terrain vague, fait pour qu’on y plante des camps de réfugiés. Servir d’asile aux civils chassés de chez eux par la guerre est son destin depuis sa fondation. Ils sont des millions accueillis dans ce royaume, comme dans une salle d’attente. En faire l’inventaire raconte les guerres inépuisables du Moyen- Orient. Les Syriens sont les derniers venus. Ils seraient près d’un million. La marée baisse depuis le début de l’année. 150 000 s’entassent dans les camps, notamment au nord mais l’immense majorité survit avec les moyens du bord, dans une extrême précarité. Les Irakiens les avaient précédés. Ils ont afflué en masse à la chute de Saddam Hussein. Ils ont été 700 000 au plus haut, la décrue en a laissé 450 000 aux soins du HCR.

A côté de ces familles qui vivent dans l’espoir d’un hypothétique retour au pays, les Palestiniens semblent condamnés à perpétuité. Ils sont les pensionnaires les plus anciens et les plus voyants. Si nombreux qu’ils représentent bien plus de la moitié de la population. Deux millions au moins. Il n’y a pas de recensement en Jordanie, quel aveu ! Ce secret d’Etat est un secret de Polichinelle. La Reine Rania est la plus phosphorescente représentante de cette immigration qui a fait souche. Le Président Mahmoud Abbas qui vit à Amman et ne fait que passer à Ramallah est plus discret. Et les islamistes le sont encore davantage. Ils représentent la véritable opposition mais se gardent de remettre la légitimité du souverain en question. Le souvenir de « Septembre noir » qui vit le Roi Hussein et son armée de bédouins chasser l’Olp qu’il avait accueillie et qui lui marchait sur les pieds est gravé dans les mémoires. Ce n’est pas un hasard si le « Petit roi » a choisi parmi ses fils, un officier des troupes de choc pour lui succéder sur le trône. Il reste un sentiment permanent de fragilité qui hante un peuple en partie dépossédé de son pays.

La fragilité de la Jordanie est sa chance. Elle est le réceptacle de tous les conflits de la région mais elle n’a jamais été abandonnée à son sort. Les Américains ne peuvent d’ailleurs laisser tomber cette dernière ligne de défense d’Israël. La communauté internationale l’a mise sous perfusion permanente. Palestine, Irak, Syrie : le scénario s’est répété, immuable. La guerre aux frontières ralentit le commerce, les réfugiés submergent le pays, l’économie vacille. Mais la manne financière se répand ! Depuis l’avènement du roi Abdallah II, Washington verse un milliard de dollars par an. Davantage qu’à Tel-Aviv, c’est tout dire. La réconciliation avec les voisins Saoudiens a permis de réamorcer la pompe des pétrodollars. D’où spéculation massive, libéralisation effrénée et un cercle vicieux qui renforce encore la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers…

La Jordanie aux frontières poreuses et aux voisins tragiques se retrouve aujourd’hui entrainée en première ligne face à Daech, dans un conflit qu’elle aurait préféré ignorer. Depuis deux ans, l’Us army mouille devant ses ports de la mer rouge. Rafales et Patriots s’alignent sur ses bases. Les drones israéliens traversent le ciel. Les forces spéciales françaises et britanniques entrainent des opposants syriens dans le Wadi Rum. L’immolation du pilote brûlé vif par les terroristes a retourné l’opinion. C’est un tournant. La guerre simplifie toujours les choix. Les yeux ouverts, le roi assume ✱