L’Europe face à ses contradictions
Ahmed CHARAI

La dernière tragédie des migrants, 700 personnes ensevelies en Méditerranée, aux portes de l’Europe, a suscité une réelle émotion. Pourtant ce n’est là qu’un épisode, qui risque de se répéter d’ici à octobre, car l’on sait que c’est entre mars et octobre que l’affluence de ces nouveaux boat-people explose. L’Italie n’en peut plus. Le chef du gouvernement italien Mattéo Renzi a annoncé le chiffre inquiétant de 200.000 migrants attendus pour cette année. L’Europe est désarçonnée. Son engagement financier est ridicule. Il ne représente que le tiers des dépenses italiennes, pays qui est en crise. Et encore ! Cet engagement dans le cadre de Tritorn n’est pas dirigé vers le sauvetage en mer, mais vers le contrôle des frontières. Les pays non méditerranéens de l’Europe se considèrent non concernés. L’accord de Dublin précise que c’est le premier pays d’accueil, qui doit étudier la demande d’asile. Dans ce cas, l’Italie et à un degré moindre la Grèce sont en première ligne, alors qu’ils sont en pleine crise. En fait, ce n’est pas seulement une question de moyens financiers. Il faut agir sur la situation dans les pays émetteurs. Les chiffres le prouvent, la majorité des migrants proviennent des zones de conflit. C’est un changement que les Européens ont mis du temps à percevoir. Le démantèlement de l’Etat Lybien a fait des côtes de ce pays un Eldorado pour les passeurs, souvent liés aux milices. La Syrie et l’Egypte ne sont pas en reste. Selon les chiffres du HCR, sur les 200.000 migrants, le Maroc n’est le point de passage que de 4000. La coopération sécuritaire maroco-espagnole fonctionne convenablement depuis plusieurs années. Cela a induit une situation où les subsahariens bloqués restent au Maroc. Rabat a développé une politique humaniste en régularisant des dizaines de milliers, en leur accordant le droit aux soins. Maintenant d’autres voies ont pris le relais et il est impossible de reproduire le schéma franco-espagnol, parce qu’il n’y a plus d’interlocuteur dans les pays concernés, les Etats étant en faillite. L’Europe doit revisiter toute sa politique et non pas se limiter à renforcer les gardes-côtes italiens. Dans les pays émetteurs stables, il n’y a qu’une seule voie : le co-développement. Ce n’est qu’en créant des emplois, en ouvrant des perspectives à la jeunesse de ces pays qu’on tarira le flux de l’immigration clandestine à caractère économique. Mais la diplomatie européenne ne peut plus se désintéresser de situations telles que celles de la Syrie et de la Lybie ; ou celle des pays du Sahel. Le phénomène migratoire n’est que l’une des conséquences les plus visibles de ces situations. La sécurité européenne est réellement menacée. Les 28 pays de l’Europe, sans politique commune vis-à-vis du Sud de la Méditerranée, sont victimes de leurs contradictions. Chacun a sa propre politique de l’immigration, tout en ayant des frontières communes. Or, chaque année, des centaines de milliers d’humains bravent la mort, en quête d’une vie meilleure. Une réalité qu’aucun texte régressif ne peut changer. Il faut tarir les sources du phénomène et ne pas se limiter à gérer ses conséquences tragiques.