Jusqu’où peut aller la Cour des comptes ?
Driss Jettou, pru00e9sident de la Cour des comptes.

Dès qu’ils sont publiés, les rapports de la Cour des comptes font à chaque fois l’effet d’une bombe. Mais ces documents tombent vite dans l’oubli. Seraient-ils inutiles ?

A la lecture de rapports de la Cour des comptes, les médias, et avec eux l’opinion publique, se focalisent surtout sur les dilapidations que relèvent les magistrats de la Cour et qui sont parfois chiffrées à plusieurs milliards de dirhams. Les spéculations vont alors bon train quant à la désignation des vrais responsables. Mais passé le temps des polémiques souvent stériles, on vire vers autre chose en attendant les prochains rapports. Or, sans les mesures correctives et suites nécessaires, notamment judiciaires, le travail de la Cour des comptes va à vau-l’eau et l’impunité perdurera. D’où la question qui se pose avec acuité aujourd’hui : Jusqu’où peut aller la Cour des comptes ?

Les économistes, les juristes et les militants associatifs que nous avons interrogés lors de la préparation de ce dossier sont unanimes : Cette juridiction peut aller beaucoup plus loin tout en respectant les limites actuelles de ses prérogatives. Nos interlocuteurs estiment tous que l’institution que dirige Driss Jettou peut jouer un rôle capital en matière de bonne gouvernance dans le pays. D’ailleurs, c’est pour cette raison que les attributions constitutionnelles de cette juridiction ont été renforcées en 2011 avec l’entrée en vigueur des dispositions de la nouvelle constitution. C’est dans ce sens que son champ d’action a été élargi pour inclure le contrôle des dépenses des partis politiques, le financement des campagnes électorales et la déclaration obligatoire de patrimoine.

Mais à la base, on sait que la mission première de l’institution est de s’assurer de la régularité des opérations de recettes et de dépenses des organismes soumis à son contrôle en vertu de la loi et d’en apprécier la gestion. Ce qu’on sait moins en revanche, c’est qu’elle peut sanctionner, le cas échéant, les manquements constatés. Mieux, comme on peut le lire sur son site officiel, la Cour des comptes peut être saisie par le Procureur général du Roi près de cette Cour, de sa propre initiative ou à la demande du Premier Président ou d’une formation de la Cour, en cas de découverte d’infractions qui relèvent de compétences de la Cour en matière de discipline budgétaire et financière.

La saisine peut être également faite par le Premier ministre, le président de l’une des Chambres du Parlement, le ministre des Finances et les ministres concernés et ce par l’intermédiaire du Procureur Général du Roi près la Cour des comptes et sur la base de rapports de contrôle ou d’inspection, appuyés des pièces justificatives. Autant de possibilités qui ne sont pas encore utilisés, comme si la bonne gouvernance et la moralisation de la vie publique n’étaient qu’une affaire de rapports. Pour franchir le Rubicon, la Cour des comptes a besoin d’un Procureur général. Poste qui est resté vacant depuis la nomination, en 2008, de Mohamed Achergui à la tête de la Cour constitutionnelle. Elle doit également

s’affranchir de tout calcul politique en agissant en juridiction constitutionnelle indépendante. S’il y a des manquements graves dans la gestion des finances des collectivités locales, par exemple, il lui appartient de fait d’activer les procédures nécessaires en faisant abstraction du « temps politique ». Il y va de sa crédibilité.