Des justes
Ahmed Charau00ef

Edwy Plenel vient de publier « Pour les musulmans ». Le journaliste d’investigation se transforme en pamphlétaire. Il avait déjà effectué cet exercice pour défendre le droit d’informer, mais là, en 120 pages, il s’attaque à une montagne. D’abord, son titre rappelle un écrit d’Emile Zola peu connu, « Pour les Juifs », qui a été publié deux années avant l’affaire Dreyfus et le fameux « J’accuse ». Ce lien est important, parce que Plenel relève cette phrase d’un académicien : « Il y a un problème avec l’Islam ». Il y a deux siècles, on a accepté en France que dans le débat public, certains affirment qu’il y avait un problème avec les juifs. On sait comment cela s’est terminé. Plenel dénonce la banalisation de l’indicible, du racisme, de l’essentialisme. Il dénonce, avec son talent, les dérives qui consistent à mettre sur le dos d’une religion, d’une appartenance, tous les maux d’une société. En ces temps troubles, cette position est celle d’un humaniste, d’un « juste ». Il est de la trempe de ceux qui, en Europe, se sont élevés contre l’antisémitisme, l’ont combattu au péril de leur vie, parce qu’il était, qu’il est toujours, la négation de leur conception de leur propre humanité. L’islamophobie ambiante n’est pas un phénomène marginal. Un soi-disant penseur dit à la télé que « les musulmans doivent renier deux tiers du Coran, avant de s’intégrer en France ». D’autres disent que les musulmans doivent s’assimiler et donc abandonner leur culture d’origine. Dans ce hit-parade de l’ignorance, la palme, revient à ceux qui considèrent que « Daech » représenterait le véritable islam, qui mélangent Etat-musulman, salafistes, islam radical, et jihadistes. Le drame c’est que la sphère géographique n’est plus la même. Ce n’est pas un Etat, un continent qui regarde, en chien de faïence, un ensemble différent. En France, dix pour cent des habitants sont de culture musulmane. Ils ne sont pas tous pratiquants, peuvent être agnostiques, mais ils sont tous victimes de la stigmatisation. C’est Jean Paul Sartre qui disait « On est d’abord juif dans le regard de l’autre ». L’islamophobie n’est pas seulement condamnable par principe. Elle est aussi dangereuse parce qu’elle alimente tous les marchands de la haine et qu’elle participe à la dislocation du lieu social, dans des pays pourtant laïcs et qui ont fait de l’intégration un credo depuis des siècles. Edwy Plenel est un journaliste qui ne laisse personne indifférent. Au Monde, lorsqu’il était aux commandes, comme à Mediapart, il met en pratique sa conception d’un métier qui est aussi sa passion. Ceux qu’il appelle « les corbeaux » on été peu tendres avec lui. Mais son livre ne peut pas être répertorié dans une quelconque case. Il est l’oeuvre de l’humaniste, de l’homme qui maîtrise l’histoire, qui dénonce des dérives qui sont déjà tragiques. C’est un juste parmi les justes, qui se bat pour l’Homme avec un H majuscule. Une espèce censée être supérieure aux animaux, parce que douée de raison et de compassion.