L’écrivaine qui s’en prend à l’Europe

'Auteur engagée, Fatou Diome est devenue le porte-voix de ceux qui se lancent clandestinement à la conquête de l’Europe. Les récents naufrages en Méditerranée la révoltent. Siso Mandonsela'  

Si les gens qui meurent étaient des Blancs, la Terre entière tremblerait ». L’écrivaine sénégalaise à succès, Fatou Diome, a fait le buzz avec ces propos chocs lors d’un débat à la télévision française la semaine dernière. Elle y dénonçait l’hypocrisie européenne face à l’enjeu migratoire et aux drames qui s’accumulent dans les flots de la Méditerranée. Indignée par le silence de l’Union européenne et celui de l’Union africaine, la femme de lettres a levé la voix pour dénoncer la situation des migrants en Méditerranée. « Si on voulait sauver les gens dans l’Atlantique, dans la Méditerranée, on le ferait, parce que les moyens qu’on a mis pour Frontex, on aurait pu les utiliser pour sauver les gens», a-t-elle enchaîné dans un monologue passionné. « Mais on attend qu’ils meurent d’abord. C’est à croire que le ‘laisser mourir’ est même un outil dissuasif ». «On ne peut pas trier les gens, avec les étrangers utiles et les étrangers néfastes», a-telle encore insisté. «Quand ils (les Européen) trouvent que mon cerveau est convenable, là ils l’utilisent. Par contre, ils sont embêtés à l’idée d’avoir mon frère, qui n’est pas aussi diplômé que moi.» Et de conclure : « On sera riche ensemble, ou on va se noyer tous ensemble ». La démonstration a laissé sans voix les autres intervenants. L’écrivaine engagée est connue pour ses prises de position bien trempées sur le sujet de l’immigration. Son premier livre, Le ventre de l’Atlantique, qui connut un franc succès, mettait en scène les rêves d’émigration de jeunes Sénégalais. Il lui valut d’emblée une reconnaissance internationale et plusieurs distinctions littéraires. Avec ses descriptions précises et authentiques, un humour impitoyable et le langage tranchant qui la caractérisent, elle trace le portrait des difficultés d’intégration des immigrés à leur arrivée en France. Ses récits sont souvent agrémentés de nostalgie et des souvenirs de son enfance au Sénégal. Originaire d’un village de pêcheurs dans la vallée du Sine Saloum, Fatou Diome a été élevée par sa grandmère. Elle y côtoie les hommes plus que les femmes, s’affranchissant des règles et des traditions. En décalage avec les mentalités de son entourage, elle décide très jeune d’aller à l’école pour apprendre le français. C’est en cachette qu’elle commence les cours, sa grand-mère s’opposant fermement à l’idée qu’elle puisse être éduquée. La jeune Fatou se passionne alors pour la littérature francophone. Cette vocation l’encouragea à poursuivre ses études à M’bour, petite ville balnéaire de la côte sénégalaise, puis à s’inscrire à l’Université de Dakar. Elle découvrira la France avec son premier mari, un pays bien éloigné des idéaux d’intégration et de méritocratie qu’elle imaginait. Elle se heurte au racisme de sa belle-famille et aux stigmates inhérents à son statut d’immigré. Volontaire, elle s’inscrit à l’Université de Strasbourg et poursuit ses études de lettres. Six ans plus tard sort son premier recueil de nouvelles, La préférence nationale. Aujourd’hui l’auteur en est à son huitième livre, et son combat, lui, continue. ✱