Graciane Finzi « Je n’écris pas pour des ghettos de musique contemporaine »

'Née à Casablanca dans une famille de musiciens, l’immense compositrice de musique contemporaine, G. Finzi, qui compte à son actif plus d’une centaine d’oeuvres et sept Opéras, nous parle de sa pièce inédite « Fantaisie Toccata » composée spécialement pour le Printemps des Alizés 2015.'

 

L’observateur du Maroc et d’Afrique. On vient d’assister à la Matinée Jeunes talents qui a accueilli pour la 1ère fois les jeunes artistes du programme social et éducatif Mazaya. Que pensez-vous de la relève marocaine ?

Graciane Finzi : Elle est extraordinaire, et comme disait Farid Bensaid, c’est une relève costaud. Le travail qui a été effectué avec ces enfants déscolarisés est grandiose, 4 heures de musique/jour, c’est du professionnalisme pur et dur. Normal, ils sont très bien encadrés et ont de bons professeurs qui les suivent. C’est incroyable de jouer avec un si joli son au bout de deux ans d’instrument, normalement, les instruments à cordes, ça gratte après deux ans de pratique, là, ça vibre, c’est d’une justesse parfaite, c’est musical, de plus, ils maîtrisent leur instrument. Je suis très étonnée et très émue d’écouter un tel professionnalisme !

Vous êtes née à Casablanca. On a joué vos oeuvres dans le monde entier. Ça vous fait quoi qu’on les joue ici, à Essaouira ?

J’en suis très heureuse, parce que c’est autant mon pays que la France. Le printemps des Alizés est un festival de qualité qui n’a rien à envier aux festivals internationaux, et c’est tout à l’honneur d’André Azoulay, président fondateur de l’Association Essaouira Mogador. J’ai été jouée dans le monde entier mais beaucoup moins au Maroc, peut être parce que je suis locale. En France, c’est pareil, on a le Conservatoire National Supérieur qui est d’un niveau extraordinaire, et quand les gens viennent des écoles américaines ou autres, ils ne sont pas forcément meilleurs ! Je suis heureuse d’avoir eu de beaux échos concernant ma pièce « Moments interrompus » qui a été jouée à l’Eglise, par deux des instrumentistes de l’Ensemble des Equilibres, pour violon et alto. C’est un bonheur d’amener la musique contemporaine au Maroc qui n’est peut être pas assez jouée ici. Je n’écris pas la musique pour des ghettos de musique contemporaine, adressée juste à public formaté. Les échos que j’ai eus sont très positifs et le public a énormément apprécié.

Vous composez à la fois pour des orchestres et des solistes. Y a-t-il une différence ?

Non, ça dépend. Pour un opéra par exemple, on n’a pas la page blanche, on a un texte qui vous donne déjà la forme, ou des poèmes pour des mélodies, tandis que pour de la musique purement instrumentale, il faut se créer une forme, que ce soit pour un orchestre ou soliste. Pour moi, le plus bel instrument au monde, c’est l’orchestre, généralement, j’écris sur table et je l’entends tel qu’il va être réalisé, tout en le créant, en fait, je crée dans les sons. C’est un peu différent pour la pièce pour quatre mains « Fantaisie Toccata », commandée par le festival. Et comme je suis pianiste, j’ai tendance à écrire tout en jouant au piano, et n’ayant que deux mains, j’imaginais l’autre partie. Sinon le travail est le même, c’est aussi difficile d’écrire pour un instrument seul que pour un orchestre. J’écris aussi des opéras pour enfants issus des quartiers déshérités.

Qu’en est-il de l’inspiration ?

Je travaille chez moi, au calme. Il y a de l’inspiration mais il y a beaucoup de travail, une fois que j’ai un module, une idée, je la travaille, je l’étire, je la relooke et je peux des fois partir d’une idée précédente qui va être déclinée différemment.

Ce qui vous inspire ?

Il y a une période où j’ai eu une grande inspiration, ma musique étant souvent en strates, de tempos différents… Vous savez, vous vivez à un rythme différent du mien, les coeurs du monde entier battent à des rythmes différents, et j’ai essayé de recréer ça dans ma musique. Ensuite, j’ai eu une période avec des harmonies classées mais superposées. C’est plus facile de composer pour un orchestre que pour deux instruments par exemple. Dans la pièce « Moments interrompus », les deux instruments sont tout le temps en doubles cordes, comme si on en avait quatre. J’ai toujours eu la chance d’avoir de grands interprètes, José Van Dam, Gary Hoffman…et j’écris naturellement très difficile pour les instrumentistes, et c’est ce qu’on a entendu dans « Fantaisie Toccata » avec Dina Bensaid et Joseph Birnbaum. J’avoue que ce n’est pas facile d’écrire pour 2 pianos, parce que chaque pianiste doit avoir un son différent, et il faut que les deux pianistes aient un même son, comme une personne à 4 mains, en plus, l’aigu va sonner plus petit que le grave, et il faut imaginer tout cela, sinon, ils risquent de se marcher sur les mains. Cela dit, j’ai eu un plaisir fou à le faire.

à quel moment de votre vie vous avez su que vous alliez faire de la composition ?

à l’âge de 3 ans, je jouais déjà du piano et à 12 ans, je suis rentrée au CNSM, Conservatoire National Supérieur de Paris. J’étais très précoce et puis à l’âge de 14 ans, j’ai commencé l’harmonie, puis la flûte, puis les contrepoints et c’est là où je me suis rendue compte que c’était l’écriture qui m’intéressait…Je n’étais pas un compositeur inné, c’est venu avec les phases d’écriture, comme la grammaire, j’ai commencé à composer à 16, 17 ans. à 25 ans, j’ai composé mes 1ères oeuvres importantes.

Est-ce qu’il y a des compositeurs qui vous ont donné envie de suivre cette voie ?

L’envie vient de moi-même d’abord. Cela dit, j’aime les compositeurs très expressifs comme Ligeti, car pour moi, la musique part de notre intériorité et va vers le coeur des autres, c’est pour cela que je n’aime pas les concerts ghettoïsés.

Composer un opéra pour vous, c’est spécial ?

C’est un grand bonheur, parce que je le vois sur scène, je le visualise. J’aime les chanteurs, je les fais travailler non pas d’un point de vue technique, mais d’un point de vie formation musicale et analyse. Pour un chanteur, il est important de connaître l’harmonie, l’analytique pour intégrer sa partie vocale à l’harmonie, et donc, c’est un grand travail d’analyse.

Votre répertoire se compose de 120 opus. Est-ce qu’il y a autre chose que vous voulez réalisez ?

Si j’ai le temps, j’aimerais bien écrire 6 caprices pour violon -non pas 24 comme Paganini- et 6 études transcendantes pour piano.

Si vous n’étiez pas compositrice ?

Je serais médecin. Parce qu’humainement, ce sont des gens indispensables et je pense que la musique l’est aussi ✱