« Mawazine est un plaidoyer pour la vie »

'Pourvoyeur de joie, Mawazine est un moyen, de contrer la pensée unique et autres influences extrémistes.'

L’Observateur du Maroc et d’Afrique. Quel est l’impact des festivals, en général, et de Mawazine, en particulier, sur les jeunes ?

Il est certain que les festivals et, spécialement, Mawazine ont un impact considérable sur les jeunes Marocains. Vu la place qu’occupe la musique dans le coeur et la culture des jeunes d’aujourd’hui, un tel événement réunissant autant de grandes stars ne peut qu’influer sur leurs esprits. Ayant l’habitude de ne les voir que sur l’écran de la télévision ou d’ordinateurs, découvrir leurs idoles sur scène durant Mawazine est une sacrée expérience ! Regardez le nombre de jeunes que le festival attire sur toutes ses scènes et vous pouvez considérer l’ampleur de son impact ! Il faut dire que Mawazine est l’expression de la dualité de la société marocaine moderniste et conservatrice à la fois. Ça fait maintenant treize siècles que le Maroca a adopté un islam modéré et tolérant. Une spécificité qui en fait un haut lieu de quiétude religieuse. Les jeunes, à l’image de leur société, vivent le temporel tout en pensant à l’au-delà. Leur spiritualité ne les empêche pas de goûter la vie et ses plaisirs, dont la musique et la joie de vivre qu’elle procure.

Comment de tels événements peuventils contrecarrer l’influence des mouvements extrémistes ?

J’ai toujours dit que si on a beau cherché les solutions du côté économique, politique et social sans pour autant obtenir des résultats, on devrait absolument les chercher dans le culturel. Un festival comme Mawazine est un plaidoyer pour la vie, un pourvoyeur de joie de vivre. Ce genre d’événements est porteur d’une grande philosophie prônant la vie. Ces festivals établissent des rapports versant dans le sens de l’amour, l’ouverture et la tolérance. C’est un fervent appel à aimer la vie et à se donner le droit d’être joyeux ! Dans notre culture, superstitieux, nous nous inquiétons lorsqu’on a trop ri et on s’attend à l’avènement d’un malheur ! La société marocaine est tiraillée entre son engouement pour le modernisme et son attachement aux valeurs conservatrices. Dans ce cas de figure, il ne faut pas sous estimer l’effet de la musique, la Culture et les Arts, en général. Ces derniers peuvent contrer les influences négatives de l’extrémisme en ouvrant les esprits à d’autres modes de réflexion et à un autre genre de pensée. C’est là où réside le véritable pouvoir des festivals tels Mawazine. Ceci sans oublier l’importance de proposer aux jeunes des idoles, des exemples de réussite avec une véritable force inspiratrice. Une star a ceci de fabuleux et de phénoménal: c’est un leader caché sous la cape d’un artiste. Au-delà de son art, il offre à découvrir une pensée, un mode de vie et toute une philosophie de vie.

Ce n’est pas trop simpliste de croire qu’un événement limité dans le temps (une semaine) peut changer les mentalités et limiter les mauvaises influences ?

J’ai toujours dit à mes élèves que celui qui essaie d’expliquer un phénomène ou un fait par un seul élément se trompe de chemin. Le changement des mentalités est une affaire bien complexe où entrent en jeu un ensemble de facteurs. Mawazine, en tant qu’événement, ne peut, à lui seul, changer les mentalités. Mais ça n’empêche qu’il peut intervenir en tant qu’idée et philosophie dans ce processus de «vaccination » des jeunes contre les idées noires prônées par les mouvements extrémistes. Fédérateur, lieu de rencontre et moment privilégié de convivialité et d’échange, un tel événement ne peut qu’apporter de l’eau au moulin du changement.

Les détracteurs de Mawazine disent qu’il commercialise une culture superficielle et encourage le mauvais goût , qu’est-ce que vous en pensez ?

Je pense que ce n’est pas parce qu’on est nostalgique d’une certaine musique des années 60 ou 70 et que l’on n’aime pas particulièrement les styles nouveaux que l’on a le droit de faire une critique acerbe des choix et des goûts musicaux des jeunes d’aujourd’hui. Nous assistons actuellement à une forte globalisation de la culture et des tendances musicales. Nos jeunes n’ont pas besoin de la tutelle de Mawazine pour aimer telle ou telle musique. Ce travail se fait ailleurs sur le Web, sur les réseaux sociaux, sur les chaînes de Youtube, sur les ondes de la radio et à travers les écrans de télévisions. A mon avis, la programmation de Mawazine ne fait que refléter les tendances internationales et les attentes de son public par rapport à cette offre.

A votre avis, comment peut-on rentabiliser le festival et optimiser son impact en le rendant durable dans le temps ?

C’est une question pertinente car relevant un point très important : la durabilité de l’impact. Pour commencer, je crois que le choix des artistes invités est primordial. Celui qui croit que l’on peut initier du développement durable sans la recherche scientifique a tout faux ! Pour commencer un sondage avec un questionnaire sur les préférences des jeunes et du public, en général, en matière de musiques et d’artistes programmés est très important. Lorsque je choisis, j’adhère mieux et plus. Une fédération des différents festivals nationaux est plus que recommandée. Ils constitueront ainsi un groupe d’influence, une sorte de « movida » culturelle porteuse d’un projet de société, d’une pensée et d’un état d’esprit qui seront véhiculés à travers les différentes programmations. Cela va permettre également de créer une atmosphère artistique pilotée par Mawazine, propice à la réflexion, à l’analyse et à l’échange autour de l’art, la musique mais également autour des grandes problématiques sociétales. Nous ne manquons pas de penseurs, de sociologues ou autres anthropologues pour alimenter le débat et animer rencontres, séminaires et autres ateliers ouverts au public et, pourquoi pas, aboutir à des publications et autres supports médiatiques (audiovisuels). C’est ainsi que l’impact du festival ne sera plus limité dans le temps et l’espace et trouvera d’autres canaux d’influence ✱