Reportage à Béziers et entretien avec Robert Ménard : Le maire qui compte les enfants musulmans
La politique du maire Mu00e9nard agace.

Malgré la loi qui l’interdit formellement, Robert Ménard, maire de Béziers, et ancien président de RSF, compte les enfants musulmans des écoles de Béziers. Une initiative qui divise et inquiète les Biterrois.

Robert Ménard nous confie : « je peux être plus réactionnaire que le FN» et il le prouve. Depuis son élection à la mairie de Béziers, l’ancien patron de RSF enchaîne les mesures polémiques. Dernière en date : des statistiques ethniques déterminant le nombre d’enfants musulmans dans les écoles de la ville. Invité sur le plateau de Mots Croisés sur France 2, le maire de Bézier, soutenu par le FN, affirme que « Oui, il y a un problème avec l’immigration… dans ma ville il y a 64,6% des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles (…) avec des parents qui parlent souvent très mal le français ou pas du tout ». Il poursuit en demandant : « Comment vous intégrez ça ? », le « ça » désignant des enfants de maternelle musulmans… Ces déclarations ont provoqué un tollé médiatique et l’indignation des partis républicains.

 

Pourquoi cela choque-t-il ?

Ce n’est pas étonnant qu’un maire soutenu par le FN dise sans détour « Oui il y a un problème avec l’immigration » tout en faisant l’amalgame entre enfants d’immigrés et enfants musulmans, en revanche ce qui a surpris tout le monde ce sont les statistiques ethniques (pour ne pas dire religieuses) sur lesquelles Robert Ménard s’appuie. Il explique sans sourciller que «Les chiffres sont ceux de la mairie…» Contrairement aux pays anglo-saxons, en France, la loi du 6 janvier 1978, relative à « L’informatique, aux fichiers et aux libertés », stipule que le traitement de données «relatives aux origines des personnes» est strictement interdit. L’article 8 précise notamment qu’il « est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». La violation de ces dispositions est punie d’une peine de prison de cinq ans et jusqu’à 300.000 euros d’amende. En infraction avec la loi, Robert Ménard a été contraint de s’expliquer devant la police judiciaire de Montpellier après l’ouverture, par le procureur de la République de Béziers, d’une enquête préliminaire pour « Tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique ». Une perquisition a eu lieu dans la mairie sans qu’aucune trace des fichiers ait été trouvée. Probablement parce que Robert Ménard est très bon en calcul mental. Dans le journal municipal de sa ville, dont il est directeur de publication, le chiffre de 64% figure en bonne place. Dans ce journal paru le 15 mai et où aucun article n’est signé, on retrouve un dossier de six pages, qui s’ouvre sur ce titre « Il ne faut plus interdire de parler des chiffres de l’immigration ». Pour illustrer le pourcentage d’enfants musulmans dans les écoles, le journal a choisi la l’école maternelle Carnot.

 

« Il est en train de nous diviser de créer la haine entre nous, entre Biterrois »

Au numéro 35 de la rue Saint-Jacques, se trouve la maternelle Carnot. Elle fait partie des douze écoles maternelles de la ville sur les vingt et une qui relèvent de l’éducation prioritaire. La politique d’éducation prioritaire a pour objectif de limiter l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire dans les établissements qui rencontrent les plus grandes difficultés. Devant l’école, un groupe de trois mamans voilées discutent en arabe en attendant la sortie des enfants. Si certaines, avec une naïveté touchante, avouent ne pas comprendre l’utilité de compter les enfants musulmans, elles restent sereines même si aucune d’elles ne veut révéler son identité. « Nous sommes installés ici depuis très longtemps, nous avons tous nos papiers, nous sommes en règle, la loi est de notre côté, il ne peut rien contre nous, il fait n’importe quoi », lance une maman. Toutes n’affichent pas la même quiétude, une maman du même groupe s’interroge en attendant sa petite fille : « C’est dans son programme de provoquer les musulmans? Ça ne fait pas longtemps qu’on est installé à Béziers, on vient de Toulon, je trouve que c’est minable, c’est du racisme, ça fait peur ». Une autre maman, qui vient de récupérer sa petite fille de la maternelle Carnot, regrette cette situation : « Il est entrain de nous diviser, de créer la haine entre nous, entre Biterrois, on habite ici depuis longtemps, on connaît des chrétiens, des juifs, des athées. On n’a jamais eu de problème. On était tous unis, ensemble. Mais depuis sa déclaration, il commence à y avoir des disputes et de la haine même entre les enfants ». Elle confie que depuis la sortie de Robert Ménard sur le plateau de France 2, « on m’insulte dans la rue, j’habite ici depuis longtemps, c’est jamais arrivé! Parce qu’ils disent que je suis une femme déguisée ». Pourtant, pour cette maman qui dit avoir interpellé Robert Ménard, le problème n’est pas tant le recours aux statistiques ethniques, mais la stigmatisation des musulmans : « Il a dit que c’est son droit en tant que maire de faire des statiques ethniques pour savoir de quoi se compose sa ville, sur ça on est d’accord. Mais faire des statistiques concernant les religions et viser directement les musulmans, non! C’est ça qui est dérangeant ». Quant à la proposition de Robert Ménard de remplacer les cours d’arabe ou de turc par des cours de français pour les mères, elle répond sans hésitation : « Oui il ya des parents qui parlent moins bien le français, c’est vrai, mais les mamans qui ne parlent pas le français, on peut les aider. Il y a même des associations qui leurs apprennent à parler français. Je ne vois pas en quoi ça dérange Robert Ménard que nos enfants parlent turc ou arabe. C’est une heure par semaine! ». A l’écart, se tient une maman qui écoute attentivement sans réagir. Un peu réservée au départ et méfiante, sa langue finit par se délier lorsqu’elle s’assure qu’elle n’est pas filmée : «Mon fils est le seul Français de sa classe et ça le rend triste ». Le seul français ? « ça veut dire que la plupart de ses camarades sont Maghrébins », explique-t-elle, avant de préciser : « Je ne suis pas raciste». Et d’ajouter qu’elle n’interdit pas à son fils inscrit à la maternelle Carnot d’avoir des amis musulmans puisqu’elle-même en dit en avoir déjà eu «à l’époque». Sébastien Moreno, directeur de l’école maternelle Les Romarins, s’alarme de constater que les déclarations polémiques de Robert Ménard portent atteinte au vivre ensemble. « Les gens se parlent de moins en moins devant le portail de l’école. Les inquiétudes se traduisent par le repli sur soi et le repli sur soi c’est ce qui est finalement souhaité par ceux qui ne veulent pas de république multicolore ». Pour ce délégué syndical, ce sont les problèmes économiques et sociaux de la ville qui ont une incidence directe sur la réussite et l’intégration des élèves et certainement pas l’immigration. A l’image des villes tombées sous la bannière FN, Béziers fait face à une très grande précarité économique, le taux de chômage avoisine les 17%. Selon une étude du cabinet Compass parue en 2011, 33% des Biterrois vivent sous le seuil de pauvreté. Les pauvres sont les ménages qui ont un revenu inférieur de 60% au revenu médian national, soit moins de 977 euros par mois, en 2011. Les écoles ne sont que le reflet des inégalités sociales manifestes. Pour les professionnels de l’enseignement, il faut en priorité mettre l’accent sur la mixité sociale.

 

L’immigration, un écran de fumée ?

Sébastien Moreno reproche à Robert Ménard de faire abstraction de la réalité économique et sociale des enfants, pour ce directeur d’école, l’égalité des chances des enfants est, au départ, compromise quelle que soit l’origine des parents : « Quand on compare les origines sociales des familles aux regards de leurs revenus, des métiers qu’ils pratiquent, au regard de l’accès à la culture, on peut constater que les enfants qui sont le plus touchés par l’échec scolaire sont issus de familles défavorisées ». Quant à l’éventualité d’utiliser ces statistiques pour favoriser la mixité, la réponse du directeur est sans appel : «M. Ménard a les outils pour essayer de mettre plus de mixité sociale dans les écoles au moyen de la sectorisation du système scolaire. C’est une compétence du service municipal, mais cette politique dont il ne parle pas. Pourtant, c’est réellement un outil qui est entre les mains du service municipal. C’est ce qu’on a appelé la carte scolaire puisqu’elle peut remodeler le système scolaire en collaboration avec les familles et les écoles, mais ce vecteur-là, il ne l’a pas encore utilisé. C’est paradoxal ! ». Pour Sébastien Moréno, le maire de Béziers délaisse les problèmes. «Sa motivation c’est de trouver des explications aux malheurs de la ville, qui sont avant tout économiques mais il préfère désigner une population comme on a fait dans le temps. C’est beaucoup plus facile que de trouver une solution collective aux problèmes économiques de la ville ». C’est le même constat pour Françoise Arnaud Rossignol, ancienne inspectrice de l’Éducation nationale et membre du Conseil municipal dans l’opposition PS. Elle ne voit aucun lien entre enfants issus de l’immigration et échec scolaire : « Faire cet amalgame entre un fort pourcentage d’élèves issu de l’immigration et les difficultés scolaires, c’est se baser sur un préjugé et pas du tout sur une analyse ». Elle a rejoint Béziers en 1999 où elle a pris en charge la circonscription de Béziers-Ville pendant plus de 10 ans. Elle connaît donc très bien les établissements scolaires de la ville. « En tant qu’inspectrice j’ai rencontré des enfants issus de l’immigration et qui rencontraient des difficultés, mais je peux vous assurer que j’ai aussi rencontré d’autres Français qui n’ont pas à ma connaissance d’origine étrangère et qui rencontrent beaucoup de difficultés scolaires et d’intégration. C’est pour cela que, pour moi, ce fichage, pour dire qu’il y a 64% d’enfants musulmans, n’a pas de sens ». L’échec scolaire n’est pas l’apanage des populations issues de l’immigration ni de celles qui vivent dans des habitations insalubres. Françoise Arnaud Rossignol le martèle : « Il faut une reclassification et une revalorisation d’un certains nombre de logements (…) la ville manque de logements sociaux, il y a des logements presque insalubres(…). Or, le logement a de l’influence sur la population qui vient s’installer et la mixité on peut, peut-être, la créer comme ça (…) Mais ce n’est pas en stigmatisant les musulmans qu’on va régler le problème de la mixité ». Elle accuse Robert Ménard de créer l’illusion du changement. « Même ses maires adjoints disent que M. Ménard a proposé des animations pour le centre ville et surtout sur les allées, on n’est pas contre! Mais ce n’est pas suffisant. Il y a des quartiers où les logements sont insalubres. Ce sont des mesures dites de saupoudrage qui créent l’illusion. C’est en ça qu’il est fort comme communiquant, mais il ne modifie pas grand chose ». L’ancien président de RSF a séduit plus de 40% des Biterrois par son «franc-parler» mais agace ses opposants politiques. Jean Michel du Plaa, candidat PS perdant des municipales à Béziers, ironise : « Ce qu’il a admirablement compris, c’est que nous sommes dans une période de communication et la communication c’est l’action ! Sa municipalité n’a aucune action à son actif ». Membre du conseil municipal, il est agacé de voir sa ville faire la une de la presse nationale pour les mauvaises raisons. « Je pense que la pire punition c’est que personne ne parle de lui! Il ne le supporterait pas. Il a besoin d’être toujours au centre des choses(…) Il nous instrumentalise complètement! Tous! ». Pour la tête de liste PS aux municipales, Robert Ménard se contente de mesures polémiques pour attirer les projecteurs sur lui : « Le nombre de chômeurs est le même. Les bénéficiaires du RCA sont les mêmes, le nombre de logements aussi, tout comme celui des commerces vacants. Ce qu’il fait, lui, ce sont des mesures uniquement de communication ». Jean Michel du Plaa s’inquiète de voir que Béziers est la quatrième ville de France à vivre sous le seuil de pauvreté et accuse Robert Ménard de cibler, via ses mesures, des gens issus de milieux défavorisés. « Ce n’est pas aux pauvres qu’il faut faire la guerre mais à la pauvreté », clame-t-il. Que pense le maire Robert Ménard de tout cela ?

Réponse dans cette interview : « Je peux parfois être plus réactionnaire que le Front National ».