Le changement climatique se féminise

Le changement climatique a désormais un sexe. A l’instar de la pauvreté, il est décidément féminin. C’est en ces mots que Hakima ElHaiti s’est exprimée lors de l’ouverture des travaux de la 6e édition du «Women‘s Tribune». Tenu les 29 et 30 mai 2015, au Centre international de conférence, à Skhirate, le forum est organisé par l’association «Women’s Tribune» en partenariat avec «ONU Femmes» et le «R20-Regions of Climate action», sous le thème «Femmes pour le climat». «Cette thématique d’actualité s’inscrit dans les objectifs de l’Association qui veut contribuer à construire l’égalité hommes/femmes au niveau des instances locales et de promouvoir la place des femmes, leur vision et leur visibilité dans le pourtour méditerranéen», explique Fathïa Bennis, présidente du WT. Cette dernière n’a pas raté l’occasion, d’ailleurs, pour évoquer «l’injustice climatique qui s’ajoute à l’injustice tenace homme/femme ». Chiffres à l’appui, les participants venant des quatre coins du monde, ont confirmé ces propos.

Risques sexo-spécifiques

Souvent en première ligne des répercussions du changement climatique, les femmes en seraient les premières victimes. La planète connaît de plus en plus d’ épisodes de sécheresse et d’inondation. Ces dernières ont de lourdes conséquences économiques mais aussi sociales. «Les femmes et les populations d’Asie sont actuellement les plus exposées aux risques. Plus de 100 millions de personnes sont concernées chaque année, dans cette région», relève Achim Steiner, Secrétaire général adjoint des Nations Unies et directeur exécutif du PNUE dans un récent rapport sur les femmes et le changement climatique. D’après les experts onusiens, lors de sécheresses ou d’inondations, les femmes sont également les plus vulnérables face aux réseaux criminels organisés. Cela à cause de l’éparpillement des communautés et de schémas de protection familiaux et sociétaux déstructurés. Un fait navrant qui est régulièrement relaté par Interpol et d’autres organisations non gouvernementales. «Les répercussions sur la sécurité alimentaire iront croissantes avec l’évolution du changement climatique. Les capacités d’adaptation deviennent ainsi vitales dans les régions touchées. Et les femmes représentent un potentiel humain précieux en matière d’adaptation grâce à leur expérience, à leur sens des responsabilités et à leur résistance», insiste El Haiti. Une mise en alarme que la ministre n’hésite pas à corroborer par des exemples probants de pays asiatiques et africains doublement menacés car excluant les femmes du combat. «Il en va de l’avenir de la planète et de notre pays. Si on croit qu’on est à l’abri, il faut se détromper. Les effets du changement climatique commencent à se faire sentir même si on n’en est qu’au début. C’est aujourd’hui qu’il faut commencer à y remédier et les femmes marocaines ont leur à rôle à jouer dans ce combat pour la survie», affirme Fathïa Bennis.

Le rôle des femmes

Le Rapport du PNUE insiste d’ailleurs sur «le rôle sensiblement plus important joué par les femmes par rapport aux hommes dans la gestion des services d’origine éco systémique et dans la sécurité alimentaire». Une thématique chère au cœur du fameux activiste vert, Pierre Rabhi, venu partager son expérience avec les participants et prôner les pratiques ancestrales en matière d’agriculture. «La sécurité alimentaire ne passe pas seulement par la quantité mais également par la qualité de la production. Les pesticides, les OGM, les graines non reproductives, l’altération du sol… la planète et ses habitants sont sauvagement agressés et les femmes encore plus. Une réaction s’impose !», s’insurge le co-fondateur de Terre & Humanisme Maroc et du mouvement Colibris, qui mène un combat sans merci depuis plusieurs années contre l’industrialisation sauvage de l’agriculture. Pour Achim Steiner, le directeur exécutif du PNUE, la réussite de toute adaptation durable passe avant tout par l’importance donnée à l’égalité des sexes et au rôle des femmes. Une recommandation qui est au cœur d’une opération de réflexion et d’actions menées à l’échelle internationale. Cette dernière sera, en effet, mise en œuvre dans le cadre de la Convention cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique, affirment les organisateurs. «La tenue de ce forum, au Maroc, est d’autant plus symbolique que c’est en Afrique que la menace climatique est la plus importante. D’où l’importance que l’ensemble de ces accords ne se limite pas à une adoption mais plutôt à une mise en action», ajoute Bennis. Ainsi, l’organisation de ce 6e forum entre dans le cadre de l’effort global pour contribuer activement à la réflexion sur les politiques relatives au climat favorisant l’égalité des sexes. L’événement est d’ailleurs organisé en préparation de la Conférence Paris Climat 2015. «Le forum constitue une étape décisive pour la mobilisation des femmes marocaines sur les enjeux climatiques et confirme l’engagement profond du Maroc qui aura l’honneur d’accueillir, l’année prochaine, la Conférence de l’Action 2016», affirment les organisateurs. Réunissant des personnalités politiques, économiques et des représentants de la société civile du Maroc et d’ailleurs, cette plate-forme d’échange a été l’occasion de débattre de plusieurs thèmes à savoir «Les enjeux stratégiques de la mixité hommes-femmes en milieu professionnel», «La lutte contre le changement climatique: une affaire de genre?», «Eduquer et former: une priorité pour les femmes, une obligation pour le climat», «Economie verte et féminine: Enjeux et opportunités» et «Quand les femmes s’engagent pour le climat ». Pour conclure en beauté les travaux de cette 6e édition, le R20 a partagé avec les participants ses propositions pour l’émancipation des femmes en termes climatiques. «Afin de démontrer le pouvoir des femmes dans la lutte contre le changement climatique, il est primordial de mettre en lumière le rôle qu’elles peuvent jouer dans les trois grands domaines qui sont profondément transformés dans l’économie verte : la politique ou comment sensibiliser les décideurs femmes partout dans le monde sur les solutions politiques, techniques et financières permettant l’essor d’une économie verte durable ; la technologique et comment développer et renforcer les compétences des femmes, pour les préparer à développer et à gérer des projets de manière autonome et l’axe financier par la promotion d’une meilleure inclusion des décideurs femmes dans les discussions relatives aux financements verts», conclut Michèle Sabban, Présidente du R20.

Who’s Who ?

Créée en 2009, l’Association « Women’s Tribune » a pour mission d’aider les gouvernements sub-nationaux à mettre en œuvre des projets à faibles émissions de carbone ainsi que de communiquer les meilleures pratiques et d’instaurer une économie verte. Quant au R20 (Regions of Climate Action), c’est une organisation non gouvernementale, fondée en 2010 par l’acteur Arnold Schwarzenegger, avec le soutien des Nations Unies. Coalition de compagnies privées, d’organisations internationales, d’ONG et institutions académiques et financières et de gouvernements sub-nationaux, la mission du R20 consiste à aider ces derniers à mettre en œuvre des projets à faibles émissions de carbone. Ceci en plus du partage des meilleures pratiques et politiques dans le domaine des énergies renouvelables ; dans l’objectif de créer une économie verte rentable, saine et épargnant la planète.