Les leçons grecques
AHMED CHARAu00cf

Les institutions européennes et les marchés financiers respirent. La Grèce ne fera pas défaut, un accord est presque trouvé. Athènes a fini par assouplir ses positions. Sur les retraites, elle accepte d’allonger la durée de cotisation, de fixer l’âge de départ à 67 ans et de taxer les pensions. Tsipras est élu sur un programme qui faisait de la situation des retraités, une ligne rouge. Mais les économistes les plus sérieux dénoncent une forme d’hypocrisie. Selon le rythme actuel du remboursement, il faudrait attendre 2050 pour voir la Grèce payer ses dettes si elle tient tous ses engagements budgétaires. Impossible, disent-ils, parce que les nouvelles créances ne servent qu’à régler les échéances des anciennes et que la croissance n’est toujours pas au rendez-vous, après un troisième plan de sauvetage.

Le FMI et la BCE s’attachent à ne pas créer de précédent, en effaçant l’ardoise de la Grèce. En même temps, maintenir la Grèce au sein de l’Europe est une nécessité, parce que son départ, un drame pour son peuple, constituerait le début d’un détricotage de la Zone euro. Il y a aussi l’aspect politique, la Grèce étant le berceau de la civilisation européenne.

L’affaire grecque nous apprend plusieurs enseignements. Les Etats européens ont racheté la dette auprès des banques, ils ont nationalisé ces actifs pour éviter une crise systémique de la Finance et non pas pour aider la Grèce. Il se trouve que la nationalisation n’a pas changé la nature de cette dette. Elle reste compromise. La réponse apportée en Europe, après la faillite de Lehman Brothers, n’a donc fait que retarder les échéances. Malgré tous les efforts fournis par le peuple grec, qui enregistre, depuis 2008, une baisse du pouvoir d’achat de 40% et un taux de chômage de 28%, on ne voit pas d’issue à ce calvaire sans une véritable politique de relance à l’échelle européenne.

Le deuxième enseignement concerne la construction européenne. La monnaie commune, sans intégration politique avancée, sans fiscalité commune, sans un rapprochement des modèles sociaux, ne profite qu’aux économies les plus fortes comme l’Allemagne. La solidarité est limitée dans ce contexte. Enfin, l’expérience grecque pose de réelles questions sur l’offre politique populiste. Nul ne peut nier que les effets des politiques d’austérité sont désastreux pour les couches populaires, surfer sur le sentiment de rejet qui en découle est donc d’une facilité déconcertante. Tsipras a promis d’arrêter le calvaire et de mettre en place une politique de croissance. Il a échoué à son premier examen, puisqu’il a renié ses engagements électoraux, pour rester dans l’euro et bénéficier des liquidités de la Banque centrale européenne, sans lesquels l’économie serait totalement asphyxiée.

Le programme de Podemos en Espagne est aussi généreux, mais son applicabilité est sujette à caution, même si la croissance, certes molle, est de retour en Espagne. Les marchés, la mondialisation imposent des réalités dont on peut contester la justice, mais dont on ne peut faire fi.

C’est une véritable épreuve pour les démocraties car se faire élire sur un programme inapplicable, c’est l’assurance d’une désillusion pour les populations. Ceci se traduit généralement par des convulsions violentes et l’émergence de courants anti-démocratiques, refusant les institutions et méprisant les élites. L’étape historique actuelle ressemble à celle des années 30. Il faudra éviter les conséquences tragiques que l’on connaît.