Gastrotectomie : De l’ultime recours à l’effet de mode

Intervention courante en Europe et aux Etats Unis, la Gastrotectomie connait un véritable essor sous nos cieux. Solution ultime pour les personnes obèses  ou simple effet de mode ?

Pas moins de 10 millions de Marocains souffrent de surpoids et 3,6 millions d’obésité (soit 11,3%). C’est ce qu’affirme un rapport du Haut commissariat au plan (HCP) datant de 2011. Un phénomène qui ne cesse d’enregistrer des hausses de plus en plus inquiétantes pour toucher finalement plus d’un tiers de la population marocaine.

Une courbe ascendante qui va dans le même sens d’une fâcheuse tendance mondiale. Selon une étude réalisée en 2014 par l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation (IHME) (Université de Washington) et couvrant 188 pays, près d’un humain sur trois souffre d’obésité ou de surpoids. Durant les trois dernières décennies, cette pandémie mondiale s’est considérablement aggravée. Les pays pauvres aussi bien que ceux riches, ont vu le fléau prendre des proportions de plus en plus inquiétantes. Le phénomène avait progressé de 28 % chez les adultes et de 47 % chez les enfants et adolescents. Le Maroc n’est pas épargné et les femmes représentent la catégorie la plus touchée. Les chiffres sont sans appel: Chez les femmes de plus de 20 ans, 33,7% sont touchées par le surpoids (ou pré-obésité) et 17,5% par une obésité sévère.

Business de l’obésité

Un état des lieux inquiétant pour la santé publique, mais qui favorise la prospérité du « marché de l’obésité ». Salles de sport, diététiciens, coachs nutritionnistes, kinésithérapeutes et autres centres de minceur… chacun y va de ses propositions. « Mais la nouvelle tendance reste la chirurgie de l’obésité », nous confie Karima, une habituée des régimes à répétition. Encouragée par les résultats spectaculaires sur deux de ses amies, la jeune femme est plus que tentée. « J’en ai marre des régimes. Je n’arrive pas à faire du sport et je n’en ai pas le temps. Et à chaque fois, c’est la même histoire. Je perds quelques kilos mais au bout de deux ou trois mois je rechute, je recommence à trop manger et je me retrouve à la case de départ », nous raconte-t-elle, amère. Son regard s’illumine en évoquant la gatrotectomie, la Sleeve pour les intimes. « Mes amies ont perdu plus de 30 kilos en seulement 2 mois. C’est incroyable ! », s’enthousiasme Karima. Pour ceux qui ne la connaissent pas, la sleeve gastrotectomie est une intervention chirurgicale qui consiste à sectionner l’estomac sur toute sa hauteur de manière à le transformer en un tube. Une méthode qui diminue la capacité alimentaire du patient car le privant des deux tiers de son estomac par ablation.

« La Sleeve est en effet une sorte de compromis entre l’anneau gastrique et la technique du by passe. Cette dernière consiste également à réduire le volume de l’estomac mais à modifier en plus le circuit alimentaire. Les aliments vont directement dans la partie moyenne de l’intestin grêle », nous explique un chirurgien casablancais préférant l’anonymat. Une opération irrévocable et lourde même si pratiquée à ventre fermé par coelioscopie.

Sacrée éthique

Technique très récente et reconnue, la sleeve gastrectomie est conseillée aux personnes dont l’Indice de Masse Corporelle (IMC) est supérieur à 40kg/m2, certaines écoles vont plus loin en préconisant un IMC égale ou supérieur à 60Kg/m2. « Pour les personnes dont l’IMC dépasse les 35kg/m2, l’intervention est tolérée seulement en cas de maladie cardiaque, d’apnée du sommeil ou de diabète de type2. Comme l’anneau gastrique, la sleeve convient aux personnes hyperphages, les grands mangeurs. Elle est normalement proposée comme deuxième option en cas d’échec de l’anneau gastrique», explique le chirurgien, en insistant sur l’importance de garder en vue l’éthique dans ce cas précis.

Une éthique qui n’est pas toujours respectée. « Mon IMC ne dépassait pas les 39Kg/m2 et je ne souffrais nullement de maladies en rapport avec l’obésité. Mais j’ai réussi à convaincre le chirurgien tellement j’en avais envie. Je voulais me défaire de ces kilos qui m’ont toujours encombré et ceci depuis ma toute petite enfance. J’ai envie de m’habiller comme toutes ces jolies filles minces et bien dans leur peau », nous explique, R. jeune employée de 28 ans. à peine opérée il y a trois semaines, elle se dit déjà satisfaite du résultat : 9 kilos de perdu et ça continue. « Je n’ai plus envie de manger. C’est à peine si je mange car j’essaie de respecter le régime prescrit par le médecin afin d’éviter toute carence », ajoute la jeune fille qui s’est contentée d’une petite bouteille d’eau lors de notre entrevue dans un café. Essayant régime sur régime, son corps n’a cessé de changer d’allure au gré d’un effet yoyo répétitif. N’arrivant pas à maintenir la cadence, elle cède aussitôt à ses caprices alimentaires. « Avant l’opération, j’en suis arrivée à un point de désespoir où je ne pouvais plus vivre avec tout ce poids », argumente-elle. Un poids qui d’après les nutritionnistes et autres coachs sportifs, pourrait être perdu avec un simple régime, un peu d’exercice et beaucoup de volonté. Manque de détermination, fainéantise ou simple effet de mode ? Ces femmes ne se rabattent-elles pas trop facilement sur la solution la moins contraignante ?

Effet de mode

Un petit tour du côté de la salle d’attente d’une clinique casablancaise proposant ce genre d’interventions, laisse perplexe. Si effectivement la salle grouille de

« patientes » plus ou moins en surpoids, nombreuses n’en sont visiblement pas, au stade d’obésité sévère ou morbide: la principale indication pour une sleeve ! Pire, nous rencontrons une « superbe opérée » qui avant de faire la sleeve, en était à 85 kg pour 1m70. Un petit écart qui ne nécessitait pas une intervention aussi lourde et qui a pourtant suffit au chirurgien pour passer au poste opératoire.

« Je n’arrivais pas accepter ce nouveau corps. Je ne me reconnaissais pas dans ces petits bourrelets qui disgracient ma silhouette depuis ma grossesse. Finalement, je me suis décidée et j’ai fait la sleeve », nous raconte S, 30 ans et mère d’une fillette de 2 ans. Un choix précipité ? Peut-être.

« Mais le chirurgien se devait de dissuader les patients n’ayant pas besoin d’une telle intervention. C’est son rôle et celui de l’équipe pluridisciplinaire accompagnant le patient dans ce genre d’intervention, de détecter les contre indications et de refuser de la pratiquer s’il le faut », précise ce médecin spécialiste en chirurgie viscérale.

Coûtant la bagatelle de 50.000 DH, en plus du cout d’une multitude d’analyses préopératoires, la sleeve voit l’intervention de plusieurs spécialistes en plus du chirurgien opérant. « J’ai dû voir un nutritionniste, un gastrologue et un endocrinologue pour évaluer mon état avant de passer sur le billard », nous raconte R. Une équipe qui a pour objectif d’accompagner le patient mais surtout de détecter toute contre indication, vu l’aspect non anodin de cette opération dangereusement banalisée. « Il faut dire que le médecin m’a prévenu par rapport aux risques de la sleeve. Ce sont les mêmes risques de toute opération chirurgicale pratiquée sous anesthésie générale en plus du risque qu’une agrafe cède ! », reconnait S avec nonchalance. Si pour elle l’opération s’est toutefois bien passée, à part les violents vomissements des premiers jours, il n’en est pas toujours le cas pour tout le monde.

« Car les complications, ça existe ! Et quand ça survient ce n’est pas toujours anodin», met en garde le chirurgien. En plus des carences alimentaires dues essentiellement au non respect des diètes prescrites par le médecin, aux vomissements et à l’absence d’appétit (le gland responsable est découpé avec la partie enlevée de l’estomac), il se peut qu’une agrafe servant à refermer l’estomac cède. Et c’est la catastrophe d’après le témoignage d’une patiente française. Passée 4 fois au bloc, Rachel a failli mourir à plusieurs reprises des suites de sa sleeve. «J’ai eu une agrafe au niveau de la suture qui avait lâché, la 17e exactement. C’est très rare que cela lâche à cet endroit. D’habitude, c’est la première qui lâche. À cause de ça, j’ai eu une péritonite généralisée et un rein avait du mal à fonctionner… », raconte la jeune mère dans un forum, photos à l’appui.

Dérapages

Un récit cauchemardesque qui risque de se répéter pour d’autres. « Les séquelles sont irrévocables. Aujourd’hui, je me nourris encore à l’aide d’une sonde. Je regrette profondément mon choix, mais c’est trop tard», s’exprime-t-elle avec amertume. Mal informée quant aux éventuelles complications, Rachel appelle toutes celles et tous ceux qui sont tentés par la sleeve à bien se documenter avant de sauter le pas. Il faudrait donc réfléchir deux fois plutôt qu’une. Mais ils sont rares les patients qui le font avant de céder à l’appel des sirènes. Dans une intervention récente, Pr Jean-Marc Chevallier, chirurgien spécialiste digestif et Président de la SOFFCO (Société Française et Francophone de Chirurgie de l’Obésité), soutient qu’il est inacceptable qu’une opération soit pratiquée lorsque le risque de complications associées est plus important que les risques liés à l’obésité elle-même. « Or, c’est le cas pour la sleeve. Ici, dans notre centre spécialisé de chirurgie de l’obésité, nous prenons en charge les patients qui ont eu des complications à cause d’une sleeve. Nous voyons souvent de jeunes patients dans des situations qui peuvent être gravissimes, alors qu’ils n’étaient même pas au stade de l’obésité morbide », explique le médecin en reconnaissant l’aspect de plus en plus banalisé de cette opération en France. Au Maroc, si on est toujours au début d’un véritable engouement pour la sleeve, les « dérapages » ne sont pas loin. Le plus flagrant reste l’absence de l’accompagnement psychologique du patient avant et après l’opération.

Servant à identifier les contre-indications psychiques à la chirurgie, cet accompagnement du patient sert à évaluer sa capacité à engager les changements de comportement nécessaires. Il sert également à identifier les troubles du comportement alimentaire (TCA) et précisément ceux qui sont à caractère additif. Ceci tout en évaluant leur rôle dans le fonctionnement psychique et relationnel du patient. «L’obésité masque souvent une souffrance grave et profonde. Ailleurs, cet accompagnement est obligatoire dans ce genre d’interventions », soutient Dr Mostafa Massid, spécialiste en psychiatrie clinique et pathologique (voir entretien). Au Maroc, il n’en est rien ! Cela se passe au détriment d’une éthique qui est non ou mal respectée, du bien-être et de la sécurité même des opérés. « à aucun moment, on m’avait proposé une quelconque consultation psychologique ni avant ni après l’opération», témoigne R à l’instar des autres opérées rencontrées. On oublie également de mettre les « sleevés » en garde sur une éventuelle reprise de poids au bout de quelques années. Cette dernière est

« due à l’agrandissement de l’estomac à cause d’une alimentation mal adaptée ». Simple omission ou vision autre de la part de nos médecins ? En tout cas, « Il faut y réfléchir plus d’une fois avant de sauter le pas. La Sleeve n’est pas un jeu. C’est du sérieux ! », conseille le chirurgien.

Une mise en garde qui n’est pas toujours prise au sérieux. Trop désireuses de ressembler aux « standards de la beauté », beaucoup de femmes se jugeant trop « grosses », foncent donc tête baissée. Mais faudrait-il payer le prix de la minceur en portant atteinte à son intégrité physique, voire en menaçant sa vie ?

Vous avez dit contrôle ?

Que pense l’Ordre des médecins de la pratique de cette chirurgie délicate sur des « patients inadéquats », malgré les contre indications et dans l’irrespect de toute éthique ? Malgré nos nombreux appels, e-mails et relances pour avoir l’avis de cette institution, nous n’avons eu aucune réponse. Pourtant, l’Ordre des médecins a fait récemment une sortie remarquée pour imposer le respect de la déontologie à tous ses adhérents. Son président El Houssain Maaouni a même haussé le ton et n’a pas caché sa déception quant aux pratiques de certains médecins, qui sont peu conformes au serment d’Hippocrate. Mais ce coup de gueule serait-il suffisant ? Du côté du ministère de la Santé, c’est silence radio sur la « Sleeve ». Aucune précision n’est fournie quant à un éventuel contrôle de la pratique de cette chirurgie dans les cliniques marocaines. De leurs côtés, deux chirurgiens connus pour être les « ténors » de cette pratique dans le Royaume, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Leurs secrétaires se sont contentées de nous éconduire avec de multiples promesses de nous rappeler, sans retour.

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Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien : «Les risques varient d’une personne à l’autre et selon les résultats de l’opération»

L’Observateur du Maroc et d’Afrique. En quoi une prise en charge psychologique est-elle importante dans l’accompagnement d’une Sleeve ?

Une prise en charge psychologique permet d’identifier les troubles du comportement alimentaire et ses causes réelles, d’évaluer la motivation du patient et sa capacité à modifier ses comportements. ça permet également de vérifier qu’il ait bien conscience de l’importance de cette intervention, de ses conséquences, des risques, des changements comportementaux qu’elle doit engendrer en terme de nouveau mode de vie et enfin de l’importance d’un accompagnement. Cela pour lui permettre de prendre sa décision en toute connaissance de cause.

Quel en est l’intérêt pour les patients avant et après l’opération ?

Une prise en charge psychologique avant l’opération permet au patient de prendre conscience des causes profondes, inconscientes afin qu’il comprenne que l’opération n’agit que sur les symptômes. C’est une manière de le rendre conscient de la nécessité d’être accompagné psychologiquement, ce qui est vivement recommandé afin d’augmenter les chances de réussite de la prise en charge médicale. Après l’opération, le suivi psychologique permet au patient de mieux appréhender les changements au niveau comportemental et son adaptation à son nouveau mode alimentaire.

En cas de troubles du comportement alimentaire et d’addiction, pratiquer la Sleeve, sans accompagnement psychologique, n’est-il pas contre indiqué ?

La composante psychologique est très importante dans la genèse de l’obésité. Le besoin exacerbé de manger encore plus est souvent généré par une angoisse consciente ou non liée à un manque généralement affectif dont les causes résident à un stade précoce du développement psychoaffectif. Ceci pour dire que la chirurgie agit sur le symptôme et sans accompagnement psychologique les causes persisteront toujours et risquent de conduire à l’échec de la démarche clinique.

Pour les patients « sleevés », le fait d’être privé de leur « exutoire» alimentaire, cette frustration n’est-elle pas dangereuse pour leur équilibre psychique ?  

Comme toutes les dépendances, l’état compulsif installe des « mauvaises habitudes», un conditionnement difficile à rompre. Lorsque la personne opérée, reste livrée à elle-même, sans accompagnement, elle risque en effet de mal gérer ses émotions face aux frustrations. Ce qui peut compromettre sérieusement son équilibre psychique.

Un psychiatre ou un psychologue, toujours en concertation avec le chirurgien, peut-il annuler le projet d’une Sleeve car jugeant le patient pas prêt à une telle intervention ?

Annuler est bien un grand mot mais il peut donner son avis pour annuler ou différer le projet pour cause d’incapacité psychologique d’un patient à subir une telle intervention.

Si toutefois la Sleeve est pratiquée sans concertation psychologique, quels en seraient les retombées psychiques ?

Les risques varient d’une personne à l’autre et selon les résultats de l’opération. En cas d’échec, l’impact psychologique peut en effet être important et conduire à la dépression, parfois au suicide même.