Les banques « islamiques » arrivent au Maroc

Les banques s’activent pour se lancer dans le créneau participatif. Un marché prometteur qui pourra créer un mouvement favorable à l’économie nationale.

Le poids de l’industrie de la finance islamique (FI) a doublé en quatre ans dans le monde. Il représente aujourd’hui 2000 milliards de dollars, avec un taux de croissance annuel moyen supérieur à 15%. Selon les prévisions de différents organismes spécialisés, les actifs de la FI devraient dépasser les 4.000 milliards de dollars en 2020.Quelque 40 millions des 1,6 milliard de musulmans dans le monde sont aujourd’hui clients de la finance islamique, qui n’était qu’un marché de niche au début des années 70. La Malaisie reste, de loin, le principal marché émetteur devant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Le Maroc dont le marché bancaire et assurantiel est classé deuxième en Afrique et premier au niveau de la région MENA veut rattraper son retard en matière de finance islamique. D’après Said Amaghdir, président de l’Association marocaine pour les professionnels de la finance participative Sharia Compliant (AMFP), cette finance permettra au pays d’attirer d’importants capitaux des pays du Golfe, d’améliorer le taux de bancarisation et de promouvoir l’entrepreneuriat à travers le financement des PME/PMI.

Le Royaume se prépare aujourd’hui à accueillir ce nouveau système qui devait voir le jour l’année dernière. Les textes de lois sont là et le comité chargé de vérifier la conformité des produits participatifs avec les préceptes de la religion est nommé. Mais les agréments ne seront octroyés qu’en fin d’année. D’après Amaghdir, cette phase transitoire est nécessaire pour préparer le terrain, former les RH nécessaires et communiquer via des conférences et workshops sur le concept.

La course à la banque« halal » est lancée

En coulisses, les banques s’activent pour la finance participative, une niche que l’on dit très porteuse. Elles sont jusqu’ici peu bavardes sur le sujet. L’Etat d’aujourd’hui est plus favorable pour que les banques marocaines puissent disposer de partenaires étrangers et surtout de GCC. «C’est la formule la plus sûre. Elle permet de profiter de l’expertise du partenaire et de son réseau », assure Amaghdir. D’après les informations recueillies par l’Observateur du Maroc et d’Afrique, BMCE Bank compte établir aussi une joint venture avec un grand nom de la finance islamique. «Nous ne pouvons pas communiquer sur ce partenariat tant que nous n’avons pas le feu vert des autorités monétaires. Mais ce qui est sûr, c’est que BMCE détiendra la majorité du capital de cette entité », déclare t-on auprès de BMCE Bank. CIH suivra la même tendance comme nous le confirme son président, Ahmed Rahhou. «Les négociations sont en cours pour une joint venture avec une banque de Qatar pour le lancement d’une filiale dédiée », nous a-t-il assuré. BCP a conclu un partenariat avec Guidance Financial Group, une filiale du Fonds souverain qatari Barwa qui apportera l’expertise et avec un autre partenaire, institutionnel. Depuis un mois une délégation du Qatar est sur place pour négocier une JV avec une autre banque marocaine.La filialisation de l’activité est déjà effective à Attijariwafa bank avec Dar Assafaa qui sera transformée en une banque islamique à part entière, avec son identité indépendante. Les autres établissements BMCI et SGMB pourront bénéficier de l’appui de leur maisons mères, BNP Paribas et Société Générale, qui opèrent déjà sur ce segment et opter plutôt pour une windows. Crédit du Maroc n’a pas encore pris la décision dans ce sens. Son président de directoire, Baldoméro Valverde, nous assure qu’elle sera prise avant le mois de juin de l’année en cours. «Nous avons mis en place un comité de pilotage pour les études de faisabilité. Nous n’avons pas encore pris de décision mais toutes les options sont ouvertes », déclare t-il.

 

Les banques sont-elles prêtes aujourd’hui pour investir dans ce créneau ?

« Les banques devront surmonter plusieurs difficultés notamment la question des ressources humaines et la stratégie marketing. Les ressources spécialisées en finance islamique sont rares sur le marché. Certains établissements universitaires ont déjà anticipé la demande de ces profils en instaurant des masters en finance islamique. En attendant que ces personnes soient opérationnelles, les banques devraient procéder à la formation de leurs équipes en interne », affirme un banquier de la place. SaidAmaghdir nous confie que Dar Assafae aura bien une longueur d’avance sur les autres puisqu’elle compte déjà un réseau de 10 agences et compte un effectif de presque 50 personnes formées en la matière.

Un marché prometteur

Selon les spécialistes de la finance, le potentiel est énorme. Une étude réalisée en 2012 par l’IFAAS

« Islamic Finance Advisory et Assurances Services», montre que 94% des Marocains interrogés seraient intéressés par des produits financiers conformes à la Charia. De plus, au Maroc, le taux de bancarisation n’est que de 62 % car une large part de la population juge le circuit financier classique non conforme à ses convictions religieuses. Des clients potentiels qui pourraient être séduits par les nouveaux établissements. «Il reste 38% à capter. Nous avons évalué le potentiel à quelque 100 milliards de dirhams. Les prévisions tablent sur 20% pour les deux premières années. Si on arrive à 10%, c’est excellent », espère Amaghdir. Les sondages de la BCP montrent que plus de 30 % des personnes bancarisées sont prêtes à migrer vers la banque participative. Mais selon les responsables de la banque il ne s’agit là que d’intentions, la réalité sera probablement en deçà de ce chiffre. Et la cannibalisation affectera probablement plus les crédits que les dépôts.

Produit classique Vs produit participatif

La loi bancaire définit la banque comme une institution qui collecte des dépôts et octroie des crédits. Le concept de banque participative est différent. Quant à ceux qui pensent que la banque participative prête de l’argent gratuitement : détrompez-vous ! « La banque ne prête pas d’argent, elle fait du commerce contrairement aux banques conventionnelles interdites de commerce. La banque dans ce cas peut acheter des biens à un prix A et les revendre au client à un prix B qui correspond au prix A plus une marge définie en fonction de la durée ou entre en tant que capital risqueur dans le projet », explique Amaghdir. Donc il y a deux types de contrats. Le premier entre le vendeur et la banque et le second entre la banque et l’acheteur. Le bien est inscrit au nom du bénéficiaire mais nanti au nom de la banque jusqu’au paiement intégral. Les banques participatives seront toutefois soumises à une interdiction formelle de percevoir ou de verser des intérêts à leurs bénéficiaires. Si l’emprunteur présente des difficultés dans le cadre du remboursement de son prêt, la banque ne peut facturer des pénalités de retard . Il y a une pénalité mais qui sera versée aux œuvres caritatives.

La finance islamique, selon un expert en la matière, n’a pas réinventé la roue. Le but c’est de remettre au centre du jeu des produits qui existent dans la finance classique mais qui sont marginalisés. Donc, d’après lui, la banque islamique ne va pas moraliser la finance classique mais la rendre plus éthique et plus stable. Seulement au Maroc l’expérience a déjà été tentée en 2007 mais l’échec a été cuisant. D’ailleurs, aujourd’hui, l’encours des produits islamiques ne dépasse guère le milliard de dirhams, soit moins de 0,13% de l’encours des crédits du secteur bancaire à l’économie.